Depuis le meurtre, survenu le 7 avril, du coordinateur de son parti à Jbeil Pascal Sleiman, Samir Geagea fait du retour des Syriens dans leur pays son cheval de bataille. « C’est une question existentielle », dit-il à L’Orient-Le Jour, tout en rejetant les débordements observés ces dernières semaines. Entretien.
Depuis le meurtre de Pascal Sleiman, vous menez campagne pour le retour des Syriens vers ce que vous appelez « les zones sûres ». Une position que certains qualifient de « populiste » à l’heure où aucune région n’est considérée comme « sûre » en Syrie. De quelle région parlez-vous ?
L’affaire Pascal Sleiman est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. D’autant qu’il est désormais certain que des ressortissants syriens ont commis le crime. Les cinq personnes concernées ont d’ailleurs été arrêtés par l’armée. C’est à cette occasion que le dossier est revenu sur le devant de la scène. Mais bien avant le meurtre, le problème de la présence des Syriens existe. La question est démographique, économique et sociale… mais elle est avant tout existentielle. C’est pour cette raison que nous nous sommes lancés dans cette bataille et nous n’allons pas faire marche arrière. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés en voyant le pays s’effondrer, dans la mesure où nous risquons d’être littéralement inondés par des étrangers, alors qu’un pays comme le Liban ne peut pas supporter cela.
Mais pouvez-vous clairement définir « les zones sûres » en Syrie actuellement ?
D’abord, je voudrais rappeler que 10 à 15 millions de Syriens vivent aujourd’hui en Syrie, même si cela n’éclipse aucunement le fait que la situation n’a jamais était bonne (sur le plan politique, NDLR) là-bas.
Ensuite, on peut dire qu’il existe une région « sûre » pour chaque catégorie de Syriens. Ainsi, à titre exemple, les opposants au régime à tendance islamiste pourraient très bien vivre à Idleb, alors que le Nord du pays pourrait accueillir les opposants moins radicaux… Il y a aussi les quelque 200 000 Syriens présents au Liban qui s’étaient rendus aux urnes lors de la « présidentielle » syrienne. Ceux-ci peuvent très facilement revenir chez eux (dans les zones contrôlées par le régime).
Je tiens à souligner aussi que le retour auquel nous appelons ne concerne pas ceux qui sont sur la liste noire du régime syrien, sachant qu’il est du devoir du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés de trouver une destination tierce à ceux parmi les 1 700 000 Syriens présents au Liban qui font face à un véritable danger. D’autant plus que le Liban est un pays de transit et non de refuge.
Suite à l’affaire Pascal Sleiman, le nombre d’agressions contre les Syriens présents au Liban a gravement augmenté. Les FL n’ont publié qu’un seul communiqué dénonçant ces agissements. Ne craignez-vous pas que le manque de sensibilisation au danger de ce genre d’actions ne mène le pays vers de graves dérapages sécuritaires ?
Nous ne nous sommes pas contentés du communiqué dont il est question (publié par le département média du parti trois jours après l’incident Sleiman, NDLR). Nous avons également sanctionné les membres encartés du parti qui s’étaient impliqués dans ces agressions que nous refusons et rejetons. Et les forces de l’ordre sont également intervenues sur ce plan. Ce qui a permis de tourner cette page. Mais il faut également reconnaître que face à des situations explosives, on ne peut pas demander aux gens de ne pas réagir. Il faut donc régler le problème principal : la présence massive de Syriens au Liban.
Ces derniers temps, les FL donnent le sentiment d’induire en erreur l’opinion publique. Car, d’une part, elles se veulent le porte-étendard de la confrontation dite « souverainiste » face au Hezbollah. De l’autre, elles font du dossier des migrants syriens leur cheval de bataille. Quel est votre véritable combat aujourd’hui ?
Nous menons différents combats, celui du retour des Syriens et celui de la confrontation face au Hezbollah. Et je voudrais rappeler dans ce cadre qu’à l’issue du meurtre d’Élias Hasrouni (cadre FL retrouvé mort dans son village natal de Aïn Ebel au Liban-Sud en août 2023), nous avons directement accusé le Hezbollah. Dans l’affaire Pascal Sleiman, je n’accuse pas le Hezb sans preuve à l’appui. Mais cela ne réduit en rien (l’ampleur de notre confrontation) face à ce parti pour les raisons connues, à commencer par sa décision unilatérale de mener le pays vers la guerre, la paralysie des institutions et le blocage de la présidentielle. En parallèle, nous menons la bataille du retour chez eux des réfugiés syriens.
Mais vous le faites alors que vous étiez un des premiers à défendre leur maintien au Liban depuis le début de la guerre en Syrie.
C’est ce que le CPL dit et veut faire croire à l’opinion publique. Je soutiens toujours la révolution syrienne contre le régime dictatorial de Bachar el-Assad. Mais je pose une question à ceux qui nous critiquent aujourd’hui : qu’ont-ils fait dans ce dossier alors qu’ils avaient une dizaine de ministres (au sein du gouvernement Mikati sous le mandat duquel a débuté le flux de migrants syriens vers le Liban) ? Ensuite, qu’ont-ils fait quand le chef de l’État était des leurs ? Il faut arrêter de leurrer les Libanais.
Sur un autre registre, le pouvoir en place a fait la sourde oreille à vos appels à la tenue des municipales et le Parlement se dirige vers un troisième report du scrutin. Qu’en pensez-vous ?
Tant que le camp de la moumana’a (piloté par le Hezbollah) et le CPL existe, l’État ne sera pas édifié. Preuve en est la question des municipales qu’ils veulent torpiller parce que, après les législatives de 2022, ils ont compris que l’humeur populaire ne leur est plus favorable. En réponse à tout ce qui se dit, je voudrais assurer que nous ne voulons pas dissocier le Sud du reste du pays. Il suffit de tenir le scrutin et organiser les élections au Sud après la fin des hostilités comme ce fut le cas pour les élections de 1998, organisées 3 ans plus tard au Sud (après le retrait israélien de 2000). L’année dernière, il n’y avait pas de prétexte valable. Mais ils ont retardé la consultation pour éviter un test de popularité inopportun. Cela sera possible aujourd’hui en raison du comportement honteux du CPL (qui prendrait part à la séance prévue à cette fin jeudi à la faveur d’un accord tacite conclu avec le président de la Chambre Nabih Berry).
commentaires (12)
Ce ne sont, ni les organisations humanitaires, ni l’ONU, ni l’Union européenne, ni selon ce terme les "occidentaux" qui empêchent les réfugiés syriens de rentrer chez eux. C’est le régime syrien, selon un plan bien étudié, qui pose deux conditions pour leur retour dans la pure logique du "profitariat" : La poursuite de l’indemnisation des réfugiés même une fois de retour chez eux, et la reconstruction de leurs habitations par les "occidentaux" que le régime a détruit…
Nabil
00 h 09, le 23 avril 2024