Le journaliste Rami Naïm, connu pour ses prises de position contre le Hezbollah, a été agressé en plein jour, mardi à Beyrouth, par une vingtaine d'hommes armés qu'il accuse d'être affiliés au parti chiite. L'incident est survenu alors qu'il se trouvait avec une autre personne dans une branche du café Starbuck dans le quartier de Verdun. Contacté par L'Orient-Le Jour, le Hezbollah dément être derrière cette agression.
« Il s'agit d'une tentative de meurtre claire en plein jour à Verdun. Le grand crime que j'ai commis est d'avoir des prises de position contre le Hezbollah. Au Liban, avoir une opinion est un crime. On se dirige, non pas vers le velayet e-fakih (doctrine théologique de l'islam chiite qui donne le plein-pouvoir religieux et politique à un dirigeant religieux), mais vers la Corée du Nord », a dénoncé le journaliste dans une vidéo publiée sur Instagram.
« J'ai été sauvagement agressé et frappé avec une arme. On m'a mis un revolver sur la tempe et mon ami a été menacé avec un revolver sur le ventre, pendant que les passants regardaient. On m'a dit : 'On tuera celui qui parle du Hezbollah' », a ajouté Rami Naïm, qui dirige le site d'information Assiyasa.
Dans une interview accordée mardi soir à la chaîne d'informations MTV, le journaliste raconte s'être retrouvé « encerclé par une vingtaine de personnes » alors qu'il parlait au téléphone devant le café. « Il est clair que ces hommes étaient affiliés au Hezbollah et armés. Je doute donc qu'ils soient arrêtés, mais je suis décidé à lancer une action en justice », a-t-il ajouté. « Si on essaie de tuer chaque personne qui a un avis différent de celui du Hezbollah, c'est problématique », a-t-il lancé.
Contactée par L'Orient-Le Jour, une responsable au sein du bureau de presse du Hezbollah a dit ne pas être au courant de cet incident, démentant par ailleurs que le parti chiite puisse « recourir à de telles méthodes ». La branche du café où l'agression a eu lieu n'était pas joignable. Une source au sein des Forces de sécurité intérieure n'était pas disponible non plus pour commenter cette affaire.
Rami Naïm et son ami ont été soignés à l'hôpital Saint-Georges, à Achrafieh, où plusieurs journalistes se sont rendus mardi pour témoigner de leur soutien.
Selon la MTV, le chef du gouvernement sortant, Nagib Mikati, a rapidement réagi à cet incident et demandé au ministre de la Justice, Henri Khoury, de prendre ce dossier en main. Le club des journalistes a condamné mercredi cette agression, appelant les services de sécurité « à identifier et poursuivre les agresseurs », selon un communiqué repris par l'Agence nationale d'information (Ani, officielle). Le club a salué la réaction de Nagib Mikati et insisté sur « la nécessité de respecter la liberté de la presse et la liberté d'opinion ».
De son côté, le député de Tripoli et opposant notoire au Hezbollah Achraf Rifi a dénoncé une « consécration de la loi de la jungle et des armes des milices, qui prennent en otage la liberté d'opinion ». Dans un tweet, il a exprimé sa solidarité avec Rami Naïm et appelé à lui rendre rapidement justice.
Le 13 avril, Rami Naïm avait été brièvement arrêté par l'armée, après avoir fait polémique dans une émission de radio dans laquelle il avait dénoncé un « deux poids deux mesures des forces de l'ordre entre les personnes proches du Hezbollah et leurs détracteurs » et appelé à la « désobéissance » face aux services de sécurité. « Si les forces de l'ordre commettent une erreur dans le secteur où je me trouve, nous tirerons sur elles et sur l'armée libanaise » avait-il alors lancé, avant de s'excuser, deux jours plus tard, pour ses propos.
Plusieurs journalistes opposés au parti chiite ont subi des intimidations ou des agressions ces dernières années. En février 2021, l’écrivain, éditeur et intellectuel libanais Lokman Slim, opposant farouche au Hezbollah, a été retrouvé mort au Liban-Sud, mais la justice n'a jamais prouvé l'implication du parti chiite dans ce meurtre. En août 2022, le photojournaliste Hassan Chaabane avait rapporté qu’un groupe d’individus, identifiés comme des partisans présumés du Hezbollah, l’avaient agressé après la publication de vidéos et de messages sur les réseaux sociaux concernant une manifestation organisée par un groupe d’habitants de Beit Yahoun, au Liban-Sud, contre les pénuries d’eau.
"Le Hezbollah n'utilise pas de telles méthodes " . Ce n'est pas faux. En général, il est plus explicite dans l'expression de son désaccord avec un journaliste. Cf. Lokman Slim
15 h 50, le 20 juin 2024