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Culture - Édition

« Tintin au Congo » enfin muni d’une préface sur son contexte colonial

« Tintin au Congo » enfin muni d’une préface sur son contexte colonial

L’ancienne couverture de « Tintin au Congo »...

C’est sans beaucoup de publicité que Tintin au Congo est ressorti en novembre dans une version inédite, colorisée, dotée d’une nouvelle couverture mais surtout, pour la première fois, avec une préface qui remet dans son contexte cet album à la gloire de la colonisation.Tintin au Congo, par Hergé, est republié dans sa version originale, parue en feuilleton en 1930-1931 dans Le Petit Vingtième et en volume en 1931. Alors qu’à l’époque il était en noir et blanc, les éditions Moulinsart et Casterman ont ajouté des couleurs.

L’album est vendu au sein d’un coffret appelé « Les colorisés », sorti le 1er novembre. Il comprend aussi Tintin au pays des Soviets (1930) et Tintin en Amérique (1932).

L’éditeur a très peu communiqué sur cette parution, malgré son importance. Pascal Blanchard, historien spécialiste de l’imaginaire et de la propagande colonialistes, n’en avait ainsi jamais entendu parler avant que l’AFP ne la lui montre.

« C’est très intéressant et intelligent de leur part de faire ce travail. Car il faut publier Tintin tel qu’il était à l’époque, affirme-t-il. Mais je trouve étonnant que la couverture ne mentionne pas cet avant-propos. Et que le petit garçon congolais disparaisse : cette couverture, ils l’ont déracialisée ! »

Dans l’édition de 2023, Tintin y fait face à un lion.

Les lecteurs connaissent mieux celle de la version couleur de Tintin au Congo de 1946, où Tintin est au volant. Cet album avait été entièrement revu. Exemple : à l’intérieur, Tintin donne un cours de mathématiques à des écoliers congolais, alors qu’à l’origine (et donc dans l’édition de 2023) sa leçon porte sur « votre patrie : la Belgique !... ».

« Pur esprit paternaliste »

Sur les aventures du jeune reporter dans ce très vaste pays qui fut colonie belge de 1908 à 1960, la polémique ne s’est jamais vraiment éteinte depuis plus d’un demi-siècle. Autour d’une question surtout : les personnages noirs de l’album sont-ils représentés de manière simplement caricaturale, ou franchement raciste ?

Hergé lui-même avait vu cette controverse monter à la fin de sa vie. Il avait répondu au journaliste Numa Sadoul en 1975 : « Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient (...) Je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le plus pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque. »

Pour cette préface, l’auteur choisi n’est pas un observateur neutre. Philippe Goddin, expert de BD, préside l’association Les Amis de Hergé.

Il a longuement recherché les sources choisies par Hergé, à la fois iconographiques, pour son dessin, et textuelles, pour son scénario. Et il ne voit pas de racisme.

« On a dit qu’Hergé a odieusement caricaturé les Congolais. Raciste, lui ? Il s’en est vigoureusement défendu (...) Il brocarde allègrement tout son monde, Blancs comme Noirs », écrit le préfacier.

Une position qu’il explique ainsi : « On est raciste à partir du moment où on veut dénigrer, rabaisser l’autre, ce qui n’est pas le cas de Tintin au Congo. Bien sûr, il y a des stéréotypes, des caricatures. Hergé insiste sur les grosses lèvres, les nez épatés, comme beaucoup de dessinateurs à l’époque. Mais pour moi, même si la frontière est fragile entre caricature et racisme, il ne la franchit pas. »

... et la nouvelle version. Crédit éditions Casterman

Éponge de son époque ?

Pascal Blanchard se dit peu convaincu.

« Cette préface est très contestable. Elle nous dit Hergé serait une simple éponge de son époque. C’est léger, c’est faux », estime-t-il.

« Hergé a fait un choix politique d’ignorer les sources qui décrivent la violence de la colonisation, ajoute l’historien. Et Philippe Goddin abuse d’un paradoxe : en nous montrant qu’Hergé est au plus près des photos qui lui parviennent du Congo, il considère que l’iconographie sur les colonies, dans un pays doté d’une agence de propagande coloniale, deviendrait une source de véracité. Non, c’est une propagande. »

Pascal Blanchard en aurait voulu plus : « Une seconde préface signée d’un grand historien comme Elikia M’Bokolo », Congolais spécialiste de l’Afrique aux XIXe et XXe siècles.

Le Conseil représentatif des associations noires (CRAN), collectif français, a plusieurs fois interpellé sur la nécessité d’ajouter une préface à Tintin au Congo, en vain. Il salue aujourd’hui la préface de 2023.

« C’est depuis 2007 qu’on se bat pour l’avoir, donc c’est une satisfaction. Le bon sens l’a emporté », a déclaré le fondateur du CRAN, Patrick Lozès.

« Cet album renvoie à une époque, heureusement révolue, où il était acceptable de considérer les Noirs comme des êtres inférieurs, a-t-il ajouté. Dans l’album, les Africains sont les seuls à s’exprimer comme des imbéciles. Même un chien parle mieux qu’eux. On ne pouvait plus laisser les jeunes lecteurs face à ça, sans contexte, sans explication. »

Hugues HONORÉ/AFP

« Tintin au Congo » dans le monde : un éventail de polémiques

Tintin au Congo, l’un des plus grands succès de Hergé avec ses deux versions (1931 et 1946), a vu son lot de polémiques dans le monde. Aux États-Unis, cette œuvre qui se déroule sous la colonisation belge, dans l’entre-deux-guerres, n’est même plus éditée.

– Belgique : au pays de Tintin, toutes les aventures du jeune reporter sont très largement diffusées et régulièrement rééditées. Mais la justice a dû examiner une plainte en 2009 d’un Congolais, Bienvenu Mbutu Mondondo, qui réclamait d’interdire la vente de Tintin au Congo, ou à défaut d’imposer un bandeau d’avertissement ou une préface mettant en évidence les préjugés raciaux dans l’ouvrage.

En 2012, un tribunal de Bruxelles a tranché, estimant que Hergé n’avait aucune « intention discriminatoire ». L’album peut être vendu sans restriction, ni avertissement.

– RD Congo : les Congolais sont fans de l’album, qui fait partie de la culture populaire du pays. Génération après génération, son succès ne se dément pas.

« Malgré la controverse » et les « images caricaturales des personnages noirs », écrit dans un mémoire de master de 2021 une chercheuse congolaise au Danemark, Elie Kabishi Luabeya-Masengo, « jeunes et adultes le lisent encore ou cherchent à le lire (...) Cette œuvre, non seulement a donné le goût de la lecture des bandes dessinées aux jeunes Congolais, mais elle a également inspiré certains auteurs congolais de bandes dessinées ».

Une statuette de Tintin en tenue coloniale est un souvenir classique pour les visiteurs de la RDC, de même que les détournements de la couverture (avec par exemple : Sébastien au Congo).

L’album, largement disponible en librairie et en bibliothèque, reste un produit d’importation : Tintin au Congo n’a jamais connu d’édition en RDC, relève Munkulu di Deni, professeur de littérature à Kinshasa, écrivain et critique littéraire.

– États-Unis : Tintin in the Congo a été traduit pour la première fois en 1991 seulement. Puis, une réédition de tous les albums de Tintin en 2007 par Little, Brown and Co avait supprimé celui-là, de crainte qu’un seul titre éclipse tous les autres.

L’éditeur historique de Tintin aux États-Unis, Borders, ayant disparu en 2011, les lecteurs peuvent se procurer en ligne l’édition britannique de 2016 par Casterman.

Amazon.com prévient que l’album « a subi des critiques à la fois pour son attitude perçue comme raciste et colonialiste envers les Congolais et pour son apologie de la chasse au gros gibier ».

Cette édition britannique comprend une préface des traducteurs. Très brève, elle rappelle la défense d’Hergé qui expliquait avoir relayé ce que tout le monde disait du Congo à son époque. « Une interprétation que certains lecteurs aujourd’hui pourraient trouver offensante », soulignent les traducteurs Leslie Lonsdale-Cooper et Michael Turner.

L’album est absent des bibliothèques publiques et librairies, dans un pays qui connaît mal Tintin. La chaîne de librairies Barnes and Noble dit toutefois le vendre en langue française.

– Suède : Tintin i Kongo, traduit pour la première fois en 1948, a été l’objet de plusieurs débats d’ampleur nationale. En 2007, l’album a été visé par une plainte pour racisme, classée sans suite. En 2012, quand une bibliothèque pour enfants de Stockholm a annoncé le retirer de ses rayons, de nombreuses voix se sont élevées pour ou contre. La presse a découvert que cette bibliothèque n’en possédait pas d’exemplaire, en vérité.

L’édition de Tintin au Congo de 2004 contient une préface du traducteur Björn Wahlberg. « Les Africains sont grossièrement caricaturés », prévient-il, regrettant que l’édition de 1946 n’y ait rien changé. « L’album doit plutôt être lu comme un document historique venu d’une Europe disparue », conclut-il.

Selon le directeur du centre suédois de la bande dessinée Serieteket, Ola Hellsten, il y a dans l’album « un racisme évident ». Mais « il fait partie de notre histoire, et notamment de l’histoire de la bande dessinée, et il va donc de soi qu’il devrait figurer sur les étagères de Serieteket », a-t-il expliqué.

– Danemark : le Danemark est le pays qui fit modifier Tintin i Congo. L’éditeur danois trouvait inacceptable une scène où Tintin fait exploser un rhinocéros à la dynamite. Hergé donne son accord pour la supprimer dans la parution en feuilleton en 1948-49. Dans l’album paru dans le pays en 1975, l’auteur dessine le rhinocéros qui fuit.

C’est sans beaucoup de publicité que Tintin au Congo est ressorti en novembre dans une version inédite, colorisée, dotée d’une nouvelle couverture mais surtout, pour la première fois, avec une préface qui remet dans son contexte cet album à la gloire de la colonisation.Tintin au Congo, par Hergé, est republié dans sa version originale, parue en feuilleton en 1930-1931 dans Le Petit...
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