Alors que la tension monte entre le Hezbollah et Israël dans le Liban-Sud, de nombreux observateurs s’attendent à ce qu’elle dégénère prochainement en guerre ouverte. Le 26 juin, plusieurs gouvernements ont commencé à conseiller à leurs citoyens de quitter le Liban. Il est très probable qu'une escalade se produise dans les semaines à venir, mais pour l'instant, nous n'en sommes pas encore aux dernières étapes préparatoires de l’apocalypse.
Pourquoi les pessimistes ont-ils été si affirmatifs ? À cause des signaux ambigus envoyés par l'administration Biden. Lors d'un récent voyage à Washington, une délégation israélienne a entendu des responsables américains déclarer qu'en cas de conflit avec le Hezbollah, les États-Unis soutiendraient pleinement Israël. Cela a notamment incité le chercheur Firas Maksad à déclarer à ce journal que le « feu rouge américain contre une offensive israélienne au Liban est passé à l’orange, et il pourrait bientôt passer au vert». Des arguments renforcés par les avertissements américains selon lesquels le Hezbollah avait tort de penser que Washington pourrait empêcher une invasion israélienne.
Tout cela est peut-être vrai, mais il est plus probable que les déclarations de l'administration Biden s'inscrivent dans le cadre d'un effort concerté visant à inciter le Hezbollah à faire preuve de plus de souplesse en vue d'une solution négociée dans la zone frontalière. En effet, les responsables américains ont répété à maintes reprises, et plus récemment lors de la visite à Washington du ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, qu'une nouvelle guerre libanaise serait catastrophique pour Beyrouth comme pour Tel-Aviv. Les États-Unis craignent qu'elle ne dégénère en une conflagration régionale qui entraînerait l'intervention des forces américaines. C'est pourquoi le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a déclaré à M. Gallant que « la diplomatie fondée sur des principes est le seul moyen d'empêcher toute nouvelle escalade des tensions dans la région ».
Le président Joe Biden comprend également qu'une guerre au Liban pourrait compromettre ses chances de remporter les élections américaines de novembre. Il resterait alors coincé entre l'aile droite et l'aile gauche d'un Parti démocrate très divisé, tout en s'aliénant les Américains d'origine arabe et les progressistes, ce qui entraînerait un taux d'abstention élevé parmi certains groupes d'électeurs. Selon le Washington Post, Donald Trump devance Biden dans cinq des sept États les plus susceptibles de déterminer l'issue de l'élection.
Jeu du faucon et de la colombe
Les Israéliens et le Hezbollah ne cessent, eux, de bomber le torse. Le degré d'intimidation a atteint des niveaux surréalistes : Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, a menacé de bombarder Chypre si l'île était utilisée comme base pour frapper le Liban ; tandis que l'ancien ministre israélien Benny Gantz a averti que si le réseau électrique de son pays était mis hors service, Israël pourrait « plonger le Liban dans l'obscurité totale et démanteler le pouvoir du Hezbollah en quelques jours ». Il semble cependant ignorer que le réseau national libanais n'offre déjà que quelques maigres heures d'électricité par jour, tout au plus, et qu'une armée incapable de « démanteler » le pouvoir du Hamas en huit mois ne le fera certainement pas pour le Hezbollah en l'espace de quelques jours.
Tout le monde peut voir que le Hezbollah et Israël sont enfermés dans une sorte de jeu du faucon et de la colombe visant à voir qui pourrait céder le premier. Bien sûr, tout peut encore « mal tourner », mais il est remarquable qu'au cours des neuf derniers mois, les deux parties ont globalement respecté leurs règles d'engagement mutuelles, même si elles ont parfois franchi quelques lignes jaunes pour renforcer leurs capacités de dissuasion. La vraie question est de savoir ce que les parties peuvent espérer obtenir si elles décident de véritablement en sortir.
Deux approches
Le fait est que Tel-Aviv ne semble pas disposer d'options militaires susceptibles d'apporter un meilleur résultat qu'un règlement négocié. Pour l'essentiel, les Israéliens peuvent adopter deux grandes approches pour rassurer les habitants du nord d'Israël et les encourager à rentrer chez eux. La première consiste à débarrasser la zone frontalière des militants du Hezbollah, ou du plus grand nombre possible d'entre eux, en créant au Liban-Sud une sorte de « free fire zone » (un concept hérité de la guerre du Vietnam selon lequel toute personne s’y trouvant, même civile, est considérée comme ennemi, NDLR). Cette solution semble intéressante en principe, mais c'est en grande partie la situation actuelle, et la sécurité d'Israël ne s'est pas améliorée de manière notable. Le Hezbollah réagirait en tirant par-dessus cette zone et en y créant une atmosphère qui éloignerait les habitants. Il chercherait sans doute à imposer sa propre équation : « Pas de paix et de sécurité dans le nord d'Israël s'il n'y a pas de paix et de sécurité dans le sud du Liban. » Et ne voit pas très bien comment Israël pourrait l’empêcher.
La seconde option consiste à pénétrer sur le territoire libanais et à tenter d'imposer un nouvel équilibre des forces le long de la frontière. Mais qu'est-ce que cela signifie réellement ? À moins qu'Israël ne soit disposé à envahir le Sud, à y rester et à construire une nouvelle zone de sécurité, à l'instar de ce qu'il a fait entre le milieu des années 1970 et 2000, toute opération militaire, à supposer qu'elle soit couronnée de succès, pourrait aboutir à la chute de son gouvernement déjà affaibli. Une invasion limitée signifierait seulement que le Hezbollah retournerait dans la zone frontalière après le départ des Israéliens, tandis qu'une occupation à long terme entraînerait ces derniers dans un nouveau bourbier libanais, alors qu'ils étaient impatients de s'en extraire en 2000.
Tout cela intervient alors que la presse israélienne rapporte que ses capacités militaires sont insuffisantes pour une guerre sur plusieurs fronts. Comme l'a écrit un commentateur du Haaretz : « Le profond déficit du budget du capital humain d'Israël l'oblige à repenser le nombre de guerres qu'il est capable de mener, tant que ce choix existe encore. » Dans le même temps, le réseau de défense aérienne tant vanté par Israël est également potentiellement vulnérable, les États-Unis ayant averti que le Dôme de fer pourrait être submergé par des attaques massives de roquettes.
C'est pourquoi l'issue la plus sûre pour les Israéliens est peut-être celle qu'ils rejettent de tout cœur : la reprise du statu quo en vigueur avant le 7 octobre, qui a maintenu la stabilité dans le Sud pendant dix-huit ans. C'est ce que préfère le Hezbollah, mais pour le gouvernement Netanyahu, l'accepter serait non seulement reconnaître l'échec de ses objectifs de guerre déclarés, mais aussi ne pas rassurer les habitants du Nord, ce qui inciterait nombre d'entre eux à quitter définitivement la région.
Tout détruire, encore ?
Que doivent donc faire les Israéliens ? Habituellement, lorsqu'ils sont pris dans des dilemmes comme celui-ci, leur réflexe est de tout détruire, tout en ne changeant pas grand-chose par ailleurs. C'est ce qui s'est passé en 2006 au Liban, et c'est ce qui se passe à nouveau à Gaza, où l'absence de plan réaliste d'après-guerre de la part du gouvernement israélien a entravé la campagne militaire en la privant d'un objectif politique. Même les efforts d'Israël pour détruire Gaza au point de forcer lentement la population à quitter le territoire ne seront probablement pas couronnés de succès.
Le problème d'Israël est qu'il croit pouvoir résoudre toutes ses difficultés en recourant à la violence. Or, ce raisonnement s'est avéré de moins en moins efficace au cours des trois dernières décennies. L'Iran et le Hezbollah ont multiplié les points de pression sur les Israéliens, qui ont continué à se soustraire à toute résolution du problème palestinien, que leurs ennemis régionaux ont exploité à leur avantage. C'est un facteur que les dirigeants et la société israéliens ont négligé de prendre en compte lorsqu'ils ont passé des années à ignorer les Palestiniens.
Ce qui joue également en défaveur d'Israël, c'est que le Hezbollah se battra jusqu'au dernier Libanais s'il s'agit de préserver l'influence régionale de l'Iran. Dans le même temps, si les Israéliens s'abstiennent de bombarder les villes et les infrastructures libanaises, il est peu probable que le parti le fasse en premier. Cela signifie que le résultat final de leur confrontation sera décidé sur le terrain, dans la zone frontalière, où les tensions se concentrent aujourd'hui.
Israël sait qu'un cessez-le-feu avec le Hezbollah est lié à celui à Gaza, ce qui est l'une des raisons pour lesquelles il est si réticent à accepter ce dernier. Une cessation permanente des hostilités à Gaza inciterait le Hezbollah à mettre fin à ses opérations militaires, ce qui rendrait plus difficile pour Israël d'imposer une nouvelle réalité dans le Nord. Mais pour y parvenir, ce dernier doit déterminer quelles sont ses capacités. Tout porte à croire qu'il n'a que peu d'options. Ses fanfaronnades peuvent être la conséquence de la frustration qu'il ressent à l'idée que l'issue la plus raisonnable est un retour au statu quo ante. Les Israéliens ne l'accepteront peut-être jamais, mais dans l'état actuel des choses, ils n'ont pas d'alternative convaincante à leur conflit frontalier.
Ce texte est aussi disponible en anglais sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.
Par Michael YOUNG
Rédacteur en chef de Diwan. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).
Excellente analyse !
21 h 16, le 30 juin 2024