![Pourquoi Geagea et Gemayel ont boycotté le sommet de Bkerké Pourquoi Geagea et Gemayel ont boycotté le sommet de Bkerké](https://s.lorientlejour.com/storage/attachments/1419/AParolin_748904.jpeg/r/800/AParolin_748904.jpeg)
Le cardinal Parolin à son arrivée mercredi au Grand Sérail. Photo Joseph Eid/AFP
Après le « sommet spirituel » de Bkerké mardi, il n'y a pas que le boycott de la communauté chiite qui a fait couler de l'encre. L'absence de deux principaux leaders chrétiens, le chef des Forces libanaises Samir Geagea et celui des Kataëb Samy Gemayel de ce sommet, organisé à l’occasion de la visite du numéro deux du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, continue aussi de faire des vagues. L'argument d'une absence liée à des considérations de sécurité personnelle, avancé aussi bien par les FL que par les Kataëb, ne convainc pas. D’autant que dans le cas de Samir Geagea, ce dernier aurait été vu en public à Jbeil il y a quelque temps, lors d’un déjeuner avec le député FL de la région, Ziad Hawat.
« Par précaution de sécurité, Samir Geagea n’assiste pas à des événements dont la date et le lieu ont été définis à l’avance, indique Charles Jabbour, porte-parole des FL à L’Orient-Le Jour. Nous n’avons pas boycotté la réunion, puisque nous avons envoyé notre député Pierre Bou Assi. » « D’ailleurs, il s’agissait surtout d’une rencontre cordiale. Il n’y avait pas d’initiatives politiques », ajoute-t-il. Quant à Samy Gemayel, qui a envoyé le député Nadim Gemayel le représenter, « il ne se déplace jamais (lui non plus ) à un endroit dont l’adresse et le rendez-vous sont fixés d’avance, souligne le porte-parole du parti, Patrick Richa. C’est une routine qu’il adopte depuis un certain temps et que nous prenons très au sérieux ». Et d'ajouter : « Les Kataëb ne boycottent jamais les réunions à Bkerké avec lequel les relations sont au beau fixe. Mais il est clair que ceux qui sont dans les bonnes faveurs du Hezbollah se déplacent comme il leur plaît et participent à toutes les réunions. Par contre ceux qui expriment clairement et honnêtement des positions intrépides, risquent gros. » Une référence au chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil et celui des Marada Sleiman Frangié, tous deux proches du Hezbollah, et qui étaient présents lors du sommet de mardi.
Bras de fer interchrétien
Du côté de Bkerké, cependant, la déception est grande. D’autant plus que c’est à la demande du secrétaire général du Vatican, dépêché par le pape lui-même pour tenter de paver la voie à un accord autour de la présidentielle – sujet de prédilection par excellence au Saint-Siège – que les organisateurs ont décidé d’accueillir les chefs de file chrétiens. « Si vous continuez sur cette voie et maintenez un comportement potentiellement suicidaire, c’en est fini pour le Liban », aurait dit le cardinal devant les leaders chrétiens, d’après une source du CPL. Sollicité par L’OLJ, un proche du patriarche a expliqué l’absence de MM. Geagea et Gemayel par un jeu d’ego. « Ils refusent le principe de rencontre entre les pôles chrétiens à Bkerké, dit-il. C’est un faux pas qui nuit à l’Église et aux chrétiens. » « Certains leaders chrétiens se prennent pour des incontournables et veulent que la solution passe par eux… c’est un peu ce qu’ils reprochent à Nabih Berry », a-t-il ajouté en allusion au chef du Parlement, qui conditionne le déblocage du dossier présidentiel à la tenue d'un dialogue national sous sa houlette.
Si les responsables à Bkerké n’ont pas mâché leurs mots, c’est parce que le patriarche a été « étonné » du comportement des deux leaders chrétiens, qu’il a qualifié de « manque de respect au Vatican et à son haut représentant », comme souligné par la source aouniste. Le double boycott de MM. Geagea et Gemayel a d’ailleurs été une occasion de plus pour les FL et le CPL de donner libre cours à leur hostilité l’un envers l’autre. « L’absence de certains leaders chrétiens est une attitude négative non seulement à l’égard de Bkerké mais également du Vatican. Un manque de respect aussi par rapport au principe du rapprochement et du dialogue », a indiqué le CPL dans un communiqué. Et d’ajouter : « Comment expliquer le refus des rencontres nationales, chrétiennes-musulmanes, chrétiennes-chrétiennes, sinon par une volonté d’obstruction de tout règlement et de la perpétuation de la vacance présidentielle », fustige le CPL.
La riposte ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué, les FL ont dénoncé les tenants des « “porte-voix” au sein du CPL » comme au sein de « la moumanaa (le camp du Hezbollah ) », accusant ces derniers de se placer en porte-à-faux avec la « politique nationale adoptée par Bkerké en s’alignant sur ceux qui ont attaqué l’Église en lui attribuant les qualificatifs les plus vils ». L’allusion est faite aux propos d’une violence inédite du mufti jaafarite qui, mardi dernier, a accusé le patriarcat d’être « instrumentalisé pour servir l’intérêt du terrorisme sioniste et de la criminalité mondiale ».
Rencontres en marge
Il y aurait toutefois un autre motif qui aurait dissuadé les deux leaders chrétiens de se rendre au sommet de Bkerké : les rencontres en tête à tête que le cardinal Parolin avait prévues avec plusieurs personnalités libanaises, dont l’ensemble des leaders chrétiens.
Lors de sa visite, l’émissaire du pape a rencontré à tour de rôle Samy Gemayel et Samir Geagea. Il s’est également entretenu avec Sleiman Frangié et Gebran Bassil. On apprend de sources concordantes que ces réunions en aparté sont restées confidentielles pour des raisons probablement sécuritaires, à l’exception de celle avec Samy Gemayel, tenue mercredi. « Les Kataëb sont soucieux de voir l’élection d’un président capable de communiquer avec toutes les parties », a souligné Samy Gemayel pour l’occasion dans un communiqué. Au cours de la réunion, qui a duré deux heures de temps, M. Gemayel a évoqué dans ce cadre « la paralysie qui touche l’ensemble des institutions constitutionnelles, résultant de l’intransigeance du Hezbollah et de ses alliés, et de leur hégémonie sur les grandes décisions du Liban ».
Dimanche, le cardinal Parolin s’était entretenu avec le député de Zghorta et ancien candidat de l'opposition à la présidence, Michel Moawad. « Le Vatican considère que si les institutions sont en danger, et à leur tête la présidence de la République, c’est toute la formule libanaise qui s’en trouverait menacée », a confié une source au courant de la teneur des rencontres avec les figures chrétiennes.
Placée sous le thème de la préservation du vivre-ensemble et de la nécessité de réhabiliter le rôle du « Liban-message », concept cher au pape Jean-Paul II , le responsable du Vatican a inclut dans ses rencontres personnelles une séance d’échange avec les membres du comité de suivi de la déclaration d’al-Azhar sur la « citoyenneté et le vivre-ensemble » (2017) et de la « déclaration sur la fraternité humaine » d’Abou Dhabi (2019), une initiative de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora. La déclaration d’al-Azhar, rappelle-t-on, proclame que « tous les citoyens sont égaux dans l’islam » et élimine toute discrimination civique fondée sur l’appartenance religieuse.
« Malheureusement nous sommes désormais en dernière position en matière du vivre-ensemble. Le Vatican lui est très concerné par cette situation et soucieux de préserver l’exemple libanais », a indiqué M. Siniora à L'Orient-Le Jour évoquant un document que les membres du comité ont soumis au cardinal. Étaient notamment présents à cette rencontre : les anciens ministres Tarek Mitri et Khaled Kabbani, l’ancien député Farès Souhaid, Mohammad Sammak, membre du comité de dialogue islamo-chrétien, Antoine Messara, ancien membre du Conseil constitutionnel, et Antoine Courban, auteur et activiste. « Le drame dans notre pays est que, en présence de micro-ambitions, nous récoltons des macroconséquences », a conclu M. Siniora.
" Tout royaume divisé contre lui-même court à la ruine;aucune ville,aucune famille,divisée contre elle-même ne se maintiendra . " ( Matthieu , 12:25 ) M.Z
14 h 35, le 29 juin 2024