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Travailleurs ou réfugiés, les Soudanais clandestins en proie à l’exploitation

La consule du Soudan raconte la traversée hasardeuse des clandestins

Marwa Kamal Hamad, premier secrétaire et consule de l'ambassade de la République du Soudan, revient sur la tragédie qui a secoué la communauté soudanaise.
« L'accident qui s'est déroulé il y a quelques semaines dans la montagne libanaise n'est pas le premier en son genre », constate la consule du Soudan. « Il est toutefois le plus dramatique, vu que trois Soudanais sont morts de froid durant le même voyage, deux au Liban et un en Syrie », observe Marwa Hamad, se basant sur l'enquête menée par les services de l'ambassade à l'issue du drame. La consule précise que huit Soudanais étaient du voyage et que quatre d'entre eux ont disparu. « Ils pourraient se trouver aussi bien en Syrie qu'au Liban », estime-t-elle. Elle remarque aussi qu'un clandestin est aujourd'hui hors de danger, après avoir été hospitalisé. « Il devrait être prochainement rapatrié au Soudan, grâce à la coopération entre l'ambassade du Soudan et la Sûreté générale », affirme-t-elle.

90 % des Soudanais entrent au Liban illégalement
Mme Hamad rappelle qu'en 2007, un clandestin soudanais est mort de faim durant son périple vers le Liban. Il avait donné tout son argent au passeur et n'avait même pas gardé de quoi se nourrir. Elle raconte aussi qu'en 2003 déjà, un clandestin soudanais avait trouvé la mort dans la montagne libanaise après une chute. « Ce sont les risques liés à l'émigration illégale, une véritable tragédie », constate-t-elle, « car ces personnes sont victimes de passeurs crapuleux qui n'ont d'autre souci que de se faire de l'argent ».
Elle affirme surtout que « 90 % des Soudanais qui vivent au Liban y sont entrés de manière illégale. Les autres sont employés d'organisations internationales ou sont de passage au Liban à l'occasion de congrès », précise-t-elle. Et d'ajouter que « le nombre de ressortissants soudanais, légaux ou illégaux, installés au Liban est estimé à 5 000, voire à 6 000 personnes ».
Marwa Hamad met alors l'accent sur les efforts déployés ces deux dernières années par l'ambassade du Soudan pour donner aux jeunes soudanais, principaux candidats à l'émigration clandestine, une image plus réaliste du Liban. « Ils pensent qu'en venant au Liban, ils réussiront à obtenir un emploi bien rémunéré. Mais lorsqu'ils arrivent, ils sont confrontés à une réalité bien différente », constate la consule. Elle décrit alors les petits boulots, pas toujours payés à la fin du mois, les emplois subalternes de concierges, de ménage, de plonge, même pour les plus diplômés d'entre eux, les salaires de misère, les logements précaires, mais aussi l'emprisonnement pour ceux qui n'ont pas réussi à régulariser leur situation. « Une centaine de migrants soudanais sont actuellement détenus dans les prisons du pays », estime la consule à ce propos. Elle ajoute qu'« ils restent en détention jusqu'à ce que le prix de leur billet de retour soit assuré, parfois durant un an, alors qu'ils ne devraient pas rester plus d'un mois en prison. Le problème est qu'ils n'ont souvent même pas le prix de ce billet », déplore-t-elle tout en affirmant que l'ambassade et la Sûreté générale libanaise coopèrent à ce niveau.
Et Mme Hamad d'observer que l'ambassade s'occupe de délivrer des passeports à ses ressortissants, mais qu'elle « n'a pas la possibilité de leur assurer les billets de retour ». « C'est le pays hôte qui est en principe responsable du rapatriement des clandestins », affirme-t-elle, ajoutant que « le Liban a déjà assuré des billets de retour à 117 clandestins de nationalité soudanaise ».

Le Liban, une étape avant l'Europe
Pour toutes ces raisons, le gouvernement soudanais tente de décourager la venue au Liban de ses ressortissants car, comme le précise Mme Hamad, « les clandestins sont souvent bernés par les réseaux de passeurs qui leur présentent le Liban comme un paradis ». « Même s'ils réussissent à se trouver un garant, ils se font exploiter », ajoute la consule. « Or la vie est chère au Liban, sans compter que les travailleurs doivent parfois payer le garant pour bénéficier de sa protection et doivent en plus s'acquitter des frais de la CNSS sans profiter des services de la caisse. De plus, les illégaux doivent payer des amendes pour régulariser leur situation. Nous devons cependant aider ceux qui se trouvent là, notamment au niveau des passeports », souligne Marwa Hamad. Elle explique à ce propos que « l'ambassade encourage ses ressortissants clandestins à légaliser leur situation au Liban ».
Mais comment les Soudanais arrivent-ils en Syrie avant de traverser la frontière vers le Liban ? « Pour se rendre en Syrie, les Soudanais n'ont pas besoin de visa, mais simplement d'un permis de sortie de leur pays, explique à ce propos la consule. Une fois en Syrie, ils se mettent en contact avec des réseaux de passeurs auprès desquels ils ont été adressés par des connaissances se trouvant déjà au Liban ». Quant au tarif du voyage, il varie entre 200 et 400 dollars. « Parfois, durant le voyage, les passeurs confisquent les passeports des clandestins, histoire de s'assurer qu'ils seront payés, affirme Mme Hamad. Parfois même, ils abandonnent les voyageurs à la frontière. Ces derniers doivent alors rejoindre la ville par leurs propres moyens, risquant d'être arrêtés, ou encore affrontant le froid et la faim ».
La consule déplore par ailleurs que les épouses des ressortissants soudanais ayant régularisé leur situation n'aient pas l'autorisation de venir s'installer avec leur mari. « La seule façon pour elles de rentrer au Liban se fait par le biais de contrats d'employée de maison, procédure que nous refusons absolument », observe Mme Hamad, ajoutant que « quelques épouses entrent aussi au Liban de manière clandestine ».
« Malgré cette difficile situation, à laquelle s'ajoute le comportement raciste de certains Libanais, de nombreux ressortissants soudanais s'installent ici pour plusieurs années, affirme Marwa Hamad. S'ils sont satisfaits de leur emploi, nous ne pouvons pas les empêcher de rester ». Pour d'autres, conclut la consule, ce pays n'est qu'une étape avant la Turquie, la Grèce et l'Europe (toujours par des voies illégales), rêve de la majorité des Soudanais, lorsqu'ils prennent le chemin de l'exil.

A.-M. H.
« L'accident qui s'est déroulé il y a quelques semaines dans la montagne libanaise n'est pas le premier en son genre », constate la consule du Soudan. « Il est toutefois le plus dramatique, vu que trois Soudanais sont morts de froid durant le même voyage, deux au Liban et un en Syrie », observe Marwa Hamad, se basant sur...