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Démocraties à l’hosto

Ce n’est pas tous les jours que l’on voit deux grandes et orgueilleuses démocraties occidentales endurer de concert une crise aiguë, susceptible même de commander leur admission aux soins intensifs. Mais n’est-ce pas le propre des démocraties que de chercher à s’aguerrir au fil de leurs ennuis de santé, à s’affiner à coups d’amendements constitutionnels, à remédier à leurs imperfections structurelles ? Et à tout prendre, ne garde-t-il pas toute sa valeur, ne demeure-t-il pas d’une inusable actualité, le célèbre aphorisme de Churchill voulant que la démocratie soit le pire des systèmes… à l’exception de tous les autres ?


En ordonnant la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron escomptait susciter un sursaut républicain capable d’enrayer le raz-de-marée d’extrême droite apparu lors des récentes élections européennes. Le président français croyait, tel Aladin frottant la lampe magique, libérer à son service le génie de toutes les revanches ; il n’a fait en réalité qu’ouvrir la boîte de Pandore, s’attirant la colère et la désaffection de ses propres partisans, ainsi que les sévères remontrances de la presse du Vieux Continent : haro sur l’imprudent !


En attendant les résultats du second tour du scrutin, le Rassemblement national reste le seul camp pouvant encore prétendre à une majorité absolue. Même s’ils devaient manquer de peu le chiffre fatidique de 289 députés, les lepénistes pensent d’ailleurs avoir bon espoir de recruter en nombre suffisant des transfuges de gauche comme de droite, ce qui les mettrait alors en état de gouverner la France. Pour conjurer ce spectre, le reste de l’éventail politique n’a d’autre choix que de s’unir en configuration de barrage, le maître-mot étant désormais celui de désistement : les retraits réciproques de candidatures dans toutes les circonscriptions en situation dite triangulaire, et où un champion unique du tout nouveau front républicain a des chances de l’emporter sur l’adversaire RN.


À cette fin, Macron a dû rappeler qu’il doit à la gauche sa propre élection, même si c’est son Premier ministre Gabriel Attal, partisan d’une Assemblée plurielle, qui s’est chargé de passer clairement la consigne. Quelles que soient cependant les perspectives de cohabitation ou de coalitions de bric et de broc, la spectaculaire irruption de Jordan Bardella dans le club des puissants laisse craindre un pourrissement des nombreux dossiers internes qui divisent les Français. Même si Macron demeure maître de son domaine réservé – la politique étrangère– les mêmes incertitudes pèsent forcément sur les actuelles options de Paris, qu’il s’agisse de l’Ukraine ou du Proche et Moyen-Orient.


★ ★ ★


Des dents longues qu’arborent tous ces jeunes loups de France, passons donc aux râteliers que l’on voit se disputer le juteux burger yankee. Le mal américain ne se résume pas au rôle excessif que jouent l’argent et les groupes de pression dans le processus politique, notamment pour ce qui est du financement des campagnes électorales. Ce que l’on n’arrive pas à croire toutefois, c’est que cette superpuissance qui a débarqué sur la Lune et qui ambitionne de dominer la Terre n’ait soudain d’autre choix de leadership à proposer à ses citoyens (mais aussi au monde !) que celui-ci : un Joe Biden qui n’est clairement plus en pleine possession de toutes ses facultés ; ou alors un Donald Trump qui ment comme il respire, qui déchire un traité nucléaire signé par son prédécesseur et qui, accablé de procès, bénéficie soudain de la mansuétude de la Cour suprême...


Le plus atterrant est que les nouveaux tsars, les empereurs communistes de Chine, les théocrates d’Iran et les tyrans de moindre envergure ont beau jeu en ce moment de narguer les démocraties en difficulté ou malades. Il est vrai que tous ceux-là – le coefficient de remplissage de leurs prisons en témoigne– n’ont guère à se soucier de droits de l’homme ou de grippage du système pour s’assurer stabilité et continuité du pouvoir. Pire encore, Poutine en Ukraine, les trublions israélien et iranien dans notre région, pourraient être tentés de pousser leurs pions : de mettre à l’épreuve la capacité de réponse d’un Oncle Sam pataugeant lamentablement dans ses problèmes domestiques.


Rien que d’imaginer Netanyahu survivant politiquement au président américain qui a osé lui chicaner ses livraisons de bombes est d’ailleurs bien assez déprimant comme ça.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Ce n’est pas tous les jours que l’on voit deux grandes et orgueilleuses démocraties occidentales endurer de concert une crise aiguë, susceptible même de commander leur admission aux soins intensifs. Mais n’est-ce pas le propre des démocraties que de chercher à s’aguerrir au fil de leurs ennuis de santé, à s’affiner à coups d’amendements constitutionnels, à remédier à leurs...