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Culture - Livres à la p(l)age

Le dernier roman de Jabbour Douaihy pour commencer l’été

Dans cette série, la rédaction de « L’Orient Le Jour » partage ses lectures d’été à dévorer à la plage, en montagne, sur le balcon en début d’après-midi ou le soir au lit.  Cette semaine, « Il y avait du poison dans l’air » (Actes Sud, 2024), de l’humour et de la sincérité aussi. 

Le dernier roman de Jabbour Douaihy pour commencer l’été

« Il y avait du poison dans l’air » (Actes Sud) est le dernier roman de Jabbour Douaihy, paru en français à titre posthume. Photo DR/Montage L’OLJ

« Il n’y avait pas de morts, mais il y avait du poison dans l’air. Un désir affiché de faire couler le sang. » L’enfance du protagoniste du roman Il y avait du poison dans l’air (traduit de l’arabe par Stéphanie Pujols, Actes Sud, 2024), dans cette grande fresque narrative de Jabbour Douaihy parue à titre posthume, se déroule dans un village du nord du Liban, à la fin des années 1950, à une période faste où le pays glisse peu à peu vers les années sombres de la guerre. L’itinéraire d’un pays qui amorce une chute de plus en plus vertigineuse accompagne celui d’un enfant unique assez isolé, protégé par ses lectures et ses rêveries mélancoliques. Le parcours initiatique du narrateur suit ses échecs amoureux, sa carrière d’enseignant chahutée et ses engagements politiques de dilettante. Le jeune dandy épouse les contradictions du Beyrouth des années 1970 depuis l’impayable pension où il réside, le Beyrouth-sur-Mer, lieu d’observation privilégié de personnages hauts en couleur, de la femme du patron, enjôleuse à souhait, aux Européens galvanisés par les violents combats qui ravagent le pays.

Drames familiaux, deuils, isolement, la littérature constitue le dernier rempart pour cet être pétri d’idéaux déçus. L’explosion du port de Beyrouth marque un point de non-retour, qui le conduit à une extraction sociale radicale, habitée par les auteurs qui ont façonné son imaginaire. Le final romanesque, porté par une accélération fulgurante, sublime une architecture narrative tirée au cordeau.

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« Un aspect à la fois sombre et léger »

C’est avec émotion que Stéphanie Dujols évoque sa traduction d’Il y avait du poison dans l’air, dernier roman de Douaihy. « J’avais déjà travaillé sur quatre autres romans, Saint Georges regardait ailleurs, Le quartier américain, Le manuscrit de Beyrouth et le Roi des Indes. Pour son dernier roman, je n’ai pas pu avoir les échanges habituels autour de son texte, et cela m’a beaucoup manqué. Pour le titre, il l’avait en tête depuis longtemps et il m’en avait parlé, il s’agit du titre d’un film d’Ingmar Bergman. Nous échangions beaucoup, il y avait entre nous de l’amitié et une certaine pudeur », confie la jeune femme. « Je n’ai pas eu de difficulté à traduire ce roman, car je me sens à l’aise dans son écriture et son style, et puis les textes bien tenus et maîtrisés nous emportent et s’imposent. La mise en abîme de l’auteur dans la mort de son personnage m’a émue, même si on retrouve toujours dans ses textes un aspect à la fois sombre et léger, aérien », poursuit la traductrice, sensible à la tonalité spécifique des récits de Douaihy. Les lignes tonales ne cessent de se déplacer, et on glisse délicatement du tragique à la dérision, parfois au comique.

Au fil de ce roman haletant, le rythme suit un decrescendo saisissant, avant un envol final bouleversant. « Dès les premières pages, on ressent cette trajectoire de chute, parfaitement maîtrisée, et je me demande s’il n’a pas utilisé le mouvement de son corps qui se dégradait. La traduction a suivi cette ligne, palier par palier », explique Stéphanie Dujols, qui vient de publier un texte fragmenté à la fois testimonial, poétique et graphique sur ses nombreux voyages en Palestine, Les espaces sont fragiles, carnet de Cisjordanie, Palestine, 1998-2019 (Actes Sud).

Il y avait du poison dans l’air fait écho à certains passages de l’existence de Douaihy, comme son expérience du militantisme de gauche, même s’il a une manière un peu décalée et désabusée de s’engager. Les derniers chapitres pourraient faire penser à un Ars moriendi désenchanté. « Selon moi, ce roman est sa pièce maîtresse, avec La pluie de juin. Dans tous ses livres, on retrouve des personnages asociaux, solitaires, un peu désaxés, or je ne l’ai pas connu comme cela, il était très entouré par sa famille et ses amis, notamment son acolyte Farès Sassine, décédé au même moment que lui. Tous deux se comparaient avec humour à Bouvard et Pécuchet. Dans Il y avait du poison dans l’air, Jabbour boucle de manière aboutie et approfondie l’itinéraire de ce personnage marginal récurrent », conclut la linguiste.

Le tour de force du romancier est de parvenir à esquisser les conflits politiques, mais aussi sociaux, familiaux, ou intériorisés avec douceur et humour. Le récit de la perte des illusions s’accompagne d’un apaisement dans le royaume des mots, et l’existentiel gagne du terrain sur l’événementiel. Le dénouement se déploie dans un registre jubilatoire, alors que le héros se décide enfin à « écouter sa propre voix  ».  La voix du regretté Jabbour Douaihy porte un récit magistral, qui peut lancer une saison de lecture ambitieuse et plaisante.


Rencontre à Tripoli
À l’occasion de la parution de la traduction en français du livre de Jabbour Douaihy « Il y avait du poison dans l’air » aux éditions Actes Sud (collection Sindbad), cinq intervenants : Fifi Abou Dib, Zahida Darwish, Charif Majdalani, Alexandre Najjar et Antoine Courban seront présents dans la capitale du Nord pour discuter des œuvres et de l’impact de l’écrivain zghortiote dans le paysage littéraire contemporain, tout en revenant sur la vie de l’écrivain pleine d’anecdotes et son rapport à la ville de Tripoli.
Organisé par l’Institut français de Tripoli, la fondation al-Tawarek, le Comité d’identité francophone de Zghorta Zawié, le campus du Liban-Nord de l’Université Saint-Joseph (USJ) et le département de littérature française de l’Université libanaise à Tripoli, cet événement sera l’occasion de replonger dans l’univers passionnant du célèbre écrivain Jabbour Douaihy, vu par des spécialistes.
Le vendredi 14 juin à 17h, au centre culturel Safadi, à Tripoli. 


« Il n’y avait pas de morts, mais il y avait du poison dans l’air. Un désir affiché de faire couler le sang. » L’enfance du protagoniste du roman Il y avait du poison dans l’air (traduit de l’arabe par Stéphanie Pujols, Actes Sud, 2024), dans cette grande fresque narrative de Jabbour Douaihy parue à titre posthume, se déroule dans un village du nord du Liban, à la fin des...
commentaires (2)

j'ai lu avec beaucoup d'émotion l'hommage rendu à cet auteur de stephanie dujols et voudrai découvrir Monsieur Douaihy en lisant son dernier livre , Nada Lourdelle

Lourdelle Bernard

17 h 09, le 07 juin 2024

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • j'ai lu avec beaucoup d'émotion l'hommage rendu à cet auteur de stephanie dujols et voudrai découvrir Monsieur Douaihy en lisant son dernier livre , Nada Lourdelle

    Lourdelle Bernard

    17 h 09, le 07 juin 2024

  • touchant, torturé mais si vrai, merci merci faut le lire, lu en français.

    MIRAPRA

    02 h 30, le 07 juin 2024

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