Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Patrimoine artistique

Une plongée au cœur d’un autre Liban qu’offre la collection Philippe Jabre

Visite guidée avec le curateur et conservateur de la collection, Gaby Daher, pour découvrir un florilège d’œuvres réalisées par des orientalistes entre les années 1700 et début 1900, qui jettent leur lumière sur des paysages et lieux disparus qui font l’histoire du Liban.

Une plongée au cœur d’un autre Liban qu’offre la collection Philippe Jabre

La façade abritant la magnifique fondation Philippe Jabre. Photo DR

Conservant son aspect traditionnel, ses vieilles rues, maisons et églises, Beit Chabab est incontestablement un des plus beaux villages du Liban. Difficile d’imaginer meilleur endroit pour découvrir les échos des peintres orientalistes et affichistes de la collection Philippe Jabre.

S’étendant au-delà de 200 000 mètres carrés, boisé de chênes, pins et sapins, le domaine est ponctué de quatre bâtisses datant du XVIIIe, XIXe et début XXe. En effet, au bâtiment principal où trônent les peintres orientalistes, et à l’ancienne fonderie de cloches de Naffah Naffah (moitié du XVIIIe siècle), où paradent les affiches, viennent s’ajouter deux vieilles bâtisses en ruine récemment acquises. Elles seront bientôt restaurées pour abriter le reste de la collection, notamment « les aquarelles et dessins qui seront exposés selon des normes précises, afin d’empêcher leur dégradation et éviter le ternissement de leurs couleurs », confie l'énergique Gaby Daher, curateur et conservateur de la collection Philippe Jabre depuis 1989.

Pour mémoire

La collection orientaliste de Philippe Jabre a trouvé son musée

Cette collection rassemble « 570 œuvres, huiles sur toile, aquarelles, gouaches, gravures, carnets de voyages et affiches, ainsi que 2 000 photographies et 6 000 cartes postales qui illustrent l’essence de ce pays. À quelques exceptions près, le thème est toujours le Liban », explique Daher. Ajoutons à tout cela un grand nombre de livres anciens sur le Moyen-Orient acquis lors de la fameuse vente de la bibliothèque du banquier américain Henry Myron Blackmer chez Sotheby’s à Londres, en 1989. Découverte amusante, les anciennes cartes de visite, certaines remontant aux année 1860 comme celle de Georges Cattan, drogman à Bethléem, du médecin Melhem Farès ou encore celle de Mgr Jean Maamarbachi.


Edward Hodges Cree (1814 - 1901) - Vue du mont Hermon dans la Békaa prise de Kab Elias -Aquarelle rehauts de blanc sur papier, signée et datée en bas à droite "E.H. Cree Aug. 1861". Photo Mohamed Mohsen


Mémoire d’un vieux Liban

L’importance iconographique de la collection Philippe Jabre est considérable du point de vue documentaire, d’autant plus que certains sites et paysages ont à jamais disparus, comme la muraille de Tyr, celle de la vieille ville de Beyrouth et la place des Canons, peintes respectivement par Prospère Marilhat (1811-1847) et Pierre-François Lehoux (1803-1889).

Pour la petite histoire, le portrait de Lehoux, exécuté par Fernand Cormon (1845-1924), est au musée d’Orsay et son tableau intitulé Repos de voyageurs syriens dans un khan près de Beyrouth est exposé au musée de Narbonne. Lehoux a entrepris son voyage en Méditerranée avec Antoine Alphonse Montfort qui, impressionné dès son arrivée par l'aspect gai et animé de Beyrouth, a fixé sur papier les remparts, les mosquées, les minarets, les demeures, les jardins et les palmiers, ainsi que les habitants et les animaux qu'amènent les caravanes. Une atmosphère à jamais perdue… Le musée du Louvre conserve un millier de ses feuilles parmi lesquelles la Porte percée dans la muraille des remparts de Beyrouth. Ses notes de voyage où il décrit avec la précision d'un reporter ses rencontres, sont gardées à la Bibliothèque nationale de Paris.

Parmi ses œuvres acquises par la collection Philippe Jabre, son autoportrait, un khan à Beyrouth, le quai du port, Baalbeck, Broummana, la mosquée Mansour Assaf, dont la fontaine aux ablutions et, à proximité, le souk al-Fachkha, peints par Pierre Tetar van Alven, ont été rasés lors de l’aménagement de la rue Weygand. Gustave Bauernfeind (1848-1904) qui, de son vivant était l’orientaliste le plus populaire d’Allemagne, a brossé pour sa part la mosquée mamelouke al- Burtasi située sur les rives de la rivière Abou Ali au Liban-Nord, avec vue sur le pont al-Atik. Le pont n’existe plus aujourd’hui ; il a été emporté par les crues de 1955. « Ce tableau est reproduit à la page 164 du livre Le peintre Gustav Bauernfeind et l'Orient, de Hugo Schmied, publié aux éditions Hauswedell, 2004 », signale Gaby Daher. Des ouvrages portant sur ce peintre-voyageur sont conservés à la bibliothèque du musée d’Orsay et un de ses tableaux, intitulé Mur des Lamentations, Jérusalem s’est vendu à Sotheby’s, le 27 juin 2007, à 4 500 000 euros. Adjugé au Qatar.


Eugène-Romain Van Meldeghem (1813–1867), Femme druze, Aquarelle. Photo Mohamed Mohsen

La tour de guet, la druze et la maronite

Il est difficile de faire abstraction d’un chef-d’œuvre signé Théodore Frère : une toile représentant le site archéologique de Palmyre, patrimoine culturel mondial rasé par l’organisation Etat islamique (EI). Sans oublier un autre fragment de l’histoire, saisi par Jean-Adolphe Beaucé (1818-1875), le débarquement de l’armée française à Beyrouth, ainsi que le château médiéval situé en bord de mer et, à proximité, la tour de guet intégrée au port de Beyrouth. Il ne reste du château que des ruines cachées au regard du public par l’histoire complexe de la planification et de la conception de la ville. Quant à la tour de guet, elle a été démantelée brique par brique dans les années 1880.

Lloyd Luit - Maison Malhamé à Médawar, aquarelle, annotée sur la page de l'album ‘’Our house at Beyrout ‘’, circa 1860. Photo Mohamed Mohsen

Pour sa part, Llyod Luit a peint une Vue de la pointe de Médawar, avec la villa de Hanna Médawar, et en plan rapproché la demeure d’Assaad bey Malhamé édifiée en aplomb de la falaise. « Cette demeure fut successivement le consulat d’Angleterre, l’hôtel d’Angleterre, la locanda Misr al-Kobra, le siège de l’amirauté française, avant de devenir le siège du parti Kataëb », relève Gaby Daher. Sur cette aquarelle datée de 1860 apparaît également une partie du cimetière al-Moussalla.

Mais la liste est longue, très longue. La collection offre un florilège d’œuvres réalisées entre les années 1700 et début 1900, signées par un aréopage d’orientalistes, pour ne citer que Prosper Marilhat (un des paysagistes les plus purs), Alberto Pasini (scènes urbaines), Camille Pissaro (Saïda), Eugène Flandin (la tour croisée de Bourj el-Fidar, et le fort de Mseilha), ou encore Louis Lauttier (le Mausolée de Bachoura). Si Eugène-Romain Van Meldeghem (1813-1867) a dépeint une femme druze, Emile Vernet-Lecomte a dessiné « trois femmes maronites, seulement », précise le curateur, affirmant « l’une est chez nous, une autre est dans la collection Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, et Dieu sait où est la troisième ».

On y croise également Chukri Ghanem, l’écrivain et fervent militant contre l’occupation ottomane, exilé en France. Son portrait sur toile a été réalisé en 1908 par Etienne Dinet (1861-1929, une exposition lui est consacrée actuellement à l’Institut du monde arabe IMA). Ghanem est l’auteur de plusieurs ouvrages dont la fameuse pièce Antar jouée au théâtre de l’Odéon à Paris en 1910, et qui, selon la presse française de l’époque, a soulevé l’enthousiasme du public. Il est décédé à Antibes en 1929 dans sa maison qui a gardé à ce jour son nom « La Libanaise ».

Automate, poupées et affiches

Où que l’œil se pose, ce sont des tableaux mais aussi des objets éclectiques, œuvres d’art originales, tel ce magnifique automate arabe enturbanné (en composite) daté de 1880 qui se met à fumer sa chicha dès qu’on tourne la clef du remontoir. « Il avait fait la couverture de la gazette Drouot, » selon Daher. Quant aux figurines du Trio Elmassian (deux sœurs et un frère), inspirées de l’époque de l’émir Fakhreddine, exposées au Salon de Paris en 1958, elles n’ont rien à envier à la série de poupées à tête en porcelaine, yeux de sulfure bleu, corps en matériau composite, avec costume traditionnel, réalisées en France et en Allemagne par Armand Marseille, célèbre fabricant de poupées populaire à la fin des années 1880 et au début des années 1900.


MEA poster, Bagdad, par Jacques Auriac, (1922-2003). Photo Mohamed Mohsen

Autre ambiance, dans l’ancienne fonderie de cloches, où défilent les affiches captivantes de la MEA conçues par Jacques Auriac (1922-2003), « Le maître de la couleur ». À travers des compositions graphiques étonnantes, simples, aux couleurs franches qui résonnent dans des contrastes audacieux, ces images fortes et impactantes sont aussi bien des œuvres d’art que des témoignages de leur époque. À l’honneur également, les posters de cinéma comme celui de Baraka à Beyrouth avec Marie-José Nat et le grand acteur Max Von Sydow ; Les espions meurent à Beyrouth sorti en 1965 avec Richard Harrison et Dominique Boschero, ou Trafic à Beyrouth avec Mickey Rooney et Lex Barker.

Une incursion à l’étage supérieur de la fonderie donne à voir des œuvres de peintres libanais, Yvette Achkar, qui vient de disparaître, Helène el-Khal, Bibi Zoghbi, Aref Rayess, Raëd Yassine, et de céramistes comme Dorothy Salhab, Samar Mogharbel, et et une étonnante poterie signée Joseph Abi Yaghi.

Outre les peintres orientalistes, le fonds Jabre renferme trois œuvres de David Hockney, deux d’Andy Warhol, une peinture de Charles Lapicque (La Châtelaine du Liban) et un tableau d’un des grands artistes allemands de la fin du XXe siècle Ralf Winkler, dit A. R. Penck (1939-2017), qui a peint le siège de Beyrouth de l’été 1982.

Conservant son aspect traditionnel, ses vieilles rues, maisons et églises, Beit Chabab est incontestablement un des plus beaux villages du Liban. Difficile d’imaginer meilleur endroit pour découvrir les échos des peintres orientalistes et affichistes de la collection Philippe Jabre. S’étendant au-delà de 200 000 mètres carrés, boisé de chênes, pins et sapins, le domaine est ponctué...
commentaires (4)

Le musée est-il ouvert au public? L'article, excellent par ailleurs, ne le dit pas me semble-t-il...

otayek rene

18 h 03, le 31 mai 2024

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Le musée est-il ouvert au public? L'article, excellent par ailleurs, ne le dit pas me semble-t-il...

    otayek rene

    18 h 03, le 31 mai 2024

  • Mille mercis OLJ On a Besoin des tels articles, annonces et des événements positifs pour nous faire distraire

    William SEMAAN

    15 h 10, le 31 mai 2024

  • Merci pour ce bel article !

    Vero M

    14 h 40, le 31 mai 2024

  • Quelle leçon de dignité dans le contexte actuel, de quoi faire relever la tête en signe d'admiration pour ces efforts. Et si une publication est prévue, la diaspora ( et pas uniquement ) serait comblée.

    saouma samia

    12 h 01, le 31 mai 2024

Retour en haut