Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Procès

Quand Rifaat ne parvient pas à faire oublier Assad

Alors que débute à Paris le procès de l’oncle de l’actuel président syrien autour d’une affaire de biens mal acquis, retour sur le parcours d’une des anciennes figures de proue du régime.

Le procès de Rifaat el-Assad a débuté hier à Paris en l’absence du principal concerné, qui a invoqué « des raisons de santé ». Pour la justice française, c’est une première. Elle ne s’était jamais penchée auparavant sur le cas d’un membre de la dynastie Assad. C’est à la suite d’une plainte déposée en mars 2014, avec constitution de partie civile, par l’association française Sherpa, dont la mission est de protéger et défendre les populations victimes de « crimes économiques », que le parquet national financier s’est saisi de ce casse-tête autour de biens mal acquis.

Le patrimoine de l’oncle de l’actuel président syrien, Bachar el-Assad, suscite bien des interrogations. D’où viennent ces 90 millions d’euros qui lui ont permis d’acquérir des hôtels particuliers dans la Ville Lumière, des bureaux à Lyon, ou un terrain constructible dans le très chic 16e arrondissement ? L’homme, âgé aujourd’hui de 82 ans, n’a cessé de démentir les faits qui lui sont reprochés, sans jamais lésiner sur quelques bons mots auprès des enquêteurs français, comme si ses excès à se défendre pouvaient rallier plus de monde à sa cause. Le frère de Hafez el-Assad se serait même targué d’un « Tout l’argent que je gagnais, je le donnais aux pauvres »...

Mais ce qui se joue au sein du tribunal correctionnel de Paris dépasse le personnage de Rifaat. Derrière ses déboires juridiques se dessinent en filigrane le procès du régime syrien au travers d’un homme qui en a été l’une de ses figures de proue, mais qui a passé une grande partie de sa vie à essayer de le faire oublier.

Sa relation avec son frère d’abord. Elle n’a pas été un long fleuve tranquille. Les deux hommes ont des tempéraments différents. À la prudence et la froideur du président répond l’impétuosité de son frère.

Alors que Hafez tombe malade en 1983, que son état de santé laisse craindre le pire, l’appétit de Rifaat el-Assad se fait de moins en moins discret, provoquant une levée de boucliers de la part de plusieurs généraux alaouites. Lorsque son frère sort du coma, il comprend ce qui se trame et se dépêche de choisir son fils Bassel pour lui succéder. Le président adopte une attitude ambivalente, chassant son frère du pays tout en lui conférant le titre, purement décoratif, de vice-président, qu’il conservera jusqu’en 1998, année où il en sera déchu. L’homme ne sera autorisé à rentrer au pays qu’une seule fois, en 1992, pour les funérailles de sa mère.

Assurément, jusqu’à aujourd’hui, Rifaat el-Assad n’est pas en odeur de sainteté à Damas. Lorsque son neveu arrive au pouvoir en 2000, l’oncle raconte partout en France, à qui veut l’entendre, qu’il est le seul, en tant que vice-président, à incarner la légalité constitutionnelle, et que, quand bien même ce titre ne serait officiellement plus le sien, il en a été dépouillé en toute inconstitutionnalité.

Depuis le déclenchement du soulèvement syrien en mars 2011 contre l’emprise du clan Assad sur le pays, Rifaat a également tenté de se positionner, tant bien que mal, comme une alternative crédible au pouvoir en place. Toujours décoré de la Légion d’honneur que lui avait bien généreusement accordé l’ancien président français François Mitterrand, Rifaat el-Assad dispose, dans son historique, d’éléments qui le placent indéniablement en porte-à-faux avec les siens. Et pourtant, cet ancien commandant des brigades de défense en Syrie est emblématique des décennies de règne du clan Assad qui sont marquées par les ressentiments communautaires et le racket économique.

L’homme marque l’orée des années 1980 par sa poigne, une main de fer, qu’il n’hésite guère à utiliser pour mater toute contestation. C’était le 26 juin 1980. Hafez el-Assad, le président syrien de l’époque, frère de l’accusé, règne sans partage sur la Syrie. Ce jour-là, il accueille le président malien Moussa Traoré. Depuis quelque temps déjà, les Frères musulmans s’agitent. Le président craint qu’une crise ne se déclare, alors même qu’il a lâché du lest sur certaines de leurs demandes.

Des coups de feu éclatent. Une grenade atterrit aux pieds du président, qui, alerte, la repousse à temps. Une autre lancée est rattrapée par un garde du corps qui meurt dans l’explosion. L’épisode enrage la communauté alaouite. Rifaat el-Assad, alors commandant des brigades de défense, unité d’élite exclusivement composée de alaouites, bouillonne. Ivre de rage, il prépare la vengeance. Le lendemain, à l’aube, une soixantaine de soldats syriens sont chargés de vider sans aucun scrupule la prison de Tadmor. C’est dans ce bagne lugubre, au cœur du désert syrien, que sont détenus des centaines de membres et de sympathisants des Frères musulmans. Ce sera un carnage. Les estimations oscillent entre 500 et 800 morts.


Un « brouillon » de massacre
La suite de l’histoire montre que le massacre de Tadmor n’aura été qu’un brouillon, un coup d’essai, pour le frère du président. Son vrai fait d’armes, ce sera Hama. Dans cette ville au nord de Damas, le « bourreau de Tadmor » se mue en boucher. En février 1982, les Frères musulmans se soulèvent dans la ville. La réponse des loyalistes et des brigades de défense qu’il dirige est immédiate. Une fois la ville reprise, il la transforme en laboratoire de dissuasion pour tout le pays. La violence se déchaîne contre les civils, tenus collectivement responsables de la révolte. Elle culmine dans un bain de sang, faisant plus de 20 000 morts, en osmose parfaite avec la fameuse saillie dont se serait targué le président : « la ville de Hama n’a pas reçu la correction qu’elle mérite. Il lui faut une bonne leçon. »

La leçon sera assurément retenue. En terrassant Hama, Rifaat al-Assad marque à jamais le pays de son empreinte. Jusqu’en 2011, le nom de la ville résonne comme une injonction au silence dans toute la Syrie. Elle devient le symbole de la haine communautaire entre une majorité sunnite et une minorité alaouite qui tient les rênes du pouvoir. « C’est ici, dans les décombres du dernier réduit de la révolte sunnite, où avaient péri plusieurs dizaines de milliers de personnes, que s’était dénouée la guerre civile, et qu’avait vu jour, à mes yeux, le drame de la Syrie actuelle », écrit Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie et auteur de La Longue nuit syrienne. « Il me semble – mais comment être sûr de ces choses? – que c’est à partir du massacre de Hama, perçu comme une sanglante défaite par les sunnites, que la plupart des Syriens se sont vraiment résignés au joug du régime de Assad », poursuit-il.


(Pour mémoire : Corruption : sur la piste de la fortune de Rifaat el-Assad)


« 300 millions de dollars »
À la violence se conjugue l’affairisme. Les petites combines de Rifaat el Assad précèdent son « exil » en France.

Le « port de Rifaat » en est l’un des exemples les plus probants. Édifié à Lattaquié, où il était géré en tout illégalité par le frère du président et ses sbires, ce port privé survit au départ de Rifaat el-Assad jusqu’à la fin des années 90. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, c’est une plaque tournante qui permet les business les plus illicites en Syrie, mais aussi au Liban, en pleine guerre civile.

Quand il quitte le pays, Hafez el-Assad ne le laisse pas s’en aller les mains vides. Il lui permet d’emporter avec lui une partie du trésor national syrien. Selon le juge madrilène José de la Maca, Rifaat el-Assad aurait blanchi plus de 600 millions d’euros en Espagne. « Quand il quitta la Syrie en 1984, il manigança avec son frère qui était alors président, pour détourner une partie du trésor national, emportant avec lui quelque 300 millions de dollars », peut-on lire dans son acte d’accusation.

Il fera fructifier cette confortable somme dans plusieurs pays, en investissant notamment dans l’immobilier.

Tout au long de son « exil », l’oncle du président aura largement profité des ressources publiques syriennes, à travers un tissu de sociétés écrans en Europe et dans des paradis fiscaux. Rifaat el-Assad a beau essayer de se démarquer de sa famille à Damas, à Paris, il en est, malgré lui, l’illustre représentant.



Lire aussi
Moudar el-Assad, ce cousin du président syrien libéré alors qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt au Liban

Des biens de la famille Assad visés par des perquisitions en Espagne

Le "Monopoly grandeur nature" de Rifaat el-Assad en France et en Espagne


Le procès de Rifaat el-Assad a débuté hier à Paris en l’absence du principal concerné, qui a invoqué « des raisons de santé ». Pour la justice française, c’est une première. Elle ne s’était jamais penchée auparavant sur le cas d’un membre de la dynastie Assad. C’est à la suite d’une plainte déposée en mars 2014, avec constitution de partie civile, par...

commentaires (2)

Les titres de films que j'aime : "Et Dieu créa la femme!!" De roger vadim avec Bardot et bien sûr le favori de notre grande sœur :" et satan créa Assads" de grande Syrie avec le peuple zyrien meurtri! Both movies made a killing surtout le deuxième en bonne et due forme!

Wlek Sanferlou

15 h 17, le 10 décembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Les titres de films que j'aime : "Et Dieu créa la femme!!" De roger vadim avec Bardot et bien sûr le favori de notre grande sœur :" et satan créa Assads" de grande Syrie avec le peuple zyrien meurtri! Both movies made a killing surtout le deuxième en bonne et due forme!

    Wlek Sanferlou

    15 h 17, le 10 décembre 2019

  • Quelle famille de fripouilles, et dire qu’il y en a au Liban qui les admirent. Pire il y en a d’autres qui croient en une réconciliation possible après tous les abus subis par notre pays en citant comme exemple la réconciliation franco allemande après la guerre. Je dis à ces gens, pour compléter leur exemple, que cette réconciliation n’aurais jamais eu lieu tant que Hitler eu été au pouvoir même si son armée avait quitté tous les pays occupés. A bon entendeur

    Liban Libre

    07 h 47, le 10 décembre 2019

Retour en haut