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La France n’est pas un îlot

Pour la première fois dans l’histoire de France, l’extrême droite peut prendre le pouvoir par les urnes. Sans surprise, le Rassemblement national est arrivé en tête du premier tour des élections législatives, malgré une mobilisation historique, et le principal enjeu du second est de savoir s’il pourra ou non obtenir la majorité absolue. Tout cela va dépendre des consignes de vote, des retraits ou non des candidats arrivés en troisième position et de ce qu’il reste de ce qui fut autrefois appelé le « barrage républicain ». S’il est encore possible que Jordan Bardella ne soit pas nommé Premier ministre dans une semaine – cela dépendra essentiellement du vote de l’électorat centriste – force est de constater que l’espace qui sépare l’extrême droite du pouvoir se réduit d’année en année depuis plus de quinze ans et que rien, pour le moment, ne semble pouvoir endiguer cette dynamique.

On peut s’en émouvoir et estimer que c’est une folie que de voter pour un parti dont l’ADN est de faire le tri entre les bons et les mauvais Français. On peut d’ores et déjà affirmer, sans grand risque de se tromper, qu’un gouvernement RN ne résoudra rien mais va attiser les haines à l’intérieur de l’Hexagone et dégrader un peu plus son image internationale.

On peut dire tout cela et bien d’autres choses encore mais cela ne servirait à rien. Cela ne convaincrait aucun électeur RN de voter différemment. On peut le nommer « vote colère » ou « vote identitaire » – il est probablement les deux à la fois – mais cela ne change rien au fait que les gens qui votent RN savent pourquoi ils le font et qu’aucun des arguments utilisés ces dernières décennies ne les feront changer d’avis.

L’inexorable montée en puissance de l’extrême droite française, qui a été maintes fois disséquée, est désormais un fait dont on ne peut plus avoir le luxe de s’étonner. On peut bien sûr considérer que la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale dans de telles circonstances est une faute grave qui restera comme la principale tache de ses deux mandats. Quand un président enferme le débat politique dans un « moi ou le chaos », c’est rarement la première hypothèse qui l’emporte et auquel cas, ce n’est jamais bon signe.

On peut sévèrement critiquer les dérives populistes tant de la gauche que de la droite qui ont contribué à dynamiter le « front republicain », derrière lequel Emmanuel Macron s’est longtemps caché sans pourtant jamais chercher à le consolider. On peut évoquer l’héritage de la colonisation, l’islamophobie, l’antisémitisme, les différents attentats jihadistes qui ont frappé la France ces dernières années, l’érosion de son modèle républicain et du principe de laïcité pour mettre en relief ce qui fait la spécificité du cas français. Mais ce serait se restreindre à une analyse qui passerait à côté de l’essentiel.

La France n’est pas un îlot. Ce qui s’y joue s’inscrit essentiellement dans une dynamique qui la dépasse et que l’on pourrait résumer ainsi : les démocraties sont en crise, les États-nations sont profondément fracturés, l’Occident vit dans le sentiment réel ou fantasmé du déclin et le monde change à une vitesse sans précédent. Tout cela provoque naturellement des peurs, des angoisses et des replis identitaires dont le populisme d’extrême droite se nourrit comme aucun autre mouvement.

Ce populisme semble essentiellement porté par deux facteurs, dont la rationalité pourrait être discutée.

Le premier est le sentiment d’un « grand déclassement » que partage une large partie de la classe moyenne de ces pays. Peu importe qu’ils vivent encore nettement mieux que les trois quarts de la planète, ils ont l’impression de vivre moins bien que leur parents et que ce qui les différencie des « pauvres » de leur propre pays et d’ailleurs est de plus en plus précaire. L’Occident a du mal à admettre qu’il n’est plus le centre du monde et que certaines choses qu’il considère être des acquis sont en réalité des privilèges.

Le deuxième facteur est lié au fait que ces pays sont en train de changer partiellement de visage en raison de la part de plus en plus importante d’immigrés en leur sein. On est loin du « grand remplacement » fantasmé par l’extrême droite et cela n’a rien d’inédit au regard de la grande histoire. Mais le fait que ces changements soient perceptibles dans une période aussi réduite, d’une génération à l’autre, alimente la xénophobie, complique l’intégration des nouveaux arrivants et met en péril la supposée cohésion nationale. L’Occident vit mal le fait d’être de moins en moins « blanc » alors même qu’il fut longtemps le principal moteur et promoteur de la mondialisation.

L’extrême droite populiste surfe sur ces deux ressentiments. Elle fait croire qu’elle est en mesure, par sa seule volonté, de stopper ces dynamiques qui agitent la planète entière. Elle se positionne comme un rempart, un refuge, voire une Église, pour des populations en mal de repères et de sens et dont le premier réflexe est d’essayer de préserver un monde qu’elles voient disparaître mais auquel elles ne sont pas pour autant prêtes à renoncer.

Elle leur promet qu’elles n’auront pas besoin de réapprendre à vivre autrement malgré le réchauffement climatique, malgré l’intelligence artificielle, malgré les flux migratoires, malgré l’évolution de la démographie mondiale, malgré les appétits des puissances revanchardes ou des nouvelles puissances qui, de la Russie à la Chine en passant par l’Iran et la Turquie, rêvent toutes de mettre fin à l’hégémonie occidentale.

Les changements vont être de plus en plus rapides et de plus en plus profonds. Le monde auquel nous nous sommes habitués, celui qui est né de la fin de la guerre froide, est déjà en train de mourir. C’est pourquoi l’extrême droite populiste, qu’elle prenne les habits du RN ou de Donald Trump, a encore de beaux jours devant elle. À l’heure de la « post-vérité » et du règne des émotions instantanées, elle ne sera pas jugée sur son bilan ni sanctionnée du fait de ses outrances. Elle sera au contraire portée par la force du déni. La France a encore une semaine pour retarder cette échéance. Et pour continuer de croire, envers et contre tout, qu’elle est encore un îlot.

Pour la première fois dans l’histoire de France, l’extrême droite peut prendre le pouvoir par les urnes. Sans surprise, le Rassemblement national est arrivé en tête du premier tour des élections législatives, malgré une mobilisation historique, et le principal enjeu du second est de savoir s’il pourra ou non obtenir la majorité absolue. Tout cela va dépendre des consignes de vote,...
commentaires (11)

Le RN n'a pas le programme économique de Trump et d'autre part le LFI importe les fréristes

Dorfler lazare

15 h 41, le 01 juillet 2024

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Commentaires (11)

  • Le RN n'a pas le programme économique de Trump et d'autre part le LFI importe les fréristes

    Dorfler lazare

    15 h 41, le 01 juillet 2024

  • Les Français en ont ras-le-bol des donneurs de leçons, qui en fait ne pigent absolument rien. Au nom de leur démocratie, ces bobos veulent imposer leurs fausses valeurs, fausses morales, fausses vérités, fausses analyses, fausses solutions. Depuis des décennies ils monopolisent la parole, sème la peur pour contrôler l'opinion et conserver leurs misérables pouvoirs de politiques, de journalistes, de pseudo intellectuels. Si les nationaux réalisent un score de 99%, ces gens là continueront encore à nous déverser leurs sottises. C'est de l'aveuglement, c'est de l'idéologie, c'est neuneu

    Nicolas ZAHAR

    13 h 27, le 01 juillet 2024

  • Cher M. Samrani, il y a quelques jours vous posiez la question à notre ancien ambassadeur, qui dirige le monde. La conférence a été conclue avec un commentaire d'un spectacteur qui a repris votre question en demandant si nous n'avions pas des têtes brulées à la tête de nos Etats. On en est là malheureusement. J'aimerais voir des médias qui analysent la politique en décortiquant les éléments de langage, de psychologie des foules et mettre en exergue tous les biais, les dérives qui conduisent au catastrophes.Depuis Charlie, la France s'enfonce dans une vision binaire sans anticiper aucun impact

    Free Mind

    13 h 13, le 01 juillet 2024

  • Merci pour votre mise en perspective vraiment intéressante mais, vu de ma Bretagne, c’est une très maigre consolation, à 73 ans de voir le mur arriver avec le klaxon dimanche prochain….

    amadieu michel

    12 h 43, le 01 juillet 2024

  • Le RN va arriver au pouvoir. Il y aura sans doute des troubles sécuritaires en France. Il faut que le Liban et les Libanais s’apprêtent à recevoir les réfugiés franco libanais.

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 39, le 01 juillet 2024

  • Jusqu’a samedi passé, dans la soirée , le Micron s’est efforcé de sauter sur un trampoline , pensant être bien protégé par un filet. Dimanche, la nuit c’est un plongeon de rafraichissement dans la Seine. De retour, reprise des sauts sur un trampoline, mais cette fois-ci dans une CAGE… Ce qui concerne les États-Unis on ne peut que sourire ! Juillet va être chaud pour toutes ces dites Démocraties Occidentales !

    aliosha

    10 h 35, le 01 juillet 2024

  • ‘’Ce populisme semble essentiellement porté par deux facteurs, dont la rationalité pourrait être discutée’’. Pour aller à l’os, la littérature sur le populisme est très abondante, surtout le Que-Sais-Je de Pascal Perrineau (éminent prof comme chacun le sait). A votre avis, monsieur Samrani, les fameux ‘’Gilets Jaunes’’, (dont presque tout le monde a oublié) tenaient un discours populiste ? Moi, je retiendrai jusqu’à présent de l’exercice du pouvoir de Macron trois choses. Les "Gilets Jaunes", la dissolution de l’Assemblée, et la remise d’une décoration à notre diva Fayrouz... Moi-je, moi-je...

    NABIL

    10 h 10, le 01 juillet 2024

  • ’’On peut bien sûr considérer que la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale dans de telles circonstances est une faute grave qui restera….mandats’’. Oui, bien sûr, car ce scrutin ressemble plus à un référendum que d’élections législatives… Que voulait Macron après presque un septennat, 5+2= 7, (pour reprendre un ancien terme d’un mandat présidentiel) par cette manœuvre (la littérature sur ce sujet est abondante) pour qu’enfin après deux forfaits présidentiels on est encore au niveau de l’apprentissage et pour qu’il retourne à Sciences Po.

    NABIL

    09 h 51, le 01 juillet 2024

  • Qu’on reproche à cette extrême droite (racisme, manque de clarté dans le programme, etc, etc, et surtout un discours populiste, et manque d’expérience du pouvoir). A propos de cette dernière, quel est cette expérience du pouvoir de M. Attal (né en 1989) que l’édito ne dit mot, quand il parle d’un ‘’projet funeste RN’’, pour encore le diaboliser. Ses réformes ont mené à quoi d’autre pour les suspendre, (la réforme du travail) le temps des élections. On verra si les Français répondront au second tour à ses ‘’consignes de vote’’.

    NABIL

    09 h 51, le 01 juillet 2024

  • La France n’est pas un îlot, certes, car son ‘’cas’’ n’est pas isolé au sein d’un ensemble plus vaste, l’Europe, et ce terme d’extrême droite varie selon les pays européens. Virage à droite, à drrroite toute. Que d’abord les Européens qui montrent la France à l’index, balayent devant leurs portes. Moi, Libanais, au nom de quoi je pourrai dire un mot sur ces élections, Libanais d’un Liban où l’on reporte les élections municipales, pour ne pas parler de présidentielle (c’est presque un sujet tabou) avec, entre autres, des candidats qui ne représentent qu’eux-mêmes.

    NABIL

    09 h 50, le 01 juillet 2024

  • Il y a aussi une tendance de ce monde en décadence de vouloir provoquer ou prolonger la ou les guerres pour continuer à avoir l’illusion qu’il est le plus fort. Alors qu’il est défait sur tous les fronts. La dissolution de l’assemblée nationale, si inattendue, est du même tonneau que de vouloir envoyer des soldats sur le terrain en Ukraine. Il faut continuer d’avoir l’air de se battre pour oublier le fait qu’on a déjà perdu.

    Karim JBEILI

    09 h 15, le 01 juillet 2024

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