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Législatives : juin 2009 - Sur le terrain - Conférence

Le rôle des médias dans les élections, de la France au Liban

Alors que la bataille électorale fait rage dans les deux camps adverses, par médias interposés, il est légitime de se poser la question sur le rôle des médias dans les élections.

« Les médias font-ils les élections ? » C'est à partir de cette question que l'Institut supérieur des sciences politiques et administratives de l'Université Saint-Esprit de Kaslik a organisé un débat sur le thème « Médias et élections ». Un débat qui a porté sur les ressemblances et les divergences entre le Liban et la France et qui a mis en scène deux intervenants : d'un côté, le professeur français Rémy Rieffel, sociologue des médias et ancien directeur de l'Institut français de presse-Paris II Assas, et de l'autre, notre confrère, Issa Goraïeb, éditorialiste et ancien rédacteur en chef à L'Orient-Le Jour.

Une législation stricte en France
D'emblée et à partir de constats, le Pr Rémy Rieffel observe une « énorme différence entre la France et le Liban » : les législatives au Liban et les européennes en France se déroulent au même moment. Au Liban, les panneaux d'affichage constituent l'un des supports essentiels des campagnes, mais c'est loin d'être le cas en France. Le sociologue constate, de plus, que la classe politique et les médias en France sont en discrédit auprès des Français, tout en faisant part de sa méfiance « à l'égard du discours simpliste sur le caractère manipulateur des médias ».
M. Rieffel souligne l'influence américaine sur les méthodes de communication françaises des campagnes électorales. « Nous sommes rapidement passés d'une communication traditionnelle, directe entre les hommes politiques et les citoyens, à une communication indirecte, par le biais des médias audiovisuels », explique-t-il. « Privilégiant l'image, la télévision est désormais l'outil central d'une campagne, souligne-t-il. Quant au jeu politique, il ne se déroule plus uniquement entre deux, mais entre quatre acteurs, les hommes politiques, les journalistes, les instituts de sondage et les citoyens électeurs. »
Qu'en est-il donc du poids des médias ? Il est tout simplement « variable selon la conjoncture du moment et la situation politique », affirme Rémy Rieffel. Preuve en est, d'une part, le « non » de la population française au Traité constitutionnel de 2005, alors que les médias prônaient le « oui » et, d'autre part, la place qu'a occupée la stratégie de communication de chacun des candidats dans la campagne présidentielle de 2007.
M. Rieffel évoque, par ailleurs, la règlementation française sur les campagnes électorales, sous le contrôle du Conseil supérieur audiovisuel, qui interdit la publicité politique et exige le pluralisme et le respect de la règle des trois tiers. « Les représentants des différents partis politiques ont tous le même temps de parole lors d'une émission télévisée », explique-t-il à ce niveau. « De plus, un homme politique ne peut payer un journaliste en sous-main pour passer à la télévision. »
Alors qu'Internet ne fait pas la différence dans les élections en France, le sociologue observe que ce qui prend de l'ampleur, par contre, c'est « le degré de professionnalisation des hommes politiques », qui ont aujourd'hui des équipes constituées d'experts de la communication, d'analystes de l'image, de spécialistes des sondages, de médias trainers... M. Rieffel constate aussi la « peopolisation » du politique, avec l'effondrement des barrières entre la vie privée et la vie publique des candidats. « C'est la seule façon de retenir les candidats », constate-t-il, observant que « les débats traditionnels lassent les téléspectateurs ».
« Les médias ne font pas les élections à eux tout seuls, mais ils transforment les méthodes de travail et de sélection des personnalités politiques », affirme Rémy Rieffel. Il insiste alors sur l'importance de la télégénie, de l'éloquence dans la parole des candidats. « Cependant, conclut-il, un électeur reste plus influencé par les conversations avec ses proches que par ce qu'il a vu dans les médias. Ce qui permet de relativiser l'influence de ces derniers. »

Marketisation intense au Liban
Avant d'en venir au cas spécifiquement libanais, l'éditorialiste Issa Goraieb a tenu à proposer « quelques critères de différenciation au sein du trio que forment propagande, publicité et marketing politique ». « La propagande est un nom chargé d'évocations de systèmes totalitaires pratiquant le culte de la vérité unique, explique-t-il. Elle est un outil d'endoctrinement au service exclusif du chef. » « La publicité se soucie de vendre ou de faire vendre un produit. Quant au marketing politique, empruntant les démarches de la propagande, il puise ses moyens d'action dans l'arsenal technique de la publicité », dit-il. « C'est souvent aux grands noms de la publicité que les hommes publics confient la propagation de leur image », observe Issa Goraieb, précisant que cette image sera non seulement peaufinée, mais parfois « remodelée de fond en comble, pour répondre aux attentes de l'opinion publique ».
Relatant le folklore électoral local, M. Goraieb rappelle qu'il s'est longtemps limité à l'affichage sur les murs des « frimousses des candidats ». Il raconte alors les « portraits géants », « les banderoles s'étalant sur toute la largeur des rues », mais aussi « la floraison de slogans », dont « le célèbre 10 452 km de Bachir Gemayel ».
« Si la guerre de quinze ans a donné lieu aux premiers balbutiements en matière de marketing politique, c'est après le terrible attentat à la bombe du 14 février 2005 que ce marketing a connu une véritable explosion », constate Issa Goraieb. « La révolution du Cèdre, le printemps de Beyrouth, mais aussi la riposte des alliés de la Syrie ont donné lieu à une intense marketisation », observe-t-il. Et d'affirmer que dans cet état d'extrême politisation de l'opinion publique, les médias ont joué à fond « le rôle de vecteur de mobilisation ». Quant aux sujets de discorde entre les deux bords, voire le sens de la souveraineté, les rapports avec la Syrie, l'Iran ou l'Occident, l'armement du Hezbollah... « Ils étaient tellement nombreux que l'objectivité s'en est trouvée perturbée. »
« La presse écrite n'échappe pas à ce reproche », souligne M. Goraieb, tout en se demandant si on peut vraiment « rester neutre face à ces sujets ». Il ajoute que la presse écrite n'échappe pas non plus à l'interactivité avec les hommes politiques, où « les deux parties trouvent leur compte ». Une interactivité qui est acceptable « tant qu'elle n'est pas source de vénalité et de corruption », note l'éditorialiste. Affirmant que la marketisation est une pratique courante dans la presse écrite, notamment au niveau de la hiérarchisation de l'information, de la mise en page, du choix des nouvelles et des photos, des analyses éditoriales... il précise que c'est à un tout autre niveau que la télévision se distingue et « bat la presse à plate couture » : « Dans les informations, la fréquence et le minutage des apparitions de personnages politiques, dans les talk-shows, ou à travers les clips diffusés en boucle et dont on retrouve l'équivalent sous forme de panneaux géants sur les routes. »
Issa Goraieb constate enfin que c'est la toute première fois qu'est instituée dans le pays une haute autorité appelée à contrôler le financement des campagnes électorales. « L'effort est louable, et malgré le sérieux et le dynamisme du ministre de l'Intérieur, l'entreprise relève davantage du vœu pieux », conclut-il, avant d'ouvrir la voie à la méditation sur « le problème moral que pose une étroite collaboration entre les communicants et les hommes politiques ».


« Les médias font-ils les élections ? » C'est à partir de cette question que l'Institut supérieur des sciences politiques et administratives de l'Université Saint-Esprit de Kaslik a organisé un débat sur le thème « Médias et élections ». Un débat qui a porté sur...