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Jean-Christophe Rufin fait son coup d’État

Jean-Christophe Rufin fait son coup d’État

© Patrice Normand

Renonçant momentanément au roman historique, genre qui a fait son succès, Jean-Christophe Rufin s’est lancé dans un roman ultra-contemporain, assez glaçant. Et si tout cela était vrai ?

Grâce à ses nombreuses vies, Jean-Christophe Rufin a accumulé les expériences, sillonné la planète, d’abord en tant que médecin pionnier spécialisé dans les crises humanitaires, puis en tant que diplomate (il a été ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie). Sans compter tous ses autres voyages, pour des raisons diverses. Même lorsqu’il écrit des romans historiques, le genre qui, depuis L’Abyssin (Gallimard, 1997), l’a rendu célèbre, il avoue y glisser toujours une part de réalité, voire de lui-même, en une sorte d’autobiographie éclatée et masquée, qu’il jure ne jamais écrire. Il y a chez Rufin une tendance, héritée du naturalisme, à travailler « sur le motif », comme les Impressionnistes, à « aller voir » sur place, selon la devise de Pierre Loti, gourou des écrivains-voyageurs.

Rufin s’est donc rendu au sultanat de Brunei, afin de nourrir D’or et de jungle, de le documenter. Un peu à la manière de Gérard de Villiers dans ses SAS, proximité un tantinet canaille que l’Académicien français assume, non sans humour. Les deux baroudeurs se sont même rencontrés autrefois… Car, avouons-le tout net, peu d’entre nous savent quoi que ce soit concernant ce tout petit État côtier de l’île de Bornéo, sur la mer de Chine, enclavé dans le Sarawak, province de la Malaisie. Un pays dont Brunei a refusé de faire partie lors des indépendances, préférant demeurer au sein de l’Empire britannique jusqu’à sa propre indépendance, en 1984 seulement. Le pays, monarchie constitutionnelle, est en fait dirigé d’une main de fer par le sultan et son clan, particulièrement corrompu, et en toute opacité.

Même si l’écrivain revendique que son livre soit « une œuvre de fiction », il l’a volontairement situé dans un État réel, et tous les éléments le concernant sont parfaitement authentiques. Il le fallait, pour que l’intrigue paraisse crédible, et que le postulat de départ semble réalisable : comment un ploutocrate, patron d’un des plus puissants GAFAM de Californie, décide un jour de monter une opération afin de s’emparer, sans coup férir ni violence aucune, du sultanat de Brunei. Grâce à l’informatique, une sorte de coup d’État 2.0, exécuté par des professionnels de haut niveau, des mercenaires recyclés dans la cybercriminalité.

Ronald Daume, un ancien de l’agence de sécurité privée Providence, est le chef de ce projet. À ses côtés, il recrute Flora, une espèce d’Amazone scientifique, baroudeuse, ainsi que tous les spécialistes nécessaires. Tous les repérages sont faits, les moyens sont considérables. L’opération démarre. Le sultan est à l’étranger, un complot est monté au Palais, qui manque de réussir. Le régime est fragile, la population divisée en communautés mal fédérées. Mais un grain de sable va tout faire déraper, et l’aventure s’achever en fiasco. On n’en dira pas plus, bien sûr, afin de ne pas gâcher le plaisir de cette lecture particulièrement addictive, mais qui fait également réfléchir.

Et si tout cela était vrai ? Si de nouveaux fous furieux pervers, tycoons de l’informatique reine, las de n’être que puissants et multimilliardaires, voulaient vraiment devenir les maîtres du monde, via quelques-uns de ses maillons faibles, que se passerait-il ? Tous les États, même les grands, sont-ils protégés face à ce nouveau type de menace ? À lire la presse, on en est de moins en moins sûr. Sans en avoir la prétention, Jean-Christophe Rufin le romancier joue ici le rôle d’un lanceur d’alerte.

D’or et de jungle de Jean-Christophe Rufin, Calmann-Lévy, 2024, 443 p.

Renonçant momentanément au roman historique, genre qui a fait son succès, Jean-Christophe Rufin s’est lancé dans un roman ultra-contemporain, assez glaçant. Et si tout cela était vrai ?Grâce à ses nombreuses vies, Jean-Christophe Rufin a accumulé les expériences, sillonné la planète, d’abord en tant que médecin pionnier spécialisé dans les crises humanitaires, puis en tant...
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