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Travailleurs ou réfugiés, les Soudanais clandestins en proie à l’exploitation - Immigration clandestine

Travailleurs ou réfugiés, les Soudanais clandestins en proie à l’exploitation

Certains sont à la recherche d'un emploi. D'autres fuient les conflits et la persécution. L'Europe est leur but ultime. C'est par la frontière libano-syrienne et de manière clandestine que les Soudanais arrivent au Liban où ils sont victimes d'exploitation, sous toutes ses formes.

Il y a quelques semaines, deux hommes de nationalité soudanaise ont été retrouvés morts de froid dans la Békaa, lâchés sur place par des passeurs, après avoir traversé clandestinement la frontière syro-libanaise. Un tel drame, quoique rare, fait la lumière sur le problème de l'immigration clandestine vers le Liban de ressortissants soudanais, principalement des hommes, mais aussi des femmes et des enfants qui, à l'instar des clandestins irakiens, égyptiens ou autres, risquent leur vie pour atteindre le pays du Cèdre. Certains, vivant de dures conditions socio-économiques dans leur pays miné par la guerre, sont à la recherche d'un emploi qui leur permette d'améliorer leur situation et de venir en aide à leurs familles restées au Soudan. C'est d'ailleurs par ouï-dire qu'ils ont choisi le Liban, décrit par leurs compatriotes comme un véritable eldorado. D'autres, plus spécifiquement ceux qui viennent du Darfour ou du Sud, cherchent refuge au Liban, fuyant les conflits et la persécution.
Mais quels que soient les motifs de leur entrée clandestine, la majorité des Soudanais n'a qu'une seule idée en tête, atteindre l'Europe par n'importe quel moyen, légal ou non. Peu nombreux sont ceux qui y parviendront, par le biais du Commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Liban (UNHCR), qui tentera de leur assurer un pays d'accueil, ou par l'intermédiaire de filières clandestines de passeurs qui leur feront prendre la mer, jusqu'en Turquie d'abord, puis en Grèce, dans une seconde étape.

La prison et le rapatriement
Nombreux sont ceux qui resteront au Liban pour des années, grossissant les rangs de la main-d'œuvre étrangère, avec toutes les difficultés que celle-ci rencontre au niveau de l'exploitation, de la légalisation de sa situation et des risques d'emprisonnement liés à son statut illégal.
Lorsqu'ils arrivent seuls au Liban, les hommes parviennent plus ou moins à s'en sortir financièrement, trouvant rapidement un emploi (la main-d'œuvre soudanaise étant particulièrement appréciée), cohabitant avec des compatriotes et se partageant les charges. Mais à l'issue de contrôles d'identité, s'ils n'ont pas réussi à légaliser leur situation et s'ils n'ont pas de papiers de réfugiés délivrés par l'UNHCR, ils risquent la prison et le rapatriement forcé vers leur pays, lorsqu'ils ne sont pas tout simplement « rackettés par des éléments des forces de l'ordre », comme ils le racontent. Les papiers de réfugiés ne sont d'ailleurs pas une garantie contre l'emprisonnement.
Pour ceux qui arrivent au Liban avec leurs familles, ou qui sont rejoints par celles-ci, la situation est encore plus complexe. Même si les deux conjoints travaillent, ils doivent faire face à des dépenses excessives, la vie au Liban étant bien plus chère qu'au Soudan. Entassés dans de minuscules appartements à la limite de l'insalubrité, dans des quartiers défavorisés, ils doivent assumer le loyer, les charges, les scolarités, les soins et il ne leur reste souvent pas de quoi se nourrir. Pas étonnant, dans ce cas de figure, que nombre de familles soudanaises demeurent dans l'illégalité, avec tous les risques que cette situation comporte. Pas étonnant non plus que des mères de famille se retrouvent en prison. Heureusement, la communauté soudanaise est très solidaire et bénéficie de l'aide d'organisations internationales et d'associations, comme Caritas, Amel, l'Église évangélique, etc.
Le père Robert Hamd, pasteur de l'Église évangélique, apporte une assistance aux mères de famille soudanaises en détresse, dont les époux ont été emprisonnés ou rapatriés. Il dénonce « cette exploitation des sans-papiers soudanais de la part des forces de l'ordre ». « Une exploitation qui est saisonnière, constate-t-il, et qui se déroule à la veille de la rentrée des classes, durant l'été et à la veille des fêtes. » Le père Hamd relate aussi les longues négociations à l'issue de la détention de sans-papiers soudanais, laissant entendre que « des pots-de-vin sont versés pour leur libération ». Mais il tient à préciser que l'Église évangélique « encourage ces personnes à régulariser leur situation et les aide dans ce sens ».

Absence d'une politique claire
« Ces gens souffrent. Ils sont exploités », observe à son tour Samira Trad, porte-parole de l'association Frontiers, qui délivre des conseils d'ordre légal à une centaine de ressortissants soudanais venus du Darfour et leur apporte une assistance légale, en cas d'arrestation. « Pourquoi l'État libanais ferme-t-il les yeux sur leur entrée illégale au Liban ? Pourquoi, si cette main-d'œuvre est appréciée, ne lui délivre-t-il pas de visas depuis le Soudan lui permettant de venir travailler au Liban de manière légale, demande-t-elle, insistant sur la nécessité que « les autorités adoptent une politique claire concernant le dossier de l'immigration clandestine ». Mme Trad va jusqu'à se demander « si les autorités ne tirent pas profit, d'une certaine manière, de cette politique floue » et « s'il n'existe pas une volonté délibérée de profiter des clandestins ».
Constatant, par ailleurs, que de nombreux clandestins du Darfour voient leur dossier refusé par l'UNHCR, Mme Trad se demande « dans quelle mesure ils ne risquent pas la persécution lorsqu'ils sont refoulés par les autorités libanaises ». « Car nous les considérons plutôt comme des réfugiés que des travailleurs migrants », observe-t-elle. « Même s'il n'a pas signé la Convention 1951 des réfugiés et son protocole de 1967, le Liban a pourtant bien ratifié la Convention de l'ONU contre la torture », affirme-t-elle, précisant que « l'article 3 de cette convention interdit le rapatriement d'une personne qui risque la torture dans son pays ».
La responsable de Frontiers dénonce également « la détention arbitraire et prolongée » de ressortissants soudanais, alors qu'ils n'ont jamais été traduits en justice. « Pourquoi ces personnes sont-elles privées de liberté ? Combien de temps doivent-elles légalement rester en prison ? Pourquoi, une fois qu'elles sont jugées, sont-elles retenues plus longtemps que prévu ? » s'interroge-t-elle.
Et de déplorer enfin que « les responsables ne prennent pas le problème au sérieux », affirmant que « l'attitude des autorités encourage, même involontairement, le trafic des personnes et leur exploitation par des mafias ».
Il y a quelques semaines, deux hommes de nationalité soudanaise ont été retrouvés morts de froid dans la Békaa, lâchés sur place par des passeurs, après avoir traversé clandestinement la frontière syro-libanaise. Un tel drame, quoique rare, fait la lumière sur le problème de l'immigration clandestine vers le Liban...