Après le « Liban en grand » qu’évoquait à l’envi Éric Zemmour, président du parti Reconquête (extrême droite), lors de la campagne présidentielle de 2022, voilà que la France serait en train de devenir « le Liban sans le soleil », aurait décrit Sébastien Lecornu, ministre (sortant) des Armées, lors d’une conversation informelle avec son homologue de l’Économie, Bruno Le Maire, rapportée mercredi dans un article du Figaro. Partie prenante aux négociations en cours pour trouver une issue diplomatique au conflit à la frontière libano-israélienne depuis le 8 octobre 2023, Sébastien Lecornu aurait ainsi énoncé cette formule au lendemain de la dissolution surprise par le président français Emmanuel Macron de l’Assemblée nationale après la victoire du Rassemblement national (RN, extrême droite) aux élections européennes le même jour. Une dissolution qui aura fait l’effet d’un « séisme », comme l’a titré une large partie de la presse française et internationale, et entraîné de facto des élections législatives anticipées prévues les 30 juin et 7 juillet prochains.
En France, l’annonce du président français a en outre été perçue comme un nouvel exemple de la pratique « verticale » de son pouvoir qui aurait, selon Le Monde, gardé cette décision « secrète jusqu’au dernier moment auprès d’un petit groupe d’une dizaine de personnes », dont les ténors de son gouvernement étaient exclus, y compris le Premier ministre lui-même, Gabriel Attal. Ce qui aurait fait dire à Bruno Le Maire, lors de cette conversation informelle, que « nous avons en France un problème avec des institutions rendues obsolètes par une démocratie de plus en plus horizontale mais un exécutif toujours très vertical », craignant par là une paralysie politique du pays au lendemain du second tour des législatives anticipées. Autrement dit : « Le Liban sans le soleil », aurait alors abondé Sébastien Lecornu.
Le risque d’un scénario « à la libanaise », soit l’élection d’une Chambre des députés suffisamment hétérogène pour empêcher l’émergence de toute majorité et donc tout accord sur la formation d’un gouvernement, est d’ores et déjà annoncé par de nombreux observateurs. Motivée par le spectre d’une victoire probable du RN dans la foulée de sa première place aux européennes (31,37 % des voix) grâce à l’appui de ses nouveaux alliés de droite radicale (dissidents Reconquête et Les Républicains), l’alliance venant d’être conclue ce vendredi entre toutes les composantes de la gauche sous l’étiquette du Nouveau Front populaire renforce l’hypothèse de la formation de trois blocs hermétiques à l’Assemblée nationale à l’issue du scrutin à venir : un de gauche, un de centre droit (sous l’égide du parti présidentiel) et un d’extrême droite.
Vers une absence de majorité ?
« Il est fort possible qu’il n’y ait pas de majorité du tout, même relative. (...) La Constitution a été faite pour gérer des majorités relatives, pas l’absence totale de majorité. On entrerait alors dans le domaine de l’inconnu et de l’instabilité », estime le constitutionnaliste Benjamin Morel dans une interview pour le JDD. Cette tripartition du palais Bourbon pourrait en effet entraîner l’adoption systématique d’une motion de censure, prévue à l’article 49 de la Constitution de la Ve République, par une majorité absolue de députés, fixée à 289 sièges, votant de concert pour empêcher la constitution d’un gouvernement issu de l’un de ces trois blocs.
Un blocage qui pourrait en effet rappeler l’impasse dans laquelle se trouve actuellement le Parlement libanais, dans l’incapacité de trouver un accord sur le nom du successeur de Michel Aoun depuis la fin de son mandat le 31 octobre 2022. À tel point que depuis la dernière séance électorale il y a exactement un an, qui avait abouti à un nouveau « match nul » entre le candidat de l’opposition, Jihad Azour, et son adversaire appuyé par le tandem chiite Amal-Hezbollah, Sleiman Frangié, aucune troisième voie ne pointe encore à l’horizon.
Sans atteindre les standards libanais, cette impasse institutionnelle inédite sous la Ve République qui pourrait s’installer en France pourrait durer pendant au moins un an, jusqu’à ce qu’Emmanuel Macron soit à nouveau en droit de se saisir de l’article 12 de la Constitution et de prononcer une dissolution qui convoquerait la tenue de nouvelles élections législatives... Or si une majorité restait indéfiniment introuvable, la troisième voie pourrait résider entre les mains d’Emmanuel Macron qui n’aurait plus qu’une ultime carte à jouer : celle de la démission.
"la troisième voie pourrait résider entre les mains d’Emmanuel û faireMacron qui n’aurait plus qu’une ultime carte à jouer : celle de la démission". Désavoué par la majorité de sfrançais, c'est, en fait, ce qu'il aurait dû faire dés maintenant.
08 h 19, le 16 juin 2024