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Culture - Exposition

Quand Zad Moultaka peint l’or du deuil et la lumière du passage

De l’oraison à l’or, le compositeur cède en Zad Moultaka la place au plasticien. « Oro Tenebris » est une suite d’œuvres peintes qui expriment une « Prière aux ténèbres ». Un cheminement au bout duquel une fascinante aurore achève de percer.

Quand Zad Moultaka peint l’or du deuil et la lumière du passage

« De Profundis I », de Zad Moultaka, 2024. (huile, brou de noix, feuille de métal sur toile, 194 X 130). Avec l'aimable autorisation de la galerie Tanit

« J’ai vécu cette année un double deuil avec le départ de mon père suivi de celui de ma mère », confie Zad Moultaka. À la galerie Tanit, qui garde les stigmates de l’explosion du 4 aout 2020, règne par moments un recueillement d’église. Sombres, abstraites si l’on ne compte pas la forme reconnaissable d’une arche ou les empreintes de mains, les toiles se laissent éclairer par de mystérieuses dorures. Des noirs vivants, des flots clairs, des pourpres, des bleus sombres, des nuances fauves de parois rupestres décrivent l’éternel combat entre le clair et l’obscur sans que l’on sache de quel côté se situe la mort, de quel côté la vie.

Le fils d’Antoine et Latifé Moultaka, qui a biberonné les joyeux grincements de l’absurde à l’ombre de ces deux géants libanais du théâtre moderne, se contente d’observer les fantaisies de son pinceau. « Peindre, c’est apprendre à laisser surgir ce « je ne sais quoi » dont nul n’imaginerait avant son surgissement combien, par sa seule apparence, il fait sens », souligne-t-il dans le manifeste de cette exposition dont on ne sort pas indemne.

« Audi Celum II », 2024 (huile, acrylique, brou de noix, Feuille de métal, 146 X 114cm). Avec l'aimable autorisation de la galerie Tanit

« Par moments, alors que je me tenais aux côtés de mon père déjà sur le départ, je me demandais si je n’étais pas moi-même avec lui sur le versant de la mort », dit celui qui reconnaît avoir été par ailleurs fortement influencé par ses impressions vénitiennes. Entre Moultaka et Venise se déroule en effet une grande histoire d’amour renforcée par sa participation en 2017 à la Biennale d’art contemporain pendant laquelle il occupait le pavillon du Liban avec son installation sonore Samas. Cette œuvre, un totem « vivant » dont émergeaient des sons terribles et archaïques, symbolisait entre composition et art visuel le dialogue spatiotemporel entre l’Occident et le berceau de la civilisation que sont l’Irak, la Syrie et le Liban où semble se concentrer de toute éternité toute la violence dont le monde est capable. En 2021 il donnait un concert éblouissant en hommage à Stravinsky à la chiesa San Zanipolo avec les musiciens de l’ensemble Musicatreize, sous la direction du chef d’orchestre Roland Hayrabedian.

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« Ces peintures sont en moi depuis Venise », affirme Zad Moultaka qui souligne : « Quelque chose agit en profondeur et nous métamorphose. » Ce « depuis Venise » n’est donc pas une référence temporelle, mais un pressentiment de couleurs, de formes et de reflets qui l’habitent, sans autre explication. Mais il lui suffit de prononcer « Venise » pour qu’il devienne impossible de voir autre chose dans ces toiles que les miroitements nocturnes de la Cité des Doges, son long glissement dans la lagune et le combat qui s’y mène entre le sacré et le profane, l’éternel et l’éphémère, la mort et la vie qui parfois se confondent, traversent l’espace interdit sur une barque en eaux troubles, à travers une arche derrière laquelle s’étend le mystère, çà et là éclairé d’une faible lueur d’astres. « Oro Tenebris – prier les ténèbres – agit comme la quête d’un espace intérieur d’une spiritualité dormante », détaille Moultaka.

Des mains, seule présence figurative dans ces peintures aux allures rupestres, ne sont pas de banales empreintes. Audi Celum, De Profundis, Ardentis, Ex-Voto, les titres des séries de peintures ne disent pas autre chose qu’une quête du sacré, un élan vers la source divine. Aussi, ces mains sont des mains d’orants, levées vers l’espace de la toile qui tout à coup perd ses contours et se fond dans une dimension invisible. Une exposition éminemment initiatique dont on sort transformé.

*« Oro tenebris » de Zad Moultaka à la galerie Tanit, Mar Mikhaël, Beyrouth, jusqu’au 1er août 2024.

« J’ai vécu cette année un double deuil avec le départ de mon père suivi de celui de ma mère », confie Zad Moultaka. À la galerie Tanit, qui garde les stigmates de l’explosion du 4 aout 2020, règne par moments un recueillement d’église. Sombres, abstraites si l’on ne compte pas la forme reconnaissable d’une arche ou les empreintes de mains, les toiles se laissent éclairer par...
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