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Culture - Exposition

L’art arabe (et libanais) se décolonise au musée d’Art moderne de Paris

L’exposition « Présences arabes - Art moderne et décolonisation, Paris 1908-1988* » cartographie la relation des artistes arabes avec Paris au XXe siècle. 

L’art arabe (et libanais) se décolonise au musée d’Art moderne de Paris

L'entrée de l'exposition « Présences arabes » au musée d'Art moderne de Paris. Photo Nicolas Borel

Dans le communiqué de presse du musée d’Art moderne, à propos de l’exposition « Présences arabes - Art moderne et décolonisation, Paris 1908-1988 » qu’il accueille jusqu’au 25 août, une question posée par Silvia Naef, historienne d’art et l’une des autrices du catalogue de l’événement, retient l'attention. « Comment faire un art moderne et arabe ? » s’interroge-t-elle. Cette question, qui sous-tend également l’exposition dans sa globalité, met mal à l’aise, dans la mesure où elle suppose que l’art arabe et l’art moderne sont difficilement conciliables. Ou, pire encore, que la modernité a été réservée à l’art occidental, assignant en ce sens l’art de notre région à un orientalisme remâché à outrance…

L’« Apocalypse arabe » d’Etel Adnan, livre en forme d’accordéon d’un mètre de long réalisé en 1980. Photo Nicolas Borel

L’art en lutte

Mais il suffit de parcourir « Présences arabes » pour comprendre à quel point, cette question est en réalité adéquate. À travers 200 œuvres dont la plupart n’ont jamais été montrées en France, l’exposition cartographie d’une part la relation des artistes arabes avec Paris durant le XXe siècle. D’autre part, et en filigrane, c’est surtout un paradoxe profond qui est étudié et mis en lumière au musée d’Art moderne : la façon dont Paris se révèle être le lieu d’émancipation de tous ces artistes et, en même temps, l’épicentre de l’empire colonisateur qui les domine. Ce paradoxe-là est d’ailleurs palpable dès la première étape du parcours chronologique de l’exposition.

Celle-ci démarre en 1908, l’année où l’École des beaux-arts installe une succursale au Caire, et, surtout, l’année où l’artiste et poète Gebran Khalil Gebran s’installe à Paris. Cette section qui s’articule autour de la Nahda, et plus précisément la renaissance culturelle arabe face à l’influence occidentale, illustre à juste titre l’ambiguïté des rapports d’artistes de la région, tels le Libanais Philippe Mourani, l’Égyptien Mahmoud Saïd ou l’Irakien Jewad Selim qui affluent à Paris pour se former dans des écoles d’art françaises dont ils contestent, pourtant, le colonialisme rampant. Tiraillés entre une volonté d’émancipation et rejet de ce colonialisme-là, c’est lors de l’exposition coloniale de 1931 qu’ils proposent pourtant un art orientaliste arabe mais avec une forme complètement inédite. Cette rupture avec l’orientalisme arabe devient de plus en plus visible à mesure qu’on progresse dans l’exposition, notamment dans la section qui revient sur les indépendances arabes, dont l’indépendance du Liban en 1943, puis celle des pays nord-africains qui signent une mondialisation de l’art moderne arabe. Ce projet-là, Silvia Naef le décrit de la sorte : « Un vrai projet esthétique se met en place au cours du XXe siècle : pensé à la fois en rupture avec l’art académique, en écho avec les avant-gardes occidentales, dans le cadre d’une identité nationale propre, sans retour pour autant à un art islamique. »

Deux toiles de l'artiste libanaise Huguette Caland exposées au musée d'Art moderne à Paris. Photo Nicolas Borel


Présence libanaise

Cette nouvelle mouvance se double de véritables luttes, notamment affirmées lors du Salon de la jeune peinture de Paris, tenu en 1967. Une lutte anti-impérialiste, mais, aussi, surtout, la lutte pour la cause palestinienne qui prend toute son ampleur à la même période. Dans le chapitre réservé à cette thématique, on redécouvre l’Apocalypse arabe d’Etel Adnan, réalisé en 1980. Dans ce livre en forme d’accordéon d’un mètre de long, l’artiste et poétesse libanaise déploie son volcan de couleurs qui sont comme autant d’éclats de voix des peuples longtemps opprimés mais qui se soulèvent, et, avec, soulèvent leur art longtemps invisibilisé. D’ailleurs, à l’heure où le Liban semble encore une fois assigné à cet obscurantisme, cette obscurité qui est presque devenu un marronnier de notre histoire, c’est comme une promesse de se rendre compte, tout le long du parcours de « Présences arabes », à quel point les artistes libanais, dont la plupart sont des femmes, ont contribué à sortir l’art de notre région de son emprise coloniale. Ne seraient-ce que les Espaces blancs d’Huguette Caland, deux huiles sur toiles de 2m x 2m, réalisées en 1984 et où l’artiste libanaise y déroule ses formes fluides dont on se demande s’ils sont des visages ou des paysages, ou les toiles de Saloua Rawda Choucair qui nous rappellent à quel point l’artiste et sculptrice libanaise a été une pionnière de l’art abstrait dans la région. Ou encore les natures mortes secouées du coup de pinceau de Bibi Zogbé, agitées par cette volonté de rompre avec un traditionalisme où la peinture libanaise, et régionale, a refusé de s’enfermer. Ces femmes-là, pour n’en citer qu’elles, mais aussi l’ensemble des 130 artistes exposés au musée d’art moderne nous rappellent combien leur art a été, à tort, rendu invisible par les institutions muséales occidentales. Alors que cet art-là aura irrigué la modernité autant, si ce n’est parfois plus, que l’art occidental…

*« Présences arabes. Art moderne et décolonisation, Paris 1908-1988 ». Jusqu’au 25 août, au musée d'art moderne de Paris, 16e arrondissement de Paris.

Dans le communiqué de presse du musée d’Art moderne, à propos de l’exposition « Présences arabes - Art moderne et décolonisation, Paris 1908-1988 » qu’il accueille jusqu’au 25 août, une question posée par Silvia Naef, historienne d’art et l’une des autrices du catalogue de l’événement, retient l'attention. « Comment faire un art moderne et arabe ? »...
commentaires (1)

Il ne faut pas mélanger les genres. Pas plus que le sport, l’art ne fait bon ménage avec la politique. Influencé par l’idéologie à la mode, impossible de ne pas se fourvoyer (on l’a bien vu à Cannes!). Pourquoi réserver le terme "colonialisme" à la présence occidentale? Les pays dits "arabes" n’ont-ils pas subi (arrondissons les chiffres), avant UN siècle de "colonisation" occidentale, QUATRE siècles de "colonisation" turque , eux-mêmes précédés de SEPT siècles de "colonisation" arabe? N’oublions pas que tous ces pays n’avaient, avant leur invasion par un peuple étranger, rien d’arabe.

Yves Prevost

07 h 27, le 31 mai 2024

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Commentaires (1)

  • Il ne faut pas mélanger les genres. Pas plus que le sport, l’art ne fait bon ménage avec la politique. Influencé par l’idéologie à la mode, impossible de ne pas se fourvoyer (on l’a bien vu à Cannes!). Pourquoi réserver le terme "colonialisme" à la présence occidentale? Les pays dits "arabes" n’ont-ils pas subi (arrondissons les chiffres), avant UN siècle de "colonisation" occidentale, QUATRE siècles de "colonisation" turque , eux-mêmes précédés de SEPT siècles de "colonisation" arabe? N’oublions pas que tous ces pays n’avaient, avant leur invasion par un peuple étranger, rien d’arabe.

    Yves Prevost

    07 h 27, le 31 mai 2024

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