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Nos Lecteurs ont la Parole

N’est-il pas temps d’introduire « la légistique » dans l’enseignement universitaire au Liban ?

Les lois adoptées par le Parlement libanais au cours des dernières années ont révélé des lacunes notables chez les législateurs, tant dans la rédaction des lois que dans l’ensemble du processus législatif. Le rôle des législateurs, crucial pour le contrôle de l’application des lois, s’est montré inexistant. La légistique a été mise à rude épreuve, avec l’adoption de lois comportant des dispositions incomplètes, ambiguës, voire contradictoires. Cela a conduit à la violation des principes fondamentaux de la légistique, essentiels pour garantir la sécurité juridique.

Le Liban, comme d’autres pays de droit romaniste tels que la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas et la Suisse, accorde au droit écrit une place centrale parmi les sources du droit. En France, l’amélioration de la rédaction des textes de lois est une préoccupation gouvernementale depuis 1974, et cela implique une coopération avec le législatif pour assurer la clarté et l’efficacité des lois adoptées. Deux consignes sont données par voie de circulaires sur le choix du vocabulaire, la longueur des phrases, la ponctuation, la structure des textes. Au Liban, le Parlement a adopté un exposé des motifs de la loi prolongeant le mandat des municipalités (n° 310 du 19/4/2023), en employant des termes inappropriés, voire lamentables.

L’accent est également mis en France sur la nécessité de mettre à jour les textes et de les articuler entre eux par une codification à droit constant.

Au Canada et en Grande-

Bretagne, la rédaction des lois est conçue comme un métier confié à des spécialistes : les « parliamentary draftsmen ». En revanche, le Liban fait face à un déficit de législateurs compétents et de professionnels qualifiés.

Le système juridique libanais souffre également d’une « inflation » législative, marquée par l’adoption de nombreuses lois sur un même sujet. À titre d’exemple, le Parlement libanais a adopté douze lois sur une période de 14 ans (2008-2022), dans un seul objectif : lutter contre la corruption dans les secteurs public et privé et récupérer les fonds pillés. Cette multiplicité des lois risque de rendre difficile la détermination de la loi applicable, d’autant plus que ces lois sont interconnectées.

Par ailleurs, des procédés cruciaux pour favoriser l’efficacité des lois, tels que les enquêtes sociologiques et les études d’impacts, échappent au processus législatif au Liban. Il convient de relever l’émergence de la « sociologie prélégislative » à partir des années 1960 (J. Carbonnier). La recherche d’efficacité doit être également poursuivie après l’adoption de la loi, par le biais de l’évaluation législative, en vue de déterminer si les objectifs prévus ont été atteints. En France, deux lois du 14 juin 1996 (n° 96-516 et

n°96-517) ont créé un office parlementaire d’évaluation de la législation et un office d’évaluation des politiques publiques. Il serait pertinent d’adopter au Liban une procédure d’évaluation législative à travers une commission formée au sein du Parlement.

En outre, il semble indispensable que le Liban s’inspire de ce qui fonctionne bien dans les systèmes juridiques étrangers. À titre d’exemple, les lois « sunset », souvent utilisées aux États-Unis pour évaluer l’efficacité et la pertinence des lois en vigueur. Ces lois temporaires prévoient généralement des examens périodiques obligatoires où les programmes et les politiques concernés sont évalués pour déterminer s’ils atteignent leurs objectifs initiaux. Des rapports d’évaluation détaillés sont formulés et les processus d’évaluation impliquent souvent des consultations publiques. Et c’est juste avant l’expiration d’une loi « sunset » que le législateur doit décider de la renouveler, de la modifier ou de l’abroger en se basant sur les conclusions des évaluations. Par analogie, le concept des lois expérimentales existe en France (par ex. la loi du 17 janvier 1975 sur l’IVG).

Pour conclure, les solutions pour améliorer les pratiques législatives défaillantes au Liban sont variées. Il est crucial d’introduire la légistique dans l’enseignement universitaire, comme à l’Université Laval au Canada et à l’Université de Genève (Suisse), ou à défaut, de l’inclure dans les programmes de formation professionnelle au sein des barreaux. Enseigner la légistique se révèle indispensable pour améliorer la qualité des textes de loi. Les personnes formées à la légistique apprennent à éviter les ambiguïtés et à formuler des textes de manière concise et compréhensible. Cette formation est essentielle pour réduire les interprétations erronées, faciliter l’application des lois et assurer l’uniformité et la cohérence des textes. Une législation cohérente favorise la stabilité juridique et la confiance (légitime) des citoyens dans le système juridique, un pilier fondamental de l’État de droit où les lois sont prévisibles et appliquées de manière égale à tous les citoyens. Malgré les défis inhérents à l’intégration de la légistique dans l’enseignement universitaire, les avantages qu’elle procure justifient absolument la tentative.

Judith EL-TINI

Avocate, docteure en droit

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Les lois adoptées par le Parlement libanais au cours des dernières années ont révélé des lacunes notables chez les législateurs, tant dans la rédaction des lois que dans l’ensemble du processus législatif. Le rôle des législateurs, crucial pour le contrôle de l’application des lois, s’est montré inexistant. La légistique a été mise à rude épreuve, avec l’adoption de lois...
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