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Idées - Zone euro

Les risques financiers du coup de poker d’Emmanuel Macron

Les risques financiers du coup de poker d’Emmanuel Macron

Le président français Emmanuel Macron annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale, après à la déroute de son camp aux élections européennes, le 9 juin 2024. Archives AFP

Lorsque l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing était ministre des Finances dans les années 1960, il a qualifié de « privilège exorbitant » le statut d’émetteur de la monnaie de réserve mondiale dont jouissaient les États-Unis. Mais ce qualificatif s’applique tout aussi bien à la position actuelle de son propre pays au sein de l’Union monétaire européenne. Malgré des déficits budgétaires qui ne cessent de se creuser, la France est depuis longtemps en mesure d’emprunter à des conditions presque aussi avantageuses que l’Allemagne. Le marché obligataire a même ignoré l’abaissement de la note de la dette souveraine française par S&P à la fin du mois dernier, laissant entendre que la France était en quelque sorte à l’abri de la discipline habituelle en matière de crédit. Puis la politique est intervenue.

Suite à la montée en puissance de l’extrême droite française lors des élections européennes de ce mois-ci, la décision abrupte du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections anticipées a suscité une réaction résolument négative de la part des marchés. Mais les investisseurs pourraient maintenant sous-estimer la résilience du privilège exorbitant français.

Indulgence

Les graines de ce privilège ont été semées dans le traité de Maastricht de 1992, qui a créé une union monétaire sans union fiscale. Ce système exigeait une règle de « non-renflouement », afin d’éviter que les pays prodigues ne profitent de la situation de membres plus responsables sur le plan budgétaire. Mais la crise de l’euro de 2010-2012 a révélé la faille fatale de cette conception : si l’interdiction des renflouements signifiait que la Banque centrale européenne ne pouvait pas servir de prêteur en dernier ressort, cela menacerait l’union monétaire et, par extension, l’ensemble du projet européen.

Le compromis qui en a résulté reposait sur une règle fiscale. La BCE était prête à acheter des quantités illimitées d’obligations des États membres de la zone euro, à condition que leurs plans budgétaires soient conformes aux règles fiscales établies et appliquées par la Commission européenne. Entre-temps, la police fiscale de Bruxelles est restée très indulgente à l’égard des gouvernements français. Les crises des petits pays périphériques, puis de l’Italie, avaient été suffisamment alarmantes. La dernière chose qu’ils voulaient, c’était une crise similaire avec la France, la pierre angulaire de toute la construction européenne. Ils ont donc imaginé un stratagème.

En guise de sanction pour son non-respect systématique des règles fiscales, et conformément à la « procédure concernant les déficits excessifs » de l’UE, Paris promettait de resserrer les boulons, et la Commission se déclarait satisfaite. La BCE disposait alors d’une couverture politique pour acheter des obligations souveraines françaises (si nécessaire), ce qui a permis aux marchés d’évaluer la dette publique française presque aussi bien que les Bunds allemands, en dépit de l’absence de toute amélioration réelle de la situation budgétaire de la France.

Cette mascarade n’était pas nécessaire lorsque les règles budgétaires de la zone euro ont été suspendues en réponse à la pandémie de Covid-19. Mais les règles (avec quelques modifications) ont maintenant été rétablies, et le déficit budgétaire français (à 5,1 % du PIB) est plus éloigné que jamais du seuil de 3 %. Ainsi, avant même le dernier choc politique, la danse entre Paris et Bruxelles s’annonçait plus délicate qu’à l’accoutumée. La France allait devoir s’engager à réduire le déficit d’un demi-point de pourcentage du PIB, et même cet ajustement modéré aurait pu déclencher un vote de défiance à l’encontre du gouvernement de M. Macron à la chambre basse du Parlement, où son parti a perdu la majorité lors des élections de 2022.

« Danse budgétaire »

Deux ans plus tard, l’élection éclair pourrait bien remplacer le gouvernement centriste boiteux de Macron par un gouvernement dirigé par des partis dont les campagnes ont abandonné toute prétention à la discipline budgétaire. L’élection du Parlement européen et les derniers sondages montrent que le principal défi vient du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et des partis de droite alliés, et les marchés financiers réagissent déjà de la même manière qu’ils l’ont fait lorsque Mme Le Pen s’est lancée pour la première fois dans une course au pouvoir crédible en 2017. À l’époque, elle promettait d’abandonner l’euro et de rétablir le franc français. Bien qu’elle ait ensuite abandonné cette idée, elle a encore secoué les marchés lorsqu’elle s’est à nouveau présentée à la présidence en 2022. Il n’est pas surprenant que les marchés soient à nouveau effrayés : si le RN et ses alliés remportent cette élection, il ne sera pas dans l’intérêt de Mme Le Pen de mettre à mal le privilège exorbitant dont jouit son pays au sein de la zone euro. En fait, elle aura tout intérêt à l’exploiter pour se frayer un chemin jusqu’à la présidence en 2027. C’est pourquoi son premier ministre désigné, Jordan Bardella, a déjà fait marche arrière sur la promesse de campagne la plus coûteuse sur le plan fiscal : l’annulation de l’augmentation de l’âge de la retraite (de 62 à 64 ans) qu’Emmanuel Macron a imposée l’année dernière malgré les protestations de l’opinion.

Ainsi, dans le cas d’un gouvernement de cohabitation à droite, je m’attendrais à voir la même vieille « danse budgétaire » vis-à-vis de Bruxelles, bien qu’avec une plus grande rhétorique qui déstabiliserait encore plus les marchés. Il en irait de même pour un gouvernement de gauche élu sur la base d’un programme agressif d’imposition et de dépenses, puisque les recettes provenant de l’augmentation des impôts satisferaient probablement la police fiscale européenne.

L’issue qui justifierait le mieux les craintes des marchés serait en réalité celui de l’impasse : si les alliances de droite et de gauche remportent chacune environ 200 sièges, tandis que le bloc centriste de M. Macron est réduit de 250 à 150 sièges au maximum, il sera extrêmement difficile de former un gouvernement, et encore plus un cabinet stable. Bien que tout futur gouvernement français soit susceptible de reprendre la « danse budgétaire », il faut être deux pour danser le tango. Une impasse politique persistante à Paris laisserait Bruxelles sans gouvernement avec lequel s’engager, et plus les limbes politiques dureraient, plus l’instabilité financière et les dommages causés à l’économie européenne seraient importants.

Copypright : Project Syndicate

Professeure d’économie internationale et de politique économique à l’université Queen Mary (Londres).

Lorsque l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing était ministre des Finances dans les années 1960, il a qualifié de « privilège exorbitant » le statut d’émetteur de la monnaie de réserve mondiale dont jouissaient les États-Unis. Mais ce qualificatif s’applique tout aussi bien à la position actuelle de son propre pays au sein de l’Union monétaire...
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