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Liban - Ankara s’érige en « modèle à suivre »

Le printemps arabe, un tremplin pour l’ambition régionale turque

Roger Baraké.

Le printemps arabe a offert une occasion en or à la Turquie, qui tente d’affirmer sa position de puissance régionale, de renouer avec son passé ottoman et d’adopter une politique étrangère de plus en plus indépendante de l’Union européenne et des États-Unis. Cette réorientation stratégique a poussé Ankara à jouer le rôle de médiateur modéré et de modèle à suivre en matière de développement.
«Néo-ottomanisme», «dérive vers l’Est»... le printemps arabe a révélé au grand jour les nouvelles orientations de la politique étrangère turque, jadis calquée sur les positions européennes et dépendante de son alignement à l’OTAN. En effet, la Turquie a été voulue par son fondateur, Kemal Atatürk, comme une nation séculaire et démocratique, orientée vers l’Occident et ancrée dans la laïcité.
Mais la fin de la guerre froide a poussé la Turquie à adopter une nouvelle orientation de sa politique étrangère en saisissant l’opportunité de s’ouvrir sur ses voisins arabes et en se développant comme un acteur plus indépendant de l’Occident. De plus, en jouant le rôle de médiateur, Ankara a renforcé son profil régional et international.
Il est vrai que cette nouvelle politique trouve ses racines dans la volonté d’ouverture envers ses voisins affichée jadis par l’ancien Premier ministre Türgüt Özal et par l’ancien ministre des Affaires étrangères Ismail Cem, mais elle a trouvé son ultime expression depuis l’arrivée au pouvoir du parti islamiste modéré AKP en 2002.
Ainsi, dès le déclenchement des révoltes populaires en Tunisie, en Égypte, en Libye ou en Syrie, la Turquie a opté pour la réaction modérée en tentant de servir de médiateur entre l’Occident et les régimes de Kadhafi ou de Assad... avant de prendre clairement position pour les réformes démocratiques dans la région. Ankara a en effet tenté pendant un certain moment d’adopter une politique de prudence en ménageant le pouvoir libyen au début de la révolution, craignant pour ses intérêts économiques et ses 25000 expatriés présents en Libye. La Turquie n’a accepté qu’un rôle humanitaire au sein de l’intervention de l’OTAN. Même réaction vis-à-vis de Bachar el-Assad: le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a tenté en vain d’appeler le leader syrien à la raison avant de condamner les exactions de son régime et de recevoir les opposants et les réfugiés syriens sur son propre territoire.
Ce comportement s’inscrit dans la continuité de la politique étrangère de l’AKP, une «politique de zéro problème avec ses voisins», chère au ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, partisan de la doctrine dite de la «profondeur stratégique». Il considère que «la Turquie bénéficie d’identités régionales multiples et ainsi elle a la capacité et la responsabilité de suivre une politique externe intégrée et multidimensionnelle (...) Contribuer activement à la résolution des conflits et à la paix et la sécurité internationale dans tous ces domaines, c’est un devoir surgissant des profondeurs d’une histoire multidimensionnelle pour la Turquie». De même, la Turquie a «des objectifs multiples pour la prochaine décennie»: son appartenance au G20, son ambition de faire partie des 10 premières économies mondiales et, bien sûr, la poursuite de sa candidature à l’Union européenne.
Ankara a aussi commencé à jouer le rôle de modèle à suivre par les masses arabes avides de démocratie et de développement. Surtout après la confirmation de sa politique consistant à prendre ses distances envers Israël et à soutenir sans détour les droits des Palestiniens. L’épisode du Mavi Marmara, le navire d’aides humanitaires violemment arraisonné par la marine israélienne, ainsi que l’incident diplomatique majeur provoqué par le Premier ministre Erdogan lors de son altercation avec le président israélien Shimon Peres au Forum de Davos constituent un tournant majeur dans la diplomatie turque.
En conclusion, Ankara sort jusqu’à présent plus expérimentée dans son rôle de médiateur entre les Occidentaux et les pays du Moyen-Orient. Cette expérience précieuse pourra servir à l’avenir, puisque la Turquie a l’habilité de mener des négociations avec toutes les parties. Le point d’orgue de cette nouvelle responsabilité qui incombe à Ankara est le parti AKP au pouvoir, qui aura la charge de mener encore la médiation entre les nouvelles «démocraties» arabes, largement dominées par des partis islamistes, et l’Union européenne et les États-Unis. L’AKP offre ainsi un modèle de politique islamiste modérée capable de côtoyer les démocraties occidentales tout en ayant des liens concrets avec les pays du Moyen-Orient.
Le printemps arabe a offert une occasion en or à la Turquie, qui tente d’affirmer sa position de puissance régionale, de renouer avec son passé ottoman et d’adopter une politique étrangère de plus en plus indépendante de l’Union européenne et des États-Unis. Cette réorientation stratégique a poussé Ankara à jouer le rôle de médiateur modéré et de modèle à suivre...

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