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Nos Lecteurs ont la Parole

Taches blanches – Journée mondiale de la sclérose en plaques

Taches blanches – Journée mondiale de la sclérose en plaques

Photo d’illustration Bogstock

C’est l’histoire d’un peuple spécial. Il ne connaît pas de frontières. Personne ne souhaite y appartenir. Formé de quelque 2,8 millions d’êtres humains, ses effectifs auraient tendance à augmenter dans la mesure où on s’éloigne de l’équateur, et donc du soleil. Un peuple auquel on n’appartient ni par droit du sol ni par droit du sang, mais par l’arbitraire du sang. Un peuple formé d’individus pour qui des taches blanches, visibles sur les IRM du cerveau et de la moelle épinière, tiennent lieu de passeport. Elles représentent des plaques d’inflammation qu’on appelle « lésions ».

C’est l’histoire d’un putsch. Pour une raison encore inconnue par la médecine, le système immunitaire se met à attaquer le centre de commandement qu’il est pourtant censé protéger, à savoir : le système nerveux central, notamment la gaine de myéline qui entoure les nerfs. Il prend, ainsi, l’ensemble en otage. Il en résulte ces plaques de démyélinisation. Le corps du patient n’est plus vraiment le sien. Désormais, il est une colonie de cette maladie, ou plutôt de son propre système immunitaire. Cela se traduit par des perturbations motrices, sensitives, cognitives, visuelles, etc., progressant vers un handicap irréversible. Le corps ne suit plus, il est progressivement réduit à un tiers, voire un quart de sa mobilité et de ses forces.

C’est l’histoire d’un combat. D’abord, un combat pour poser des mots sur les maux, pour avoir un diagnostic. Il est souvent très long à poser. Reposant sur le cumul d’une multitude de critères/marqueurs, il nécessite du temps avant d’être retenu, ainsi qu’une batterie d’examens, d’imageries médicales, d’analyses biologiques, d’hospitalisations et de consultations. Auparavant, le patient traverse une période d’errance diagnostique qui peut durer des années. Un épisode de Dr House qui se prolonge pendant une longue, très longue nuit. Les médecins, souvent issus de plusieurs spécialités, se renvoient le patient comme une balle de ping-pong, hésitent, tâtonnent, ne savent pas de quoi il souffre exactement. Un véritable parcours du combattant pour le patient. En taisant sa souffrance, en prenant sur soi, en plongeant de plus en plus dans la confusion, l’incertitude et le désarroi, il doit attendre qu’on lui dise enfin ce qu’il a.

Ensuite, un combat pour digérer le diagnostic. Paradoxalement, il soulage, parce qu’il met un terme à la période de flottement. Au moins, un brouillard de dissipé, même si, en dehors de facteurs génétiques et environnementaux, on ne connaît toujours pas ce qui cause cette maladie. Elle n’est pas, pour autant, une maladie héréditaire ni une maladie contagieuse. Le diagnostic de sclérose en plaques (SEP ; MS) est lourd. C’est un bouleversement considérable, un violent coup de frein à l’avancement dans la vie, souvent en pleine montée. La SEP est une maladie du jeune adulte, elle est souvent diagnostiquée entre 20 et 40 ans.

Un combat, essentiellement, pour vivre avec la SEP. Même si de nouvelles pistes thérapeutiques sont envisagées par les chercheurs, il n’existe néanmoins, à ce jour, aucun traitement curatif de la SEP. D’un côté, les thérapies, parfois assez lourdes et se faisant à l’hôpital, visent seulement à diminuer la réaction inflammatoire et à ralentir, dans la mesure du possible, l’évolution du handicap (immunomodulateurs ou immunosuppresseurs). Au Liban, en plus de leur combat pour vivre avec la maladie, les patients de SEP et les associations y relatives doivent combattre pour un droit au traitement, pour empêcher la suppression des subventions de ces médicaments.

D’un autre côté, il s’agit de traiter les symptômes. La SEP est synonyme de difficulté à marcher et de se tenir debout, d’un périmètre de marche qui se rétrécit comme une peau de chagrin, de canne ou de fauteuil roulant, de séances de kiné, de perte de l’équilibre, de vertiges, d’engourdissements, de picotements, de fourmillements (paresthésie), de faiblesse musculaire notamment des bras et des jambes, de raideurs et de spasmes (spasticité), de cette fichue sensation d’oppression et de douleur au niveau de la poitrine ou de l’estomac, qu’on appelle « MS hug », de problèmes de coordination, de paralysie partielle ou complète, d’invalidité, de handicap parfois invisible, de tremblements, de très grande fatigue permanente qui vous cloue à l’oreiller pendant des journées entières, de sensibilité à la chaleur qui fait augmenter ou ressurgir les symptômes (phénomène d’Uhthoff), mais aussi de vision floue ou double, de douleur des yeux, voire de perte de vision due à un gonflement du nerf optique (névrite optique), de perte auditive, de difficulté à écrire avec un stylo, de problèmes intestinaux et vésicaux, donc de lits mouillés, de problèmes d’élocution, de problèmes de réflexion (cognitifs), de concentration, d’attention, de brouillard cérébral, de perte de mémoire, de difficulté à avaler, de problèmes sexuels, de dépression, de potentiels évoqués, de ponction lombaire, de perfusions, du bruit assourdissant et de l’ambiance étouffante de la machine IRM, d’un bouleversement considérable auquel on commence déjà à s’habituer pendant la période d’errance diagnostique.

Bref, « e pluribus unum ». Cette maladie chronique est imprévisible. On ne sait pas comment on va se réveiller le lendemain. Elle affecte les gens différemment. Certaines personnes peuvent n’être que légèrement touchées. D’autres, bien plus gravement. Les symptômes de la SEP peuvent apparaître sous différentes combinaisons, selon la zone du système nerveux touchée. Par ailleurs, la SEP peut évoluer par poussées, avec des épisodes de rémission plus ou moins longs entre les poussées. On parle alors de SEP

récurrente-rémittente (85 % des cas). En revanche, lorsque la maladie se caractérise, dès le début, par une aggravation lente et continue des symptômes neurologiques et du handicap, on parle de SEP primaire progressive (15 % des cas). Quelle que soit la forme de SEP dont on est atteint, cela implique souvent des tâches quotidiennes et de projets de vie auxquels il faut renoncer, parce que devenus, tout simplement, impossibles à réaliser, mais aussi des manquements à certains devoirs, notamment envers ses proches, surtout lorsqu’ils sont loin.

C’est surtout l’histoire d’un peuple porteur d’un message d’espoir. Partout dans le monde, la SEP est une maladie mal comprise, surtout par l’opinion publique. Sa nature compliquée ne rend pas les choses plus faciles. Le 30 mai est la Journée mondiale de la SEP. Il serait important d’en profiter pour sensibiliser à cette maladie.

Au Liban et ailleurs dans le monde – comme ici en France, où s’écrivent ces quelques lignes –, et malgré les nombreuses difficultés qu’elles rencontrent (surtout dans les territoires qui connaissent des conflits armés), les équipes médicales et de recherche effectuent un travail remarquable pour essayer de diagnostiquer, traiter et, peut-être un jour, guérir la SEP. Leur exprimer reconnaissance et gratitude s’impose.

La maladie nous rappelle l’essentiel : la vie est combat. Chacun de nous le livre à sa façon. Baisser les bras, s’éterniser dans la plainte – si légitime et nécessaire soit-elle –, n’est pas une option. La maladie a déjà subjugué notre corps. Elle n’aura pas notre moral ni notre volonté de (la) combattre.

On s’adapte à la nouvelle donne. On compte ses pertes. On essaie de prévoir celles qui viennent. On fait avec le tout. On lève la tête. Assis ou alité, on garde le moral debout. Avec une canne, une béquille ou sur fauteuil roulant, on avance. On continue le combat.

Demain est un autre jour, inch’Allah.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

C’est l’histoire d’un peuple spécial. Il ne connaît pas de frontières. Personne ne souhaite y appartenir. Formé de quelque 2,8 millions d’êtres humains, ses effectifs auraient tendance à augmenter dans la mesure où on s’éloigne de l’équateur, et donc du soleil. Un peuple auquel on n’appartient ni par droit du sol ni par droit du sang, mais par l’arbitraire du sang. Un...
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