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Société - Reportage

« Si les autorités chypriotes avaient un peu d’humanité, elles les relâcheraient »

Les familles de migrants libanais originaires de Bebnine détenus à Chypre manifestent devant l’ambassade à Louaïzé.

« Si les autorités chypriotes avaient un peu d’humanité, elles les relâcheraient »

Une jeune fille brandit la photo de son grand-père, Mohammad Rachidi, 64 ans, condamné à 30 mois de prison à Chypre après être arrivé dans le pays depuis Bebnine, dans le Akkar, à bord d'un bateau clandestin, le 20 mai 2024. Mohammad Yassine/L’OLJ

Des enfants courent en brandissant des photos de leur père, les pancartes étant presque aussi grandes qu’eux. Deux femmes enceintes, tenant chacune la main de leurs jeunes enfants, s’approchent de la presse, le visage marqué par l’inquiétude. À proximité, une vingtaine de militaires se tiennent en formation, armés de matraques, de casques et de boucliers. Des dizaines de proches de migrants libanais se sont rassemblés lundi devant l’ambassade de Chypre à Louaïzé, en banlieue de Beyrouth. Ils ont exhorté les autorités libanaises et les diplomates chypriotes à négocier le retour de leurs fils, maris et pères qui, l’année dernière, ont entrepris illégalement le voyage périlleux de Bebnine, dans le Akkar au Liban-Nord, vers Chypre, où ils ont ensuite été arrêtés et condamnés à plusieurs années de prison par les autorités chypriotes.

Bebnine, victime de la crise économique
Des bateaux continuent de transporter clandestinement des migrants libanais, syriens et palestiniens qui tentent désespérément d’atteindre l’Europe et de trouver un emploi, alors que le Liban souffre d’une crise économique grave depuis 2019.

Une mère, le 20 mai 2024, montre la photo de son fils Ahmad Awad, 36 ans, qui a prétendu être syrien pour voyager à bord d’un bateau de migrants et qui est emprisonné à Chypre. Mohammad Yassine/L’OLJ

Bebnine abrite des dizaines de milliers de foyers, selon Zaher Kassar, moukhtar de la bourgade et chef du rassemblement des moukhtars du Akkar, présent lors du sit-in. Traditionnellement tributaire de la pêche, Bebnine a été gravement touchée par la crise. La flambée des prix du carburant a particulièrement exacerbé la situation des habitants, réduisant considérablement les profits déjà modestes des pêcheurs exploitant de petites embarcations. Environ 21 hommes de nationalité libanaise se sont retrouvés derrière les barreaux à Chypre au cours de cette année, selon Zaher Kassar.

Toutefois, interrogé sur le nombre de détenus, le porte-parole de l'ambassade chypriote au Liban, Serge Abou Samra, n'a pas pu confirmer le nombre exact. 

L’attente des familles
Ala’ el-Mechmechani, enceinte de huit mois et sans emploi, se tient à l’extérieur, au milieu de la foule, entourée de deux de ses enfants, âgés de neuf et trois ans. Elle tient dans ses bras son bébé d’un an et demi. Son mari, Mahmoud el-Mechmechani, pêcheur de 33 ans, est détenu à Chypre depuis trois mois. Avant de monter à bord du bateau, Mahmoud l’a appelée, lui révélant son intention de partir pour Chypre. Bien qu’initialement « choquée » par la nouvelle, Ala’ avait « l’espoir » que son époux atteindrait sa destination et assurerait une vie meilleure à sa famille. Elle n’a pas eu de nouvelles de lui jusqu’à ce qu’il l’appelle depuis sa cellule à Chypre, deux semaines plus tard. Les autorités chypriotes « détiennent des personnes qui sont sorties pour chercher de meilleures conditions de vie pour leur famille », déplore Zaher Kassar. « Si elles avaient un peu d’humanité, elles les relâcheraient », estime-t-il.

À Bebnine, certains estiment que les Libanais sont jugés à Chypre plus sévèrement que les Syriens ou les Palestiniens. Une source proche de l’affaire avait déclaré à L’Orient-Le Jour que « l’entrée illégale sur l’île n’est pas un motif suffisant de détention ». « Il doit probablement y avoir quelque chose d’autre », affirmait-elle. Toutefois, une source proche du Premier ministre sortant Nagib Mikati a assuré à notre publication que « les autorités chypriotes ont arrêté (les migrants) très probablement en raison de leur entrée illégale dans le pays ».

Des forces de l’ordre libanaises devant l’ambassade de Chypre à Louaïzé, en banlieue de Beyrouth, le 20 mai 2024. Mohammad Yassine/L’OLJ

Une délégation représentant les familles a été autorisée à entrer dans l’ambassade pour parler à l’ambassadrice de Chypre au Liban, Maria Hadjithedosiou. « Nous lui avons expliqué les mauvaises conditions économiques et sanitaires qui poussent ces jeunes à se rendre à Chypre », a déclaré M. Kassar à L’OLJ. Le porte-parole de l’ambassade chypriote au Liban a indiqué à L’OLJ que l’ambassadrice « transmettrait les informations que les familles lui ont communiquées aux autorités chypriotes ». « L’ambassadrice a expliqué que la question était examinée par les autorités chypriotes à la suite d’une demande des autorités libanaises et de l’ambassade du Liban à Nicosie », a ajouté M. Abou Samra.

« S’ils ne les libèrent pas, nous reviendrons »
Une liste de 30 noms de personnes qui auraient quitté les côtes libanaises pour Chypre a été fournie par le Liban aux autorités chypriotes. Toutefois, selon une source haut placée au gouvernement, « un certain nombre » de personnes manquaient à l’appel dans les prisons ou les centres de détention chypriotes. Leurs familles ont été informées et le ministère des Affaires étrangères suit l’affaire par l’intermédiaire de l’ambassade du Liban à Chypre.

Un jeune garçon brandit une pancarte sur laquelle on peut lire « Merci Chypre d’avoir accueilli des personnes qui ont échappé à la mort en cherchant refuge dans votre pays », le 20 mai 2024. Mohammad Yassine/L’OLJ

Le président chypriote, Nikos Christodoulidès, avait effectué début mai une visite à Beyrouth, dans le cadre des efforts de son pays et de l’Union européenne pour empêcher l’afflux de migrants, notamment syriens, effectuant la périlleuse traversée de la Méditerranée depuis le Liban. À l’issue de sa rencontre avec M. Christodoulidès, M. Mikati avait promis aux familles une réponse dans les dix jours. Celles-ci espéraient que leurs proches seraient libérés mardi dernier, mais elles n’ont obtenu aucune réponse du bureau du Premier ministre libanais.

« Nous attendons des nouvelles positives bientôt », affirme Zaher Kassar. « S’ils ne les libèrent pas, nous reviendrons » pour manifester devant l’ambassade chypriote, a menacé Salwa Trab, dont le fils Hassan, 17 ans, fait partie des détenus à Chypre.

Des enfants courent en brandissant des photos de leur père, les pancartes étant presque aussi grandes qu’eux. Deux femmes enceintes, tenant chacune la main de leurs jeunes enfants, s’approchent de la presse, le visage marqué par l’inquiétude. À proximité, une vingtaine de militaires se tiennent en formation, armés de matraques, de casques et de boucliers. Des dizaines de proches de...
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