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Manger - Lorient-Le Siecle

À la recherche de Madame Gourmet

Entre 1971 et 1972, elle a signé sous un pseudo 24 chroniques gastronomiques qui témoignent du Liban cosmopolite d’avant-guerre.

À la recherche de Madame Gourmet

Au menu du Beyrouth des années 1970, des cartes du monde entier. Photo DR

Elle surgit, sans même crier « À table ! », le 2 juillet 1971. C’est dans le supplément « Culture et loisirs » de L’Orient-Le Jour, page numéro 7, section « Femme », que Madame Gourmet livre ses précieuses critiques culinaires.

Et après 24 chroniques, la dernière en date du 21 janvier 1972, elle s’évapore, ne laissant derrière elle que ses trois colonnes bimensuelles témoignant des goûts et des coûts d’une époque maintenant révolue. Voilà tout ce que nos archives ont retenu de Madame Gourmet. Une chroniqueuse si discrète qu’aujourd’hui, personne parmi ceux qui ont travaillé avec elle au journal ne se souvient de son véritable nom. Mais, en disséquant ses écrits, une chose est certaine : elle avait le palais fin, peut-être un peu gourmande (elle testait plusieurs plats, arrosait le tout d’un bon vin et ne manquait jamais le dessert), mais surtout redoutable, car elle parvenait toujours à soutirer au chef la recette du plat phare de son restaurant. Qu’elle ne manquait pas de publier comme un trophée accompagnant sa critique. Ou comme une purée mousseline accompagnant un tournedos...

En écumant les plus célèbres enseignes de la ville, elle a laissé surtout une attestation du cosmopolitisme beyrouthin de ce fameux âge d’or tant regretté par les âmes nostalgiques.

Quels restaurants a-t-elle visités et quelles impressions en a-t-elle gardées ? Petit tour d’horizon sur les pas de la fameuse et mystérieuse chroniqueuse, « maman » spirituelle de notre actuel Cordon Courtine.

« Le plus petit restaurant de Beyrouth »À La Pagode, rue de Phénicie, Madame constate que la cuisine de l’Empire céleste est légère à l’estomac mais également à la bourse. « Pour quatre portions des spécialités, il ne vous en coûtera pas plus de 22 LL », écrit-elle en juillet 1971.

Au Myrtom House (rue du Mexique), elle vante le menu et les prix qui n’ont pas augmenté en 7 ans. Le Temporel, à Yarzé, est pimpant comme un sou neuf, remarque-t-elle. La Portugesa fait adopter à Gilbert, son propriétaire, le slogan du « plus petit restaurant de Beyrouth ». L’Express, à Hamra, l’un des très rares – pour ne pas dire le seul – snacks de la capitale qui méritent aussi le nom de restaurant. Le Flying Cocotte et son menu « Plein Soleil » qui « n’est pas une danse nouvelle, mais le menu gastronomique spécial été servi tous les soirs à partir de 21 h ». Le Jean-Pierre, « un restaurant qui compte vingt ans d’excellence », le Degli Amici (ex-Régal), à Broummana, dont la « mini-escalope pour enfants » (2,75 LL) remporte un énorme succès.

Pour Madame Gourmet, le restaurant Elissar (en face de l’Université américaine de Beyrouth) est une heureuse révélation. « Ici, les tomates prennent forme de roses. La présentation de chaque plat est soignée comme une œuvre d’art et ce souci de décorum ne cache aucune désagréable surprise, pas même une faiblesse. Au contraire. »

Le Laodicée (rue Hamra, derrière l’hôtel Commodore) a fait sienne la devise « de la bonne chère au meilleur prix ».

Quant au Ristorante Italiano (Aïn Mreissé), ce qu’il faut absolument y goûter, ce sont les plats italiens (voilà une affirmation qui ressemble fort à une lapalissade !), et notamment un osso buco à la milanaise, accompagné de pommes de terre ou de riz : « C’est le régal des Égyptiens à Beyrouth », confie Madame Gourmet.

La Taverne suisse (rue Georges Picot) fait, discrètement, depuis dix-neuf ans, « le régal des gourmets de la capitale ». Quant à L’Abbaye, à deux pas du Souk tawilé, elle se présente comme un nouveau lieu de dépaysement pour les Beyrouthins. Et pour cause, son propriétaire, un Vietnamien, a décidé́ de dédier une importante partie de la carte de son établissement aux spécialités de son pays.

La chroniqueuse conseille La Nouvelle Chaumière (rue Sadate) à tous ceux qui rêvent d’un endroit calme, et le Bali (à l’Hôtel Riviera) pour un dépaysement total du palais pour sa cuisine indonésienne et dont la clientèle est composée surtout de… Hollandais. Chez L’Oursin libertin, on ne sert plus d’oursins ni d’huîtres, regrette Madame Gourmet. « Sous l’impulsion de la nouvelle directrice, Monique Lèvent (ex-propriétaire d’un restaurant à Cannes), toute la carte s’est parfumée d’ail, de romarin, de basilic et des divers aromates de rigueur dans la cuisine provençale. »

Au Alfonso, rue Badaro, la critique culinaire remarque l’ambiance gaie et l’abbachio alla romana, un agneau de lait au romarin, et le sabayon au marsala.

Quant au Relais de Normandie, il semble être au bout de ses avatars ; « tour à tour restaurant « viking » puis « snack-bar », il semble avoir enfin trouvé la bonne formule avec Corine, authentique Normande de Granville, non seulement à la réception, mais aussi aux fourneaux, le temps de confier au chef ses secrets et de vérifier les sauces ».

Les Balkans ? « Ce restaurant mérite qu’on s’y précipite, ne serait-ce, déjà, que pour son excellent ensemble tzigane, affirme Madame Gourmet. L’ambiance est là donc, pittoresque et gaie. Et c’est beaucoup, mais ce n’est pas tout. La cuisine authentiquement balkanique (comme la propriétaire des lieux qui, depuis huit ans, joue de son don d’ubiquité entre la salle et les fourneaux) y est tout aussi excellente. »


Elle surgit, sans même crier « À table ! », le 2 juillet 1971. C’est dans le supplément « Culture et loisirs » de L’Orient-Le Jour, page numéro 7, section « Femme », que Madame Gourmet livre ses précieuses critiques culinaires.Et après 24 chroniques, la dernière en date du 21 janvier 1972, elle s’évapore, ne laissant derrière elle que ses trois colonnes bimensuelles...
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