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Culture - Théâtre

« Chou ya achta », tout ce que vous avez voulu savoir sur le harcèlement sans jamais oser le demander

Jusqu’au 23 juin se joue au théâtre Monnot une pièce indispensable. Il faut aller voir ce salvateur détricotage des tabous et préjugés liés aux questions du sexe, mis en scène par Riad Chirazi avec Cynthya Karam, Wafa’ Halawi, Salma Chalabi et Katy Younès dans des rôles audacieux.

« Chou ya achta », tout ce que vous avez voulu savoir sur le harcèlement sans jamais oser le demander

Katy Younes, Wafa’ Halawi, Cynthya Karam et Salma Chalabi dans la pièce « Chou ya achta ». Photos DR

« Achta » : crème de lait dont sont garnies les pâtisseries levantines. « Achta » : un mot qui résonne comme un sifflement au passage d’une femme et qui la ravale au rang d’objet consommable. Chou ya achta  : le titre d'une comédie sombre, en arabe libanais (donc panaché d’expressions et de mots français et anglais), mise en scène par Riad Chirazi, jouée par Cynthya Karam, Wafa’ Halawi, Salma Chalabi et Katy Younès. Le script de Wafa' Halawi et Riad Chirazi aborde la question, banalisée ou taboue dans notre région, du harcèlement sexuel subi par les femmes et de la vulnérabilité des enfants face à la prédation sexuelle des adultes.

Détricotage des préjugés

La scène s’ouvre sur un décor joyeux, pop et vitaminé : six cabines roulantes, éclairées, deux grises, une jaune, une bleue, une rose et une orange. De jeunes comédiens de l’Université libanaise vêtus de noir les rapprochent, les éloignent, les intervertissent au gré du scénario. Une mention spéciale s’impose pour les costumes, assortis au décor avec leurs couleurs franches, partenaires à part entière de ce jeu des apparences créé pour masquer et banaliser des histoires de vie d’une inavouable noirceur.

Cynthya Karam, toujours solaire, juste et bouleversante dans son jeu. Photo DR

Cynthya Karam, toujours solaire, juste et bouleversante tant son jeu puise sa matière dans la chair vive, est une fringante thérapeute qui veut sauver le monde en dénouant les problèmes d’ordre sexuel de ses patientes. Tout commence sur une note légère, avec le détricotage de certains préjugés liés au sexe, longueur du pénis, efficacité du sperme comme produit cosmétique et autres sujets qui prêtent à sourire. Le public rit, détendu, complice. Le personnage campé par une Salma Chalabi exquise de candeur est une femme amoureuse de son mari, mère de deux enfants et qui se sent désormais confinée dans ce rôle avec le sentiment d’être désormais négligée par son partenaire. La thérapeute lui donne des tuyaux, lui conseille de prolonger les préliminaires, mais rien ne fonctionne et tout renvoie la jeune maman aux couches et aux travaux ménagers. À côté de la cabine rose-illusions de Salma Chalabi, la cabine bleu-blues, où la patiente campée avec intensité par Wafa’ Halawi se sent prisonnière de ses vêtements, ne parvenant pas, malgré son désir, à assumer sa nudité. En la poussant dans ses retranchements, la thérapeute va ouvrir une boîte de Pandore qui va la ravager elle-même pour des raisons qu’on laissera le spectateur découvrir. Dans la cabine orange, enfin, une jeune étudiante, campée par une Katy Younès qui réussit la parfaite combinaison de l’adolescente idéaliste et de l’activiste déterminée, se bat pour dénoncer les pratiques exhibitionnistes d’un professeur de son université. Elle découvre qu’il existe au Liban une loi, la loi 205, supposée protéger les femmes de toutes formes de harcèlement. Mais pour obtenir gain de cause, les victimes doivent affronter des conditions et procédures rédhibitoires.

Derrière le rire, des vérités dénoncées dans la pièce "Chou ya achta". Photo DR

« Va embrasser tonton »

Un dialogue courageux, audacieux, fait monter la tension, passés les premiers sourires. À mesure que la pièce progresse, les gorges se nouent. Chacun est renvoyé à sa propre histoire. Le harcèlement, s’il est plus courant à l’encontre des femmes, n’épargne pas les hommes, et les agressions sexuelles subies par les enfants sont favorisées par une culture du tabou, du silence, mais aussi de bizarreries telles qu’une tendance, surtout dans les milieux ruraux, à exposer les mineurs aux adultes : « Va embrasser tonton, montre ton zizi à tonton », etc. Ceux qui sont venus voir une comédie en sont pour leurs frais. Mais l’autodérision n’est pas moins efficace et grâce à la marée d’émotions brassée avec un immense talent par ces comédiennes, une fenêtre intérieure s’est ouverte.

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Des victimes qui auraient dû parler plus tôt

Les gorges étaient encore nouées quand l’obscurité est tombée sur la scène. Pour le salut final, ce sont quatre femmes en larmes – souriant à travers les larmes – qui se sont penchées pour remercier un public debout, fortement ébranlé par la force du message et l’audace de celles qui le portent. Mais il a fallu délier cette tension positive pour lancer le nécessaire débat sans lequel chacun serait rentré seul, peut-être désemparé, avec des idées tristes. Les questions posées ont permis de défricher le problème, révélant notamment que la loi 205 a été largement révisée au Parlement pour en arriver à cette protection incomplète et semée d’embûches. Le problème du harcèlement des hommes par certaines femmes a également été évoqué, pour faire bonne mesure, et des idées ont été proposées pour protéger les mineurs de l’agression des adultes. Présente dans la salle, la juge pour enfants Joëlle Abi Haïdar a confié avoir laissé aller, tout au long de la pièce, les émotions qu’elle a appris à dompter face à la multitude de cas tragiques auxquels elle est constamment confrontée. Elle a notamment confié avoir été interpellée par une phrase prononcée par Cynthya Karam : « Si j’avais su plus tôt. » Le fait de savoir à temps l’importance de lever les tabous est cruciale, a souligné la magistrate qui a, à cet égard, attiré l’attention sur le fait que les agresseurs d’enfants sont souvent eux-mêmes des victimes qui auraient dû parler plus tôt. La coproductrice Michele Fenianos a rappelé que le scénario est basé sur des témoignages réels, sous les conseils de la thérapeute sexuelle Dana Serhan.

Le théâtre remplit ici tous ses objectifs en déliant la parole, en braquant la lumière sur les maux secrets des sociétés et en dénonçant des crimes naguère protégés par le silence, tels que le féminicide qui ne peut plus, après une dizaine d’années d’activisme, passer comme un banal fait divers.

Un grand moment de vérité, Chou ya achta, se joue encore les 20, 21, 22 et 23 juin au théâtre Monnot. Billets chez Antoine Ticketing

Fiche technique 
Écrite par Wafa' Halawi & Riad Chirazi
Produite par Michele Fenianos & Wafa' Halawi
Mise en scène par Riad Chirazi
Avec Cynthya Karam, Wafa' Halawi, Salma Chalabi et Katy Younes.
Gestion de production par MFG Consulting.

« Achta » : crème de lait dont sont garnies les pâtisseries levantines. « Achta » : un mot qui résonne comme un sifflement au passage d’une femme et qui la ravale au rang d’objet consommable. Chou ya achta  : le titre d'une comédie sombre, en arabe libanais (donc panaché d’expressions et de mots français et anglais), mise en scène par Riad Chirazi, jouée par Cynthya...
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