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Les Robinsons de l’info


Nous revoilà donc, tels des naufragés échoués sur le sable, à scruter fiévreusement l’horizon dans l’attente de quelque augure favorable pointant du large. Cette île plantée au beau milieu d’une mer de tempêtes, aux côtes ouvertes à tous les vents, est bien nôtre, pourtant. La nature l’a dorlotée, chouchoutée à profusion, au point d’en faire un coin de paradis ; mais du fait des peuplades qui y vivent en oubliant trop souvent de coexister, la variété de pomme qui fait fureur dans cet Éden est celle de discorde.

Pour cette raison, les Libanais sont voués à se satisfaire volontiers, et même parfois avec gratitude, de stabilité importée. Les yeux braqués sur le vaste monde, livrés à notre atavique nombrilisme, nous nous perdons, jusque dans les chaumières, en doctes spéculations sur les inévitables retombées locales des changements survenant dans le vaste monde. Dans un pays qui tirait naguère fierté de sa démocratie parlementaire, nous nous avérons incapables, depuis bientôt deux ans, d’élire un chef de l’État. Bonnes ou mauvaises, les fées étrangères qui s’activent vainement au chevet du Liban pour l’aider à accoucher enfin d’un président sont, de surcroît, trop absorbées par leurs propres affaires (électorales, tiens !) pour s’occuper sérieusement de nos misères.

Peu suspecte pourtant de traditions démocratiques, la République islamique d’Iran sacrifiait ainsi hier au rituel des urnes pour se doter d’un nouveau président, en remplacement du défunt Ebrahim Raïssi tué dans un accident d’hélicoptère. Pour encourager les électeurs à se rendre nombreux aux bureaux de vote et conférer ainsi quelque légitimité populaire à l’opération, les très vigilants gardiens de la révolution ont même pris le risque de valider la candidature d’un réformiste. En France, c’est un risque politique encore plus gros qu’a pris le président Emmanuel Macron en ordonnant la dissolution de l’Assemblée au lendemain de la fracassante victoire du Rassemblement national aux élections européennes. Les élections anticipées, dont le premier tour aura lieu dans les toutes prochaines heures, pourraient en effet se solder par l’avènement, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, d’un gouvernement d’extrême droite, ce qui impliquerait une cohabitation quasiment impraticable. Jamais, en fait, les enjeux n’auront été plus importants : pour les Français bien évidemment, mais aussi pour nombre de nos concitoyens, compte tenu des liens historiques forgés entre les deux pays. Mais n’est-ce pas avec plus d’anxiété encore que les Libanais se retrouvent scotchés aux péripéties d’une campagne présidentielle américaine dont l’issue, prévue pour novembre, affectera profondément le sort de notre région ?

Dans la patrie du show-biz, même la conquête de la Maison-Blanche tourne à la promotion publicitaire et une performance ratée ne pardonne pas. C’est à ce sport éminemment périlleux que s’est imprudemment livré jeudi, face à la bête de scène qu’est Donald Trump, un Joe Biden accusant trop visiblement son âge avancé et la peine qu’il a à s’exprimer clairement. Si calamiteuse était en fait sa prestation qu’elle a fait souffler un vent de panique sur le Parti démocrate.

De ce débat organisé par la CNN, les Américains auront surtout suivi les thèmes à incidence domestique : l’économie, l’avortement, l’immigration , peut-être aussi le climat. Mais à l’heure où l’on est en droit de s’alarmer d’une troisième guerre mondiale, il en allait autrement pour le reste de la planète. C’est d’ailleurs sur le terrain de la politique étrangère qu’un Trump débitant avec assurance les mensonges les plus flagrants et les tartarinades les plus énormes a rondement mené le jeu. S’il est élu, il se promet de régler l’affaire ukrainienne sans même attendre d’avoir récupéré le bureau Ovale. L’homme qui avait fait cadeau de Jérusalem et du Golan à Israël exige que l’on laisse celui-ci achever le boulot à Gaza. Entre autres injures abondamment échangées avec Biden, il croit insulter ce dernier en l’accusant d’être devenu un Palestinien : pire encore, un très mauvais Palestinien, non aimé des Palestiniens, car faible !

L’outrance du propos ne saurait néanmoins faire oublier que l’actuel président des États-Unis est un chaud partisan d’Israël, même s’il n’a jamais eu d’atomes crochus avec Benjamin Netanyahu. Il n’a édulcoré son total soutien à l’État hébreu que sous la pression de ses jeunes partisans horrifiés par la boucherie de Gaza. Dès hier, il repartait en campagne pour tenter de sauver les meubles et aussi la face. Mais la convention démocrate va sans doute se trouver acculée à réviser sa stratégie ; or elle n’a que quelques semaines pour retirer de la course le canasson exténué et aligner un poulain susceptible de battre l’extravagant fonceur républicain.

Tout naufrage suscite naturellement la compassion. Pour la Palestine cependant, comme pour le Liban fourvoyé à son corps défendant dans le conflit de Gaza, c’est plutôt un massacre d’un autre type qu’on a pu regarder sur CNN.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Nous revoilà donc, tels des naufragés échoués sur le sable, à scruter fiévreusement l’horizon dans l’attente de quelque augure favorable pointant du large. Cette île plantée au beau milieu d’une mer de tempêtes, aux côtes ouvertes à tous les vents, est bien nôtre, pourtant. La nature l’a dorlotée, chouchoutée à profusion, au point d’en faire un coin de paradis ; mais du...