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Sacrifice, mode d’emploi

C’est bien connu, tout lendemain de fête ne manque pas souvent de vous laisser un arrière-goût d’amertume. Au terme du long pont d’al-Adha, nous voici d’ailleurs à affronter de nouveau les dures réalités locales et régionales.


Cette fête, la plus importante de l’islam, commémore comme on sait la soumission du prophète Ibrahim à la dure épreuve que lui imposait la volonté céleste ; alors qu’il se résignait à égorger son fils l’archange Jibril substitua à l’enfant un mouton en guise d’offrande, relatent les textes sacrés. C’est donc en souvenir de cet heureux épilogue qu’il est de tradition de faire figurer ces ovins en tête du menu de la fête, en prenant soin d’en prélever la part du pauvre. Le malheur, c’est que jamais cette édifiante fête du Sacrifice n’aura plus tragiquement porté son nom : à quels dieux barbares est en effet offerte l’inhumaine immolation de Gaza ?


Principal officiant, présidant au massacre, Benjamin Netanyahu est, de fait, un virtuose du sacrifice, et pas seulement en raison de ses talents de boucher. Car sous prétexte d’assouvir sa soif de vengeance contre le Hamas palestinien qui, le 7 octobre dernier, surprenait, culottes baissées, les gardiens de la forteresse Israël, cet homme a tout sacrifié, absolument tout, à sa propre survie politique. Bien que harcelé par les manifestants chaque jour plus nombreux, il ne se résigne pas à accepter clairement, sans détour, un cessez-le-feu permanent qui ouvrirait la voie à une libération négociée des otages israéliens. Il a causé à l’État hébreu le plus grand désastre diplomatique de son histoire et il n’en démord pas d’une guerre longue, sans objectif précis pour l’après-guerre, mais qui retarderait d’autant l’heure de rendre compte de sa gestion. Abandonné par les centristes, assailli par les ultraradicaux, il en est réduit à saborder de ses propres mains son cabinet d’urgence. Entre-temps, la boucherie reprend de plus belle et en guise de mouton d’al-Adha, les enfants affamés de Gaza ont dû écumer les poubelles entre deux bombardements.


Le martyre de Gaza, le Hamas n’en est pas lui-même innocent. L’opération Déluge d’al-Aqsa a certes remis sur le tapis une question palestinienne qui semblait confinée dans les oubliettes de l’histoire. Mais ses auteurs ne pouvaient ignorer à quel enfer ils vouaient la population de ce territoire dont ils assumaient la charge. Le jeu en

valait-il une chandelle aussi cher payée ? L’avenir le dira. En attendant, le carnage continue.


Guère plus innocent n’est un monde arabe fort en gueule certes – il faut bien lui reconnaître ça ! – mais qui s’est gardé d’user de toutes ses ressources, notamment diplomatiques et financières, pour faire stopper le carnage. Aucun traité de paix arabo-israélien n’a sérieusement été remis en cause et l’Arabie saoudite croit avoir sauvé l’honneur en gelant son projet de normalisation avec Tel-Aviv. Comme si tant de fautes par omission n’était pas déjà assez, c’est résolument par action que trois royaumes arabes franchissaient en mai dernier une hallucinante ligne rouge en s’employant à intercepter les missiles iraniens lancés sur Israël.


L’Iran, parlons-en ! Toute à ses rêves d’empire, la République islamique a repris à son compte la vieille méthode – tantôt syrienne et tantôt irakienne, libyenne ou autre – consistant à libérer la Palestine en envoyant des Libanais à l’abattoir. En ouvrant un front de diversion destiné à alléger la pression sur le Hamas, ses protégés du Hezbollah ont embarqué, bien malgré lui, le Liban tout entier dans une périlleuse équipée militaire. La milice se targue d’avoir vidé de leurs habitants les localités de la Haute-Galilée. Mais elle ne pipe mot du dépeuplement symétrique, des victimes civiles et des destructions qui ont affecté le Liban-Sud : il est en effet des sacrifices qu’il vaut mieux passer sous silence.


Maintenant que le couvercle de la marmite surchauffée menace de sauter, voici donc qu’Amos Hochstein reprend en toute hâte du service pour obtenir une désescalade pouvant mener à des arrangements plus durables. Le médiateur US (plutôt américano-israélien ou bien alors israélo-américain, on vous laisse le choix) est la coqueluche des dirigeants libanais, qui lui doivent déjà un accord sur la frontière maritime avec l’État hébreu. En réalité, c’est surtout le Hezbollah qu’il venait sonder hier, par le truchement du président de l’Assemblée Nabih Berry. C’est dire qu’en matière de paix comme de guerre, le Liban légal n’est là que pour la galerie.


Pour autant, n’hésitez surtout pas à souhaiter good luck au cher Amos. En ces temps d’infortune les archanges salvateurs, vrais ou faux, ne courent pas les rues.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

C’est bien connu, tout lendemain de fête ne manque pas souvent de vous laisser un arrière-goût d’amertume. Au terme du long pont d’al-Adha, nous voici d’ailleurs à affronter de nouveau les dures réalités locales et régionales. Cette fête, la plus importante de l’islam, commémore comme on sait la soumission du prophète Ibrahim à la dure épreuve que lui imposait la volonté...