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Nos Lecteurs ont la Parole

Quand les styles cognitifs des politiciens plongent le pays dans une agonie permanente

« Vous ne pouvez pas comprendre un système avant d’essayer de le changer. » (Kurt Lewin)

Les analyses politiques concernant la crise du vide présidentiel au Liban regorgent d’examens des conditions régionales et locales nécessaires pour atteindre l’échéance constitutionnelle, ainsi que des qualités pragmatiques ou machiavéliques des acteurs – locaux ou étrangers – qui prennent des initiatives pour créer un terrain d’entente entre les antagonistes locaux, afin de faciliter l’élection d’un président. Mais on ne parle presque pas des styles cognitifs ou des caractéristiques structurelles des représentations qui se manifestent régulièrement dans les expressions politiques des dirigeants. Or comprendre les préférences cognitives de ceux-ci est crucial lorsqu’il s’agit de trouver des solutions aux crises politiques récurrentes et, plus fondamentalement, pour éviter leur récurrence.

Les dirigeants locaux observent les situations, les évaluent et prennent des décisions en fonction de critères issus

d’arrière-plans confessionnels combinés à des intérêts particuliers, personnels et partisans. Ces critères renvoient aux traditions, soit l’ensemble des pratiques, croyances, rituels et valeurs transmis de génération en génération au sein de chaque communauté, nourries d’expériences historiques souvent négatives qui engendrent une méfiance répandue à travers un complexe de traumatismes collectifs, de conflits interreligieux, de manipulations politiques, de mémoire collective et d’identité distincte.

Les intérêts particuliers ne sont pas seulement influencés par l’hostilité, la lutte pour le pouvoir et la division entre les confessions, mais également par les luttes internes à chaque confession, dans un contexte oriental peu favorable à la diversité. Les dirigeants, surtout ceux des confessions les plus influentes, cherchent à consolider leur position en excluant leurs rivaux internes et externes. Cela crée une ambiance de méfiance et d’hostilité généralisée.

L’institutionnalisation du confessionnalisme ne fait qu’accentuer cette ambiance en créant une séparation permanente entre les confessions, d’une part, et en privilégiant les intérêts personnels et sectaires au détriment du bien-être général, d’autre part. Chaque dirigeant cherche à maximiser ses propres avantages, souvent assimilés aux avantages de sa confession. Il recourt à un discours exclusif qui souligne les différences avec les autres, ou utilise fréquemment des rhétoriques qui exacerbent les divisions non seulement entre les confessions, mais aussi à l’intérieur même de chaque confession pour mobiliser sa base en sa faveur.

Il existe une vérité douloureuse, voire tragique, qui se dégage de l’histoire contemporaine du Liban, particulièrement depuis le début des années 1970 jusqu’à aujourd’hui : les dirigeants privilégient souvent des stratégies de rivalité plutôt que de coopération, cherchant à dominer et même à éliminer leurs adversaires plutôt qu’à collaborer. Cette compétition partisane, en ignorant les principes les plus élémentaires de la démocratie, affaiblit les institutions de l’État et complique la mise en place de politiques visant à définir un bien commun et un intérêt national, et à renforcer une identité nationale commune. Bien que les prémices de cette identité partagée existent, la politique des dirigeants confessionnels empêche leur développement et leur consolidation. Les styles cognitifs de ces dirigeants peinent à promouvoir des valeurs et des objectifs transcendant les divisions confessionnelles et partisanes. En conséquence, la construction d’une vision collective de l’avenir, partagée par tous les Libanais, reste bloquée.

Les observateurs étrangers sont perplexes devant l’immobilisme ou l’inaction des dirigeants politiques face à la crise nationale, trouvant cette attitude surprenante et difficile à comprendre. En revanche, le peuple libanais, qui en subit les conséquences, a une perception claire de la situation : les styles cognitifs des dirigeants sont mal adaptés à la promotion de valeurs et d’objectifs qui transcendent les divisions confessionnelles et partisanes.

Les compromis recherchés par les médiateurs politiques, voire les facilitateurs, ne font que temporiser les problèmes sans les résoudre véritablement. Ces mesures ne font que donner un court répit au pays jusqu’à ce qu’une nouvelle crise survienne et aggrave la situation. En réalité, toutes les solutions proposées pour surmonter les crises récurrentes depuis les années 1950 se sont révélées être simplement des palliatifs temporaires, repoussant ainsi les véritables causes sous-jacentes des problèmes. De ce fait, le pays se trouve piégé dans un cycle de crises intermittentes où les tensions réapparaissent dès que les conditions changent ou qu’un événement provocateur, qu’il soit interne ou externe, se produit.

L’ouverture des médiateurs politiques aux forces non confessionnelles, ou potentiellement non confessionnelles, même si celles-ci exercent une influence minime sur la scène politique, est nécessaire. Ces forces, telles que les organisations non gouvernementales (ONG), offrent une alternative aux styles cognitifs des dirigeants. Actives dans la société libanaise, elles répondent aux besoins variés de la population et promeuvent le bien-être social et environnemental sans affiliation confessionnelle. Elles apportent des perspectives diversifiées, différentes de celles des dirigeants politiques, et permettent une vision plus large et inclusive des enjeux sociaux et politiques. En outre, elles peuvent servir de contrepoids aux pouvoirs politiques établis. Renforcer le rôle de ces forces dans la société est essentiel pour progresser vers la démocratie. « Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas. » (Lao Tseu).

Père Salah ABOUJAOUDÉ,

s.j.

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« Vous ne pouvez pas comprendre un système avant d’essayer de le changer. » (Kurt Lewin)Les analyses politiques concernant la crise du vide présidentiel au Liban regorgent d’examens des conditions régionales et locales nécessaires pour atteindre l’échéance constitutionnelle, ainsi que des qualités pragmatiques ou machiavéliques des acteurs – locaux ou étrangers –...
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