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Le procès Pétain, masque de Vichy

Après Les Français sous l’occupation et son magistral De Gaulle, l’historien britannique Julian Jackson complète sa monumentale étude sur l’Histoire de France durant la Seconde guerre avec Le Procès Pétain, paru au Seuil. Un livre attendu, nécessaire et passionnant.

Le procès Pétain, masque de Vichy

D.R.

Somme de documents dûment archivés, rigueur de l’analyse et goût du récit, Julian Jackson sait donner un tour de main à ses livres pour qu’ils reflètent l’esprit d’une séquence historique et deviennent, au fil de la lecture, aussi précis que captivants. Le procès du Maréchal Pétain qui s’est tenu au lendemain de la Libération, entre les mois de juillet et août 1945, était attendu par toute une population exsangue, affamée, encore sous le choc de la guerre. Elle avait unanimement désigné son grand coupable, fossoyeur de la France ayant ouvert la porte à l’ennemi, qui devait comparaître devant les tribunaux : le Maréchal Pétain.

L’homme avait signé la paix de Montoire en serrant la main d’Hitler, entraîné le peuple français dans la collaboration et troqué les valeurs de Liberté, d’Égalité et de Fraternité contre celles du Travail, de la Famille et de la Patrie. Le programme de la révolution nationale avait voulu mettre à bas la République. Ancienne gloire de la Première guerre mondiale, porté au pouvoir par les hommes de la IIIe République pour faire « bouclier » contre l’envahisseur allemand, un temps vu comme l’Homme providentiel, le Maréchal avait, de l’avis de tous, déçu. Trop vite il avait rendu les armes, trop vite il avait mis à disposition de l’envahisseur les richesses de la nation, jusqu’à ses ressources administratives qui faciliteraient grandement l’action violente des SS. Dès le 11 octobre 1940, il rendit les armes et dit chercher « une collaboration dans tous les domaines avec tous ses voisins ». Il assuma alors sa position en déclarant : « Cette politique est la mienne. Les ministres ne sont responsables que devant moi ? C’est moi seul que l’Histoire jugera. »

Cinq ans plus tard, c’est bien au tribunal de l’Histoire que le Maréchal est convoqué. L’homme qui se tient face à ses juges est plus qu’un vieil homme, un vieillard : il a 89 ans. On le présente comme étant victime de trous de mémoire et atteint de surdité (des pathologies très relatives cependant car il saura se montrer face à des témoignages en sa faveur, recouvrer la mémoire et avoir l’ouïe fine). Son médecin l’assiste en permanence.

Durant ces trois semaines de procès décrit par Jackson au jour le jour avec minutie, soulignant l’atmosphère lourde qui y règne, le procureur général va auditionner 63 témoins parmi lesquels un ancien président de la République, cinq anciens présidents du Conseil des généraux, des amiraux, des diplomates, des hauts fonctionnaires, d’anciens résistants et d’anciens collaborateurs. On parle à la Une des journaux du « procès du siècle ».

Est-ce à tout le moins le procès de la France ? Ce devrait l’être, mais ce ne l’est pas.

Tout l’intérêt du livre de Jackson est là. Pour l’historien, le procès Pétain n’est ni un procès pour la forme, ni un procès bâclé (ce que sera en revanche le procès Laval). Il révèle le visage d’une France qui ne peut pas ou ne veut pas encore se regarder en face et qui, du côté des accusés comme des accusateurs, enchaîne ses plaidoyers et joue de l’argumentation rhétorique mais sans évoquer le fond tragique de l’Histoire : le rôle actif de la police dans l’arrestation, l’emprisonnement et la déportation des Juifs. Au procès Pétain, aussi incroyable que cela puisse paraître, le procureur Mornet n’a pas cru bon de disposer des témoignages des victimes. Ils évoquent « horreurs que nous connaissons tous » mais ne cherchent pas à expliquer comment elles ont pu se produire. En réalité, la question juive embarrasse Mornet qui avait en son temps participer à la commission de révision des naturalisations pendant la période de Vichy. Juger devient à ce niveau un exercice fort périlleux et complexe.

Livre passionnant, Le Procès Pétain se lit en creux. Il montre que le grand absent de ce procès, c’est le tragique de l’Histoire. Il dévoile comment Jacques Isorni, jeune avocat de la défense qui avait assuré début 1945 la défense de Brasillach, se fait remarquer en mettant en place une « stratégie de rupture », technique consistant à considérer comme illégitime, dès le début, les charges du procès (on sait que par la suite Jacques Verges en fera un système de défense). Il n’empêche : Pétain est bien condamné à la peine de mort, à l’indignité nationale et à la confiscation des biens. Sa peine est commuée en emprisonnement à vie. Il sera emprisonné à l’île d’Yeu. Comme Camus l’avait bien compris et comme il l’écrivit dans Combat en avril 1945 : « Si Pétain est absous, c’est tous ceux qui luttèrent contre l’occupant qui ont tort. Fusillés, torturés, déportés, ils l’auront été en vain. »

Comment passe-t-on de héros de la patrie à traître à la patrie ? Jackson démontre que le procès Pétain cache le procès de Vichy et de l’implication de la population française dans la collaboration. Un passé qui, selon lui, « ne passe toujours pas ».

Le Procès Pétain de Julian Jackson, Seuil, 2024, 480 p.

Somme de documents dûment archivés, rigueur de l’analyse et goût du récit, Julian Jackson sait donner un tour de main à ses livres pour qu’ils reflètent l’esprit d’une séquence historique et deviennent, au fil de la lecture, aussi précis que captivants. Le procès du Maréchal Pétain qui s’est tenu au lendemain de la Libération, entre les mois de juillet et août 1945, était...

commentaires (3)

Le Maréchal a fait don de sa personne à la France à un moment où la situation était tragique. Le Maréchal a été un bouclier salutaire et le Général un sabre de génie. Le premier était le parrain du second. Les deux aimaient énormément le Liban. Le procès du Maréchal comme celui de Pierre LAVAL furent les premiers procès français enregistrés par l'ORTF, par Pierre SABBAGH d'origine libanaise Melkite Grec-Catholique, un de mes cousins éloignés. Il est curieux de constater que Léa Salamé et bien d'autres journalistes ou écrivains francophones dans le monde sont issus de cette petite communauté

Nicolas ZAHAR

10 h 16, le 24 mars 2024

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Commentaires (3)

  • Le Maréchal a fait don de sa personne à la France à un moment où la situation était tragique. Le Maréchal a été un bouclier salutaire et le Général un sabre de génie. Le premier était le parrain du second. Les deux aimaient énormément le Liban. Le procès du Maréchal comme celui de Pierre LAVAL furent les premiers procès français enregistrés par l'ORTF, par Pierre SABBAGH d'origine libanaise Melkite Grec-Catholique, un de mes cousins éloignés. Il est curieux de constater que Léa Salamé et bien d'autres journalistes ou écrivains francophones dans le monde sont issus de cette petite communauté

    Nicolas ZAHAR

    10 h 16, le 24 mars 2024

  • Excellent ouvrage écrit par un historien. c'est beaucoup plus qu'une narration des faits. L'auteur donne son avis d'historien sur chaque étape du procès. Passionnant

    fadi labaki

    16 h 08, le 08 mars 2024

  • Belle analyse de l'histoire qui nous prouve une chose: Le monde réel n'est ni noir ni blanc. Il est gris. Avec quelques points mis en lumière, et beaucoup de zones d'ombre. PETAIN résume assez bien la France de cette époque. Toujours partagée entre sa reconnaissance pour le héros de Verdun, et sa haine de la collaboration. Comment pourrait-il en être autrement? Comment 40 millions de pétainistes le 5 juin 1944 sont-ils devenus 40 millions de gaullistes le 7 juin 1944? C'est qu'il y a eu le 6 juin 1944, le débarquement de Normandie. Et le 15 août 1944 le débarquement de Provence...

    CODANI Didier

    12 h 55, le 07 mars 2024

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