Alors que la Sajerie attire une clientèle qui double d’une année sur l’autre, Mo Fathallah observe une routine millimétrée tous les matins pour la préparation de la pâte destinée à dorer sur ses deux sajs. Une fois que le pétrissage est lancé, « impossible de m’interrompre », martèle le patron de la Sajerie, avant d’ajouter avec un sourire énigmatique que la recette est secrète. « Tout ce que nous proposons est sans gluten, et tout ce que je peux dire, c’est que j’utilise de la farine de riz. Il m’a fallu quatre ans pour la mettre au point. »
Jusqu’en août 2020, Mo Fathallah était producteur et distributeur de films au Liban. « Mon grand-père a fondé Fathallah films à Beyrouth en 1950. C’est moi qui ai distribué par exemple Le Prophète de Khalil Gibran, avec Salma Hayek, j’aimais beaucoup mon métier », précise ce producteur dont le travail a été brutalement mis à mal par la crise économique de 2019.
« Notre argent était bloqué, il était devenu impossible d’acheter des films, et en plus, nous habitions au centre-ville, au cœur des manifestations. Ma femme, franco-libanaise, qui était venue au Liban quelques années plus tôt pour découvrir le pays de son père après le décès de ses parents, a souhaité rentrer à Paris. Nous avons préparé notre déménagement en juillet 2020 puis elle m’a précédé en France. Quelques jours plus tard, la double explosion au port a eu lieu. Je venais de quitter mon bureau du centre-ville, qui a été entièrement soufflé. Il n’est rien resté de toutes nos affaires, stockées au port», se souvient-il avec une émotion intacte.
Arrivé à Paris, le couple se retrouve sans rien et repart de zéro. « Je ne savais pas quoi faire, je parlais à peine le français, et il était hors de question pour moi de travailler dans le cinéma, je n’avais aucun contact. Ma femme m’a conseillé d’ouvrir un restaurant et de proposer des créations sans gluten, je me suis lancé ! » Un de ses amis d’enfance, établi en Arabie saoudite, propose son aide pour financer le projet, et le voilà parti à la recherche d’un local, sans jamais se départir de son regard distancié de producteur cinématographique. « J’ai passé des mois à marcher dans la ville, pour mieux la connaître. Finalement, je suis tombé sur le local de la rue d’Abbeville, je n’avais aucune idée du fait que c’était un quartier à la mode », confie-t-il avec humour. Pour l’aménagement et le design du lieu, des amis du couple donnent un coup de main, avant l’ouverture en décembre 2021.
Moderniser le saj
Nombreuses sont les personnes qui ont mis en doute la réalisation d’une manouché sans gluten, vouée selon eux à ne pas lever et à être trop compacte. Aujourd’hui, ce que Mo Fathallah préfère par dessus tout, c’est de voir la joie de ceux qui se sont privés de galettes libanaises pendant des années à cause de la maladie cœliaque liée à une intolérance au gluten. « Les sandwichs que je propose peuvent être vegan, végétariens ou avec de la viande. Leurs compositions ont toutes des liens avec mon histoire passée. Le scénario du sandwich halloum, avocat, tomate, épinard, évoque ce que la mère d’un de mes amis nous préparait quand nous étions étudiants. Le sandwich poulet-toum me fait penser au restaurant Marrouche, à Beyrouth. L’association des aubergines frites et du labné est une idée de mon père ; quant au lahmé baajine servi avec de la labné, c’est une influence arménienne », précise l’ancien producteur.
Dans son petit restaurant qui peut accueillir une quinzaine de clients sur place, des salades et mezzés sont également proposés, notamment la salade artichaut, menthe, pistache et son zaatar fait maison.
Les desserts sont eux aussi passés au crible des tendances culinaires contemporaines : la mouhallabieh est vegan, la knefé est sans gluten, tout comme les cornets de glace destinés à des crèmes glacées merry cream à la ashta, à la rose ou pistache.
« Ma clientèle est super sympa, et à 90% française. J’ai des habitués qui viennent trois fois par semaine ! Le saj traditionnel consommé à midi a tendance à endormir, mais ce n’est pas le cas avec la farine de riz. Les clients apprécient le côté levantin des créations. La mouhammara qui accompagne l’aubergine rôtie rappelle les traditions syriennes, les basterma et soujouk l’influence arménienne… », ajoute Mo Fathallah.
Forte de son succès, La Sajerie va prochainement se dupliquer à Paris. « Au fond, j’utilise les mêmes compétences pour la production de films et la gestion de la Sajerie. Il s’agit de gérer un budget, et de développer un plan d’action nourri de bon sens. Et puis quand j’ai une question, j’appelle ma mère ! » souligne le distributeur beyrouthin. Ayant grandi en ville, il reconnaît que le saj revêt pour lui une dimension exotique. Son projet n’est donc pas de revivre des souvenirs d’enfance mais de moderniser un héritage patrimonial.
« Cette activité est celle qui m’a apporté le plus de satisfaction. Et je travaille sans cesse sur de nouvelles recettes. En ce moment, c’est la kebbé sans gluten », lance le restaurateur. Passionné par son nouveau projet, Mo Fathallah n’a pas dit son dernier mot dans le domaine du cinéma pour autant. « J’ai ça dans le sang et je suis attentivement l’actualité cinématographique . Si je pouvais produire un film en ce moment, je raconterais une histoire de résilience, avec l’idée que l’on ne doit jamais croire que c’est fini, on peut toujours repartir. » Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants…
La Sajerie, 20, rue d’Abbeville, 75009 Paris
Du lundi au vendredi : 12h00 - 22h30
Le samedi : 12h - 15h30.
Bravo Mo ! Quelle fierte pour le Liban !Tes recettes uniques sont un delice et ton accueil est toujours aussi chaleureux avec cet immense sourire :) Tu iras loin
07 h 46, le 28 juin 2024