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Plages

Cette hâte de début d’été, impatience comme on dit des jambes sans repos, presque douloureuse à force… Bientôt la fin de l’école, les examens, le bac, l’anxiété qui va avec et puis le grand soulagement, quoi qu’il arrive, la profonde inspiration-expiration qui accompagne les chaînes quand elles se brisent. Après une longue année de devoirs, l’entrée dans l’indu. Après une longue année passée de chaise en chaise, enfin le droit au corps, le droit de se déplier, déployer, sentir ses contours, tenir debout, courir, renouer avec le petit animal en soi trop longtemps tapi, dompté, écrasé. Laisser s’exprimer son horloge intérieure, dormir à pas d’heure, à l’envi, se réveiller sans alarme, ce cogne-cœur de tous les autres matins.

Et puis ce premier réveil où l’on vous dit « plage ! » Robes à fleurs légères comme des pétales, la brise autour de soi, rien qu’à soi, tiède, joueuse, délicate. Shorts découvrant les premiers duvets aux jambes et le sentiment, sous la casquette rabattue et dans la perspective d’affronter les éléments, fussent-ils des vaguelettes, d’être tellement, tellement plus que ce peu de soi qui dépasse des vêtements colorés. Plage ! Et la peau frémit, les petits pieds trépignent dans les sandales. Dans la voiture flotte encore un peu de sommeil inachevé. Le paysage défile lentement. Toujours dense, la circulation heurtée de la saison fait partie du programme. Elle permet de contempler, entre bleus et verts chahutés de rose, d’orange ou de blanc quand les bougainvillées ont leur folie, les enfilades de magasins aux noms farfelus, les maisons où vivent les autres, avec leurs enfants qui sont peut-être eux aussi en route vers la plage, inconnus familiers avec qui l’on se bousculera tout à l’heure en riant, avec qui on fera la queue devant le marchand de glace.

Ce qu’on aura fait : s’assoir sur le sable et regarder bouger ses doigts de pieds. Faire des paquets de boue légère en caressant la matière à la fois rugueuse et douce. Attendre le flux qui désarçonne, se laisser emporter un peu plus près de l’eau immense. Chercher pied et puis découvrir qu’on n’a pas vraiment besoin de pieds. Se laisser balloter, envelopper, bercer par la mer-mère. Perdre son chapeau, perdre ses lunettes, perdre ses flotteurs, sa pelle, son seau, la mer vous prend toujours quelque chose pour vous garder près d’elle. Perdre son château dont les vagues sont friandes. Apprendre à rebâtir. Revenir vers les parents-sentinelles, couchés sur les transats relevés pour mieux les voir, mordre dans la chair fondante d’une pastèque. L’odeur de la pastèque et l’odeur de la mer se confondent. Revenir vers l’eau, jouer au héros, piquer une tête comme les adultes, perdre l’équilibre, manquer de se noyer tandis qu’un sauveteur maladroit vous tire par les pieds. Crier contre le vent, contre les marées, entendre sa propre voix noyée dans la grande rumeur marine, crier plus fort pour être sûr de s’entendre après tant de mois où l’on a été contraint au silence, où la parole a demandé permission. Et puis on est revenu au coucher du soleil, dans la touffeur de l’appartement qui sent l’antimoustique. Du sable entre les doigts de pieds, soleil partout, irradiant les épaules, les bras, le dos, les joues, compresses d’amidon et d’eau de rose. Engourdis de fatigue, étendus sur les lits tièdes, des vagues jouant encore sur la peau, de bas en haut, jouant et berçant, la petite houle au lit et les larmes qui montent, on ne sait jamais pourquoi. Et ce sentiment de plénitude : pleurer bercé, pleurer porté. Encore une journée arrachée, sans le savoir, à l’adversité. Ne jamais hésiter à lui en arracher tant et plus à celle-là. Donner du bonheur aux enfants, leur donner des souvenirs. Et advienne que pourra.

Cette hâte de début d’été, impatience comme on dit des jambes sans repos, presque douloureuse à force… Bientôt la fin de l’école, les examens, le bac, l’anxiété qui va avec et puis le grand soulagement, quoi qu’il arrive, la profonde inspiration-expiration qui accompagne les chaînes quand elles se brisent. Après une longue année de devoirs, l’entrée dans l’indu. Après...
commentaires (2)

Adorable. Et se coucher le soir en sentant encore sur son corps le mouvement des vagues et le goût du sel. Joie et poésie. Et vitamines aussi pour le reste de la vie.

Gédéon Maya

12 h 55, le 20 juin 2024

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Commentaires (2)

  • Adorable. Et se coucher le soir en sentant encore sur son corps le mouvement des vagues et le goût du sel. Joie et poésie. Et vitamines aussi pour le reste de la vie.

    Gédéon Maya

    12 h 55, le 20 juin 2024

  • Une bouffée de poésie sur la vie ! Lorsqu'on cherche la beauté et pas autre chose ... Merci Fifi ABOU DIB!

    Ramzi Salman

    08 h 27, le 20 juin 2024

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