Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, lors de sa tournée dans le Akkar, le 30 juin 2024. Photo tirée de son compte X
« Si vous arrivez à (obtenir l’aval de) 86 députés, je convoquerai une séance de dialogue qui aura lieu à la Chambre. » Motivé par ce « défi » que lui a lancé le président de la Chambre, Nabih Berry, lors de leur dernière réunion, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, en plein recentrage, continue de s’activer pour s’affirmer comme un élément incontournable pour le déblocage de la présidentielle. Quitte à creuser davantage le fossé interchrétien, notamment avec son plus grand rival, le leader des Forces libanaises, Samir Geagea. Car à l’heure où ce dernier se montre de plus en plus intraitable dans son rejet de tout dialogue pré-élection sous la houlette du maître du perchoir, M. Bassil semble désormais ouvert, récente reprise de langue avec Aïn el-Tiné oblige, à un tel dialogue, même sans la participation des FL, qui forment pourtant (avec le CPL) l'un des grands blocs chrétiens majoritaires de la Chambre.
« Finis la perte de temps et les caprices. Nous voulons élire un président dans les plus brefs délais », lance un ancien député CPL pour L’Orient-Le Jour, pour expliquer la volonté de M. Bassil de relancer ses contacts. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’il conviendrait d’inscrire la prochaine réunion avec M. Berry. Si la presse locale affirmait que celle-ci était prévue lundi, des sources concordantes indiquent à notre journal que la date n'a pas encore été fixée, mais que la réunion « aura sûrement lieu ». « Ce sera l’occasion pour Gebran Bassil de dresser devant M. Berry le bilan de ses contacts avec les protagonistes », souligne l’ex-parlementaire précité. Il fait référence à la tournée effectuée il y a trois semaines par le député de Batroun et lors de laquelle il avait lancé une initiative prévoyant « un dialogue ou des consultations » suivis de séances électorales ouvertes opposant un nombre limité de candidats. « Nous savons que le seul moyen pour sortir la présidentielle de l’impasse réside dans le dialogue. C’est pour cela que nous pressons dans ce sens », justifie l’ancien député. « De plus, nous estimons avoir les 86 députés, comme le veut M. Berry », ajoute-t-il. Il s’agirait des 51 parlementaires qui avaient accordé leurs voix au candidat du Hezbollah, Sleiman Frangié, lors de la séance électorale du 14 juin 2023, ainsi que des huit députés joumblattistes, leurs collègues aounistes (au moins 15), les ex-haririens de la Modération nationale (huit) et plusieurs indépendants.
« Tout comme les FL ont prorogé le mandat de Joseph Aoun »
Cette agitation du CPL contraste avec le veto catégorique des FL à tout dialogue mené par Nabih Berry. Un point auquel les aounistes ne semblent pas accorder d’importance, mais dont a profité Gebran Bassil pour décocher ses flèches en direction de Meerab, samedi dernier. « Comment certains veulent-ils vivre seuls, alors qu’ils sont impuissants ? D’autant plus qu’ils ne possèdent pas la majorité à la Chambre (…), ni la capacité de torpiller une séance électorale, encore moins de faire élire un président », a lancé le chef du CPL lors d’une tournée dans le Akkar. « Certains ne parient que sur des événements de l’extérieur (pour changer la donne, NDLR) », a-t-il poursuivi, accusant ainsi implicitement le chef des FL de miser sur la guerre en cours à Gaza et au Liban-Sud pour affaiblir le Hezbollah et l’empêcher d’imposer l’élection de son candidat à la tête de l’État.
« Nous avons fait comprendre aux FL que ce qui nous importe le plus n’est pas leur participation au dialogue ou aux consultations avant le scrutin, mais leur présence lors de la séance électorale », affirme l’ex-parlementaire aouniste. Mais comment le CPL, qui s’était indigné d’une « marginalisation des chrétiens en matière de présidentielle », accepterait-il de mettre ce parti à l’écart de cette démarche ? « Tout comme les FL ont prorogé le mandat du chef de l’armée, Joseph Aoun, sans nous », rétorque l’ancien député, en référence à la séance parlementaire du 15 décembre 2023 rendue possible grâce à la couverture chrétienne assurée par les FL dans le but de maintenir Joseph Aoun à son poste.
En face, les FL accordent peu d’importance à l’action de M. Bassil et s’en tiennent à leur refus de dialoguer sous la houlette de Nabih Berry. « Nous sommes contre cette démarche parce qu’elle va à l’encontre de la Constitution et de la pratique démocratique. Mais cela ne veut pas dire qu’aucun dialogue ne peut se tenir sans nous, commente le porte-parole du parti, Charles Jabbour. Si les participants au dialogue parviennent à s’entendre sur un candidat, nous aviserons. »
Avec Parolin
Sauf qu'un dialogue sans les FL viendrait accentuer les divergences interchrétiennes qui avaient éclaté au grand jour lors de la réunion de Bkerké, mardi dernier, en présence du numéro deux du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, et boudée, à la surprise générale, par Samir Geagea et le chef des Kataëb, Samy Gemayel. Selon les informations de L’OLJ, cette réunion visait à concrétiser une tentative menée par le patriarche Béchara Raï et le numéro deux du Saint-Siège en vue de réunir les quatre pôles maronites (MM. Geagea, Bassil, Gemayel et Frangié) et faciliter une entente autour de quelques noms de présidentiables. Une information que les milieux de ces leaders politiques ne confirment pas, assurant que Mgr Parolin n’a porté aucune proposition pour une sortie de crise. Mais lors de son entretien avec le chef du CPL, tenu avant la réunion de Bkerké, le responsable du Vatican a insisté sur « l’importance de tourner rapidement la page de la vacance présidentielle », pour reprendre les termes d’un responsable aouniste qui a requis l’anonymat. Selon lui, Mgr Parolin a appelé à ce que « tout le monde prenne part aux démarches qui paveraient la voie à la tenue de l’échéance ». Ce message semble adressé d’abord à Samir Geagea, qui a profité de son entretien avec le numéro deux du Vatican pour expliquer sa position et réaffirmer son attachement au mécanisme constitutionnel pour l’élection d’un président, a appris L’OLJ. Si Pietro Parolin n'a pas réussi à opérer une percée dans le mur chrétien, il a tout de même tenu à ne pas leur faire assumer seuls la responsabilité du blocage – comme ne cesse de le répéter Nabih Berry. « La clé (de la solution) est ici », avait-il lancé depuis Aïn el-Tiné. Un message à double tranchant que le président du Parlement ne semble pas avoir entendu.
La comparaison entre Geagea et Bassil pour la bien comprendre Patriotisme vs clientélisme
12 h 52, le 02 juillet 2024