Qu’est ce qui se passe (réellement) au Liban-Sud ? Nul ne peut prétendre détenir la vérité. Bien au contraire. La situation est tellement complexe et ouverte à toutes les possibilités que deux lectures opposées émergent des développements militaires et diplomatiques de ces derniers jours. Selon la première, les affrontements entre Israël et le Hezbollah se poursuivront (sans franchir les lignes rouges) jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu soit atteint à Gaza, ce qui se répercuterait sur le Liban. Quant à la seconde, elle considère qu’Israël n’aurait pas mené une guerre étendue à Gaza pour rester prisonnière des calculs du Hezbollah dans le sud du Liban. Par conséquent, l’État hébreu chercherait à changer les réalités militaires de manière à assurer sa sécurité à long terme, sans avoir à évacuer à nouveau les localités du Nord. En d’autres termes, le cabinet de Benjamin Netanyahu envisagerait de lancer une guerre étendue pour changer l’équation sur le terrain.
Sur fond de discussions (byzantines ?) entre les deux lectures, les affrontements transfrontaliers vont de plus en plus crescendo. Le Hezbollah a intensifié ces derniers jours ses opérations et élargi la portée de ses cibles, tandis qu’Israël continue de former de vastes ceintures de feu dans le Sud et d’adopter une politique de terre brûlée, en plus de poursuivre les opérations d’assassinat contre les cadres du parti chiite. Pour les défenseurs de la première lecture, la stratégie militaire israélienne vise à détruire toutes les conditions de vie dans une zone de 5 à 10 kilomètres au Sud, ce qui entraînerait le déplacement de la population, la création d’un environnement fragile pour les combattants du Hezbollah qui ne pourront plus s’y positionner, ainsi que la destruction de toutes les installations militaires et l’élimination du plus grand nombre des principaux cadres du parti. Objectif : réaliser des gains tant que le conflit se poursuit, avant d’aller vers un règlement une fois la guerre à Gaza terminée.
Les adeptes de la seconde lecture estiment, eux, que les frappes israéliennes visent à préparer le terrain pour une opération plus vaste et plus importante. Selon eux, la destruction délibérée, l’isolement des villages les uns des autres et le ciblage des routes principales et des voies d’approvisionnement utilisées par le Hezbollah sont le prélude à des jours de combat plus larges, voire même à une incursion terrestre.
Le Hezbollah se prépare...
Au cours des derniers jours, des développements majeurs sont à signaler. Le Hezbollah a abattu à nouveau l’un des drones israéliens et continue en même temps de lancer ses drones malgré les tentatives d’Israël de cibler les responsables impliqués dans leur fonctionnement ainsi que les sites et les centres de contrôle qui y sont liés. Le Hezbollah a également revendiqué une attaque de drones contre deux positions militaires israéliennes au nord de la ville d’Acre, bien au-delà de la zone frontalière que le mouvement frappe habituellement, dans un message on ne peut plus clair quant à sa capacité d’aller vers une escalade et d’infliger aux Israéliens de lourds dégâts. « Nous nous préparons à passer à une nouvelle phase dans les combats et peut-être à utiliser de nouvelles armes, affirme une source proche du parti. Le Hezbollah a jusqu’ici lancé environ 5 000 missiles et obus sur Israël, et il est toujours capable d’en lancer 150 000 autres. »
De leur côté, les Israéliens ont intensifié leurs frappes, en particulier contre Aïta al-Chaab où ils ont mené mercredi des raids violents et simultanés dans l’objectif de causer le plus de dégâts possible. Et pour cause. Les Israéliens considèrent Aïta al-Chaab comme l’un des principaux villages où le Hezbollah possède une infrastructure militaire significative, y compris des tunnels, et leur objectif est de les détruire. La question des tunnels pourrait être l’un des arguments israéliens pour faire pression sur les Américains afin d’obtenir leur feu vert pour élargir leurs opérations militaires contre le Hezbollah.
Quelles chances encore pour la diplomatie ?
Ces développements surviennent à l’heure où des sources diplomatiques occidentales indiquent qu’Israël négocie avec Washington pour mener des opérations plus vastes contre le Hezbollah, surtout après leur avoir concédé une riposte limitée contre l’Iran (après le lancement, le 14 avril, par Téhéran de centaines de drones vers le territoire israélien). « Tel-Aviv a arrêté la confrontation avec les Iraniens à ce niveau. En contrepartie, les Israéliens se concentreront dans la prochaine phase sur Rafah et sur le Liban et essaient, à cet effet, de fournir toutes les raisons justifiant une escalade », affirme une source diplomatique occidentale.
Là aussi, les deux lectures s’affrontent. La première suggère qu’après la bataille de Gaza, le Liban sera dans la ligne de mire des Israéliens. Et c’est dans ce contexte que les ministres de l’État hébreu ne cessent de parler depuis quelques jours de phase décisive. En revanche, la seconde lecture estime qu’après la fin de la bataille de Rafah et l’accord de cessez-le-feu, une solution se dessinera au Liban, en particulier si le Hezbollah et l’État libanais acceptent les propositions formulées par l’envoyé américain Amos Hochstein, qui ont été ensuite adoptées par les Français.
Les contacts diplomatiques ont en tout cas repris, et c’est dans ce contexte que le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, arrive à Beyrouth ce week-end. « Le ministre transmettra au président du Parlement, Nabih Berry, un message clair quant à la sérieuse préoccupation de Paris. Il lui demandera de le transmettre à son tour au Hezbollah et de lui souligner la nécessité de séparer le front du Liban de Gaza et d’aller vers une application de la résolution onusienne 1701 », révèle un diplomate occidental.
La position du Hezbollah reste toutefois inchangée. « Dès que la guerre à Gaza prendra fin, les affrontements dans le sud du Liban cesseront », affirme la source proche du parti. Sauf que, selon des sources diplomatiques concordantes, Israël ne l’entend plus de cette oreille et n’acceptera pas un retour au statu quo prévalant avant le 7 octobre. « Tel-Aviv exige un accord plus large et global, ce qui obligera le Hezbollah à faire des concessions », indique le diplomate occidental précité.
Dans ce contexte, des sources officielles libanaises, suivant de près les efforts d’Amos Hochstein, affirment que Beyrouth a donné son accord à la proposition de solution américaine, précisant toutefois que les conditions de sa mise en œuvre ne seront discutées qu’après la fin de la guerre à Gaza. Les grandes lignes de cette proposition sont désormais connues : d’abord une cessation des hostilités et le retour des civils (des deux côtés de la frontière), suivis de l’arrêt des activités militaires menées par le Hezbollah, en parallèle à un déploiement massif de l’armée libanaise dans le Sud et au renforcement de la présence de la Force intérimaire des Nations unies (Finul). Il convient de noter que le texte présenté par Hochstein ne mentionne pas explicitement le « retrait du Hezbollah », mais du moment où la présence de l’armée et de la Finul sera renforcée, la formation pro-iranienne devra de facto cesser toute activité militaire dans la région. Enfin, la troisième étape de la proposition américaine consistera à reprendre les négociations pour finaliser le tracé de la frontière terrestre.
Toutefois, tant que le Hezbollah insiste pour lier le sort du Liban à celui de Gaza, aucun règlement ne pourrait mûrir. Les efforts visent pour le moment à réduire les tensions et garder la situation sous contrôle. Mais ces pressions diplomatiques suffiront-elles à préserver le Liban d’une guerre dévastatrice ? Rien n’est moins sûr. D’autant que personne ne peut prédire ce que les Israéliens pourraient faire pour ramener les habitants du Nord avant la rentrée scolaire de septembre.
commentaires (8)
Sans conflits, ils feraient quoi les va-t-en guerre en tous genres ?
In Lebanon we (still) Trust
17 h 50, le 26 avril 2024