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Les objets ludiques de Nadim Karam

Les objets ludiques de Nadim Karam

© Elie Bekhazi

Dans Play: How it Shapes the Brain, Opens the Imagination, and Invigorates the Soul (Penguin Random House, 2009), Stuart Brown et Christopher Vaughan définissent le jeu comme étant « sans but, absorbant et amusant… Il n’est en rien trivial. C’est un besoin biologique aussi essentiel à notre santé que le sommeil ou la nutrition. Nous sommes conçus par la nature pour nous épanouir grâce au jeu… Particulièrement en période difficile, nous avons plus que jamais besoin de jouer, car c’est précisément par ce moyen que nous nous préparons à l’inattendu, cherchons de nouvelles solutions et restons optimistes. »

La chosification des évènements et des situations d’actualité est le jeu que l’architecte et artiste Nadim Karam en est une notoriété. En référence, l’ancien nom de son atelier, « Hapsitus », est dérivé de la combinaison de Hap (happenings) et Situs (situations). Ses impulsions créatives ont abordé, entre autres, la guerre de 2006, les vagues d’immigration, le confinement, l’explosion du 4 août au port de Beyrouth, ainsi que la récente guerre en Palestine et au Sud du Liban.

Ces tragédies ont été le sujet de sa dernière exposition dans les jardins de l’ESA Business School, le 10 mai 2024. L’acier plié et tordu, en Corten (série « To Be or Not to Be ») ou en finition colorée impeccable (série « Urban bouquets »), faisait partie du paysage politique, social et économique. Les invités à l’exposition de sculptures, issus des sphères bancaires, industrielles, culturelles et politiques, se sont côtoyés dans un environnement notable avec, en arrière-plan, les créatures imaginaires de Nadim Karam. Cette scène soulève d’éventuelles questions : l’artiste a-t-il examiné et interprété la ville en guerre en tant que telle ou bien a-t-il exploré ses dimensions socio-politiques, les transformant ainsi en poésie et en formes ? Et ces formes, appellent-elles les spectateurs à s’identifier à elles, ou bien ce sont ces objets qui sont à la poursuite de leur audience ?

Dans son catalogue Vie sur vie, rédigé suite à l’exposition de l’ESA et publié par Nadim Karam Studio et l’ESA Business School, l’artiste a souhaité offrir des « bouquets de fleurs aux villes meurtries par les violences, l’isolement et les contraintes de la vie en milieu urbain ». Ces fleurs métalliques reflètent les qualités polymorphes et fluides de la nature. En outre, il a concrétisé des objets décrivant des aphorismes variés intitulés My heart is yours, Mother anchor, Cry baby cry… Ces œuvres expressionnistes sous-entendent l’absurdité, cet irrationnel qui fait partie intégrante de notre réalité. Dans Humain, trop humain (1878-1879), Nietzsche explique ce concept en écrivant : « [l]’absurdité d’une chose n’est pas une raison contre son existence, c’en est plutôt une condition. » C’est l’absurdité qui souligne l’existence authentique des choses, ne se limitant point au rationnel ou au compréhensible. L’absurdité et l’irrationnel sont donc pour le philosophe allemand et pour l’artiste libanais des aspects fondamentaux de notre vie.

Sans but ? L’œuvre de Nadim Karam naît d’un élan créatif, sans fonction morale ou didactique. Ses espaces sont des lieux de jeu et d’expérimentation où il explore des possibilités inventives non utilitaires, rappelant les ready-mades de Marcel Duchamp.

Absorbant ? Les objets créés par l’artiste, lui-même absorbé par leur dessin et leur fabrication, engagent les spectateurs et capturent leur attention. Détails, textures, ombres et lumières immergent leur vision et leurs sens, évoquant une atmosphère qui transporte l’esprit dans un autre lieu, dans un autre état d’esprit.

Amusant ? L’utilisation de visuels humoristiques et d’éléments surprenants et inattendus, les interprétations ambiguës des objets, l’incitation à l’interaction et les caractères excentriques mènent à une expérience amusante présentée par leur créateur.

Le « sans but », l’« absorbant » et l’ « amusant » qui définissent le jeu chez Brown et Vaughan, se trouvent dans les objets de Nadim Karam. En avons-nous besoin ? Non, si nous croyons que l’avenir est prévisible, que le déterminisme est notre guide et que nous sombrons dans le pessimisme.

Vie sur vie de Nadim Karam, Nadim Karam Studio et l’ESA Business School, 2024, 80 p.

Dans Play: How it Shapes the Brain, Opens the Imagination, and Invigorates the Soul (Penguin Random House, 2009), Stuart Brown et Christopher Vaughan définissent le jeu comme étant « sans but, absorbant et amusant… Il n’est en rien trivial. C’est un besoin biologique aussi essentiel à notre santé que le sommeil ou la nutrition. Nous sommes conçus par la nature pour nous...
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