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Culture - Focus Sur...

Dalia Baassiri, l'artiste qui joue avec les flammes

Après avoir fait de la cendre, de la poussière et de la mousse de savon les éléments fondamentaux de son art, la plasticienne passe à la paraffine fondue dans sa nouvelle série d’œuvres présentée à la galerie Janine Rubeiz. Parcours.

Dalia Baassiri, l'artiste qui joue avec les flammes

Dalia Baassiri jouant avec le feu des cierges de prières pour la réalisation de sa dernière cuvée d’œuvres « The Harvest ». Photo DR

Elle dialogue chaque matin avec les arbres de sa rue, les caresse du regard, enregistrant chaque nouvelle entaille laissée sur leurs troncs par de barbares abatteurs, marchands de charbon pour narguilés… Dont elle récupère, à l’occasion, les reliquats de branches coupées abandonnées à terre, pour les transporter dans son atelier où elle les conserve comme un précieux butin de guerre contre les abuseurs écologiques.

Vue d'un coin de l'exposition "The Harvest" de Dalia Baassiri à la galerie Janine Rubeiz. Avec l'aimable autorisation de la galerie Janine Rubeiz

Dalia Baassiri a toujours agi de la sorte. Attirée par la fragilité des choses et des matières, par tout ce qui est menacé, éphémère, délicat. Tout ce qui évoque l’impermanence des êtres et des situations… Elle les collecte, les recueille chez elle, avec la passion de la collectionneuse qu’elle est mais aussi et surtout avec la furieuse envie de les « solidifier et leur donner une nouvelle vie en les élevant au rang d’objets d’art», dit-elle.

Son atelier à Hamra devient ainsi le refuge de ses multiples pièces rapportées. Ces substances fragiles, vulnérables, fragments de matières organiques que sont la cendre, la poussière, la poudre de graphite, les branches de bois qu’elle y entasse sans idée préalable de ce qu’elle pourrait en faire.

Sculpteuse de poussière

En 2013, c’est à partir de la cendre issue de l’incendie de l’appartement familial à Saïda – à la suite d’événements sécuritaires – que, fraîchement diplômée du Chelsea College of Arts de Londres, elle élabore ses premières œuvres artistiques. Quelques années plus tard, elle s’attaquera à la poussière, cette substance qui évoque aussi bien l’univers domestique que la finitude des êtres, pour la transmuer en vecteur d’art, lui donner à travers la sculpture une envergure et une pérennité nouvelles.

Confortée dans sa démarche par les prix et les encouragements des professionnels du milieu de l’art, la jeune femme poursuit sur sa lancée expérimentale en créant des formes sculpturales avec... de la mousse de savon répandue dans l’évier.

À travers cette statuaire éphémère, baptisée Sink-ronized, c’est vers un art domestique qu’elle se dirige. « Je veux intégrer l’art dans chaque maison, en amenant les gens à réfléchir à toutes les formes possibles qu’ils peuvent créer chaque fois qu’ils se lavent les mains », avance celle qui utilise souvent d’ailleurs les instruments de cuisine dans son travail de création.

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Ses « sculptures de poussières ou de savon », elle les transposera aussi en œuvres de performance frisant le monumental et qui traverseront diverses grandes villes et expositions internationales de Londres à New York, en passant par l’Arsenale Nord à Venise ou la Espronceda Institute of Art and Culture de Barcelone. Avant qu’elle n’en immortalise certaines au crayon mine. À l’instar d’un Mount Neverest formé à l’origine par l’écume savonneuse repris dans une série de dessins au graphite, qui sera acquise par la Barjeel Art Foundation de Charjah en 2022.

La mystique des arbres et des bougies

Un corpus d’œuvres sur papier qui amorcera son retour au dessin, passion première de cette plasticienne, et la poussera à renouer avec l’art pictural, lors d’une résidence d’artiste, à l’été 2023. Elle y déclinera, sous un angle nimbé d’une spiritualité un peu ésotérique, deux thèmes « à la fois différents et complémentaires », que sont les humains en prière et les arbres. Des thématiques issues de la « maturation » de ses pensées en lien avec sa collecte de matières et de branchages gardés dans son studio. Et dont il résultera cette « moisson » (comme l’indique le titre de l’exposition: The Harvest*) d’une vingtaine d’œuvres sur toiles de lin, actuellement accrochées sur les cimaises de la galerie Janine Rubeiz, dans une curation signée Hanibal Srouji et une scénographie privilégiant, intentionnellement, une pénombre de sanctuaire…


« When the Season Returns VI » mixed-médias sur toile de Dalia Baassiri de l’exposition Dalia Baassiri, « When The Season Ret» (53 x 61 cm, 2023). Avec l'aimable autorisation de l'artiste

Tout commence par des prières à Harissa

Car, pour cette dernière cuvée d’œuvres, tout est parti d’un ramassage de bougies à Notre-Dame de Harissa. Dalia Baassiri qui est née en 1981 et a grandi à Saïda n’avait jamais eu l’occasion de visiter ce lieu de pèlerinage marial. De nature contemplative, la jeune femme s’imprègne de l’énergie apaisante qui s’en dégage.

« J’avais depuis longtemps le désir de visiter Harissa. J’ai adoré observer les gens issus de toutes les confessions du Liban prier, allumer des cierges et se connecter avec cet au-delà qui dépasse toutes leurs divergences », confie celle qui, mue par une impulsion irrépressible, ramènera de sa visite un lot de bougies entamées…


Un an plus tard, invitée par Ashkal Alwan (l’association libanaise pour les arts plastiques) à réaliser un travail au cours d’une résidence de quatre mois, c’est avec leur paraffine fondue – délimitée sur la toile libre dans un espace en médaillon obtenu par l’usage d’un moule à cake rond – incluant des dessins au crayon et à la poudre de graphite, relevé d’un soupçon de peinture à l’acrylique, qu’elle entame ses variations sur le thème d’une « planète en prière ». Ce rêve d’amour universel et d’apaisement entre humains que cette artiste au visage de madone caresse depuis toujours se love aussi dans son rapport sensoriel et quasi ésotérique aux arbres. « S’approcher d’un arbre, le toucher, l’enlacer, régénère et équilibre votre énergie. C’est scientifiquement reconnu. Ce sont des éléments d’ancrage, des forces de la nature qui apportent, comme la prière, une forme de résilience… Ce sont eux qui ont le plus résisté à la dévastation de la double explosion du 4 août 2020 », plaide celle qui a donc tout naturellement traité, dans une série complémentaire, ce thème des arbres. Avec les mêmes techniques mixtes, additionnées de morceaux d’écailles de murs de l’immeuble Fayad qu’elle avait collectés dans les débris de l’explosion au port de Beyrouth. Des arbres qu'elle représente en troncs et branches coupées, avec des vides laissés à dessein pour exprimer, dit-elle, « tout ce qui nous impacte dans la vie, nous fracture et nous fragmente ».

Un ensemble de sujets, de techniques et de matières à travers lesquels l’artiste exprime, comme toujours, sa sensibilité à la vulnérabilité des choses, des êtres et d’un pays nommé Liban…

*« The Harvest » de Dalia Baassiri, jusqu’au 12 juillet à la galerie Janine Rubeiz, imm. Majdalani, Raouché. Visite guidée avec le curateur de l’exposition le 3 juillet à 16h.

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Elle dialogue chaque matin avec les arbres de sa rue, les caresse du regard, enregistrant chaque nouvelle entaille laissée sur leurs troncs par de barbares abatteurs, marchands de charbon pour narguilés… Dont elle récupère, à l’occasion, les reliquats de branches coupées abandonnées à terre, pour les transporter dans son atelier où elle les conserve comme un précieux butin de guerre...
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