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Environnement - Focus

Le réchauffement climatique accroît-il la fréquence des turbulences aériennes ?

Si de récentes études ont confirmé ce phénomène, les professionnels du métier semblent plutôt relativiser.

Le réchauffement climatique accroît-il la fréquence des turbulences aériennes ?

Un avion de la Middle East Airlines en plein vol, le 4 octobre 2023. Photo Layal Dagher

Bagages au sol, masques à oxygène déployés, passagers secoués dans leurs sièges, des blessés et même un mort… Trois incidents dus à des turbulences aériennes sont survenus au cours du mois écoulé. Dernier en date : celui de la Air New Zealand reliant Wellington à Queenstown, deux villes de Nouvelle-Zélande, qui a connu le 16 juin de fortes secousses, blessant un passager et un membre d’équipage. Cet incident s’est produit moins d’un mois après un autre, plus grave encore, à bord d’un vol reliant Londres à Singapour. Le 21 mai, un Boeing de la Singapore Airlines est ainsi pris dans des turbulences sévères à 11 300 mètres au-dessus de la Birmanie. Il fait une chute en plein vol de 1 800 mètres et atterrit d’urgence à Bangkok. Un passager britannique de 73 ans est décédé et plus de 100 autres blessés. Cinq jours plus tard, c'est un vol de la Qatar Airways reliant Doha à Dublin qui traverse d’importantes turbulences alors qu’il survolait la Turquie. Bilan : six passagers et six membres d'équipage blessés.


Selon plusieurs études, l’augmentation de la fréquence de ce phénomène serait due au réchauffement climatique. Mais les professionnels du métier semblent plutôt relativiser. Que sait-on des turbulences aériennes et peut-on les éviter ? Quid de l’impact du réchauffement climatique ? L’Orient-Le Jour fait le point.

Des turbulences pas toujours détectables

« Tout mouvement chaotique de pression et de vitesse dans l'atmosphère est considéré comme une turbulence », explique Fadi Ramadan, commandant de bord basé au Liban. Certaines sont facilement détectables par les pilotes et les radars, rappelle-t-il. Il s’agit essentiellement des turbulences mécaniques qui se produisent lorsque le flux d'air heurte des structures artificielles ; des turbulences thermiques dues à l'air chaud qui s'élève ; des turbulences orographiques qui ont lieu lorsque le vent se heurte à des chaînes montagneuses ; des turbulences dues aux orages ; et des turbulences frontales qui se produisent lorsque des masses d'air chaud et froid entrent en collision, déplaçant l'air chaud vers le haut.

Et puis il existe d’autres turbulences qui surviennent de manière inattendue : il s’agit des turbulences en air clair qui se produisent dans un ciel sans nuages à une altitude supérieure à 4 500 mètres en raison du changement de la vitesse verticale et horizontale de la direction de l’air. « Si les stations météorologiques permettent de prévoir leur localisation, un pilote ne les repérera que lorsqu’il y sera pris », précise Fadi Ramadan. Ce type de turbulences constitue donc un défi pour les pilotes qui tentent de les esquiver au mieux. Selon le capitaine, les pilotes sont les meilleurs rapporteurs de turbulences en air clair. « Lorsque nous rencontrons des turbulences, nous informons les contrôleurs aériens qui le signalent à leur tour aux opérateurs de vols », indique-t-il.

Les turbulences en air clair en hausse

Une étude de chercheurs britanniques publiée en juin 2023 dans la revue Geophysical Research letters a mis en évidence une forte augmentation des turbulences en ciel clair entre 1979 et 2020. Les turbulences légères ont ainsi augmenté de 17 %, passant de 466,5 heures à 546,8 heures au-dessus de l'Atlantique nord ; les turbulences modérées de 37 % (bondissant de 70 heures à 96,1 heures) et celles graves de 55 % (27,4 heures en 2020 contre 17,7 en 1979). Des augmentations similaires sont également observées sur le continent américain.

Une autre étude publiée dans la même revue en 2017 prévoyait que les turbulences en air clair pourraient être quatre fois plus fréquentes d’ici à 2050, selon certains scénarios de changement climatique. Interrogé à ce sujet, Fadi Ramadan tempère. « Il s'agit d'une augmentation des turbulences d’(environ) 100 heures sur une année entière (…) À une grande échelle, l'augmentation n'est donc pas assez importante pour que les pilotes la ressentent », nuance-t-il. Ce dernier estime également que les passagers sont « davantage enclins à ressentir les turbulences » parce que les médias en parlent de plus en plus.

Pour mémoire

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Un point de vue que rejoint Roy*, un pilote libanais de jets privés, basé au Royaume-Uni et qui a requis l’anonymat pour des raisons professionnelles. « Je n'ai pas observé d'augmentation des turbulences (…) au cours des deux dernières décennies. Ce qui a augmenté, c'est le partage de ces phénomènes par les passagers sur les réseaux sociaux », nous confie-t-il. Le pilote affirme n’avoir été confronté à des turbulences sévères qu’une seule fois durant sa carrière de 24 ans : au-dessus des Alpes, en Italie.

Fadi Ramadan reconnaît également la rareté de ce phénomène. « En 15 ans d'aviation, c’est-à-dire l’équivalent de plus de 10 500 heures de vol, je n’ai été pris dans de sévères turbulences qu’une seule fois au-dessus de l’Europe en 2014, et cela n'a pas duré plus de 5 minutes », affirme-t-il.

Face aux dernières études, les professionnels du métier relativisent. « L’augmentation des turbulences pourrait être due au changement climatique mais aussi à d’autres facteurs. Il pourrait s’agir de quelque chose dont nous n’avons pas encore pris conscience », estime Fadi Ramadan. Ce dernier affirme que les turbulences pourraient être « davantage sensibles au changement climatique » dans les zones qui présentent différents types de climat, comme l’Amérique du Nord et la région au-dessus de l’océan Atlantique. Selon lui, les turbulences en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient « ne sont pas si graves et ont toujours été les mêmes ». « Les gens diront qu’ils sentent la différence, mais c’est surtout à cause d’un biais de confirmation », conclut-il.

* Le prénom a été modifié.

Bagages au sol, masques à oxygène déployés, passagers secoués dans leurs sièges, des blessés et même un mort… Trois incidents dus à des turbulences aériennes sont survenus au cours du mois écoulé. Dernier en date : celui de la Air New Zealand reliant Wellington à Queenstown, deux villes de Nouvelle-Zélande, qui a connu le 16 juin de fortes secousses, blessant un passager et un...
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