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Manger - Lorient-Le Siecle

La cuisine en héritage, histoire d'un « prétexte » libanais

Nourrir les autres, préparer un plat des heures durant : transmise de mère en fille, pour certaines, la cuisine est une recette. Pour d'autres, une raison de recevoir, de partager et de se réunir.

La cuisine en héritage, histoire d'un « prétexte » libanais

Photo Joao Sousa / L'Orient-Le Jour

Lorsqu’on entre dans la cuisine de l’appartement familial, chez Esther, en périphérie de Beyrouth, les yeux ne savent pas vraiment où se poser. Il y a les casseroles sur le feu, à gauche. L’évier avec de la vaisselle sale et de la vaisselle propre, vestiges des repas consommés et preuves de ceux à venir, juste à côté. Au centre de la pièce, une table n’ayant que trop rarement rempli sa fonction première, devenue plan de travail et passe-plats il y a des dizaines d’années. Au-dessus, des rangements remplis de Tupperwares vides, de mounés, de livres de cuisine et de feuillets sur lesquels des recettes ont été griffonnées. En face de la porte trône le réfrigérateur. Plein à l’infini, couvert de photos, de pense-bêtes, de souvenirs.

La cuisine de cette Libanaise, mère de trois enfants, la soixantaine, ressemble à celle de tant d’autres. Elle raconte une vie : de famille, de femme, de mère, de fille aussi. Pièce de préparation des longs déjeuners du dimanche, du temps passé à s’affairer autour des fourneaux, la cuisine est au foyer ce que la nourriture est à la famille : centrale, essentielle. « Quand je passe chez ma mère, je dis bonjour et je pars naturellement ouvrir le frigo. J’ai été éduquée avec l’idée qu’il y avait toujours quelque chose à manger à la maison », synthétise Sophie*, la fille d’Esther.

Une idée de transmission

« À chaque fois que je les vois manger, je repense au temps que j’ai passé à préparer le plat : 4h qui disparaissent en dix minutes ! » Avec trois enfants trentenaires, dont deux à l’étranger, des petits-enfants et une mère âgée, Esther n’a jamais compté ses heures, a « toujours été occupée à faire quelque chose pour les autres ».

Pour elle, qui affirme l’avoir fait sans contrainte et par simple plaisir de cuisiner, « la nourriture est un prétexte » pour dresser la table à tout moment, réunir ses proches, faire plaisir. « Toute la base de ce que je mange ou de ce que je cuisine, je l'ai apprise de ma mère », résume pour sa part Aline Kamakian, fondatrice du restaurant Mayrig dans Beyrouth, qui signifie « mère » en arménien.

Dans cette famille, la cuisine s’est transmise de différentes façons, « quand bien même le départ et l’éloignement des enfants ne la faciliteraient pas », admet Esther. Son aînée, installée dans le Golfe, l’appelle en visio régulièrement lorsqu’elle se lance dans la confection de plats traditionnels. « Je crois qu’elle cherche à retrouver son enfance, ce avec quoi elle a grandi, depuis l’étranger », réfléchit-elle à voix haute. Pour Andrée Maalouf, autrice de plusieurs livres de cuisine libanaise, « la cuisine est ce qui reste de la culture d’origine quand on a tout oublié : c’est comme un repère ». Restée au Liban, Sophie constate que cette transmission se fait de génération en génération : sa fille, même pas dix ans, passe déjà des heures dans la cuisine. « Je la regarde parfois faire, on dirait qu’elle a cuisiné toute sa vie », plaisante Esther.

Une question de génération

Selon elles, les pratiques n’ont pas changé, mais le temps est consacré autrement, « bousculé par le désir d’émancipation des femmes qui parfois refusent d’adhérer à cette image », précise Andrée Maalouf. Du côté d’Aline Kamakian, c’est une simple question d’adaptation : « De nos jours, on trouve les éléments de base des plats traditionnels en version surgelés, prêts à préparer », de quoi raccourcir le temps de préparation tout en perpétuant la transmission. Le rapport à la cuisine leur semble être le même de l’une à l’autre, malgré un rapport au temps différent. « Entre la génération de ma mère, qui a 84 ans, et moi, il existait déjà une différence : elle ne travaillait pas. Il m’a fallu allier une activité professionnelle avec le reste », raconte Esther. Quand on l’interroge sur ce qu’elle ferait d’un temps consacré à tout sauf aux autres, la réponse ne vient pas tout de suite. Elle en est sûre, ce ne serait pas la cuisine, mais plutôt la lecture, la marche. Et d’ajouter avec un sourire : « Mais je ne me plains pas, ça va ! »

« J’aime cuisiner, mais entre un travail et un enfant, je ne vois pas où placer ça dans mon quotidien », explique sa fille Sophie, dont le travail la pousse aussi à régulièrement manger à l’extérieur. Elle admet cuisiner quand elle le peut, voyant en parallèle sa sœur à l’étranger jongler avec deux enfants, un travail et des heures consacrées à des recettes familiales. « Le père de ma fille sait cuisiner aussi, chacun son rôle », complète Sophie. Pour les femmes de la génération de sa mère, l’homme n’a pas de place, ne la prend pas vraiment non plus : « Il est juste là pour manger ! » Observée à cuisiner des heures durant par sa petite-fille, Esther pourrait bien l’avoir inspirée : à 7 ans, elle en est sûre, un jour, elle ouvrira son restaurant.


Lorsqu’on entre dans la cuisine de l’appartement familial, chez Esther, en périphérie de Beyrouth, les yeux ne savent pas vraiment où se poser. Il y a les casseroles sur le feu, à gauche. L’évier avec de la vaisselle sale et de la vaisselle propre, vestiges des repas consommés et preuves de ceux à venir, juste à côté. Au centre de la pièce, une table n’ayant que trop rarement...
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