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Culture - DOCUMENTAIRE

« Yallah Gaza », dans les cinémas européens pour montrer la vie « avant le 7 octobre »

Projeté, depuis le mercredi 8 novembre dans plus de 35 villes françaises ainsi qu'en Suisse, en Belgique et au Luxembourg,  le film documentaire de Roland Nurier  propose une présentation chorale de la bande de Gaza et de ses habitants, avant la tragédie de ces dernières semaines.

« Yallah Gaza », dans les cinémas européens pour montrer la vie « avant le 7 octobre »

Dans cette scène tirée de « Yallah Gaza », la jeunesse gazaouie est encouragée à exprimer sa douleur par la danse. DR

Retraité de l’industrie, Roland Nurier est passionné de cinéma depuis de nombreuses années. C’est son premier voyage en Palestine, en territoire occupé, qui lui a donné envie de passer à la réalisation. « Je suis revenu bouleversé de mon premier voyage, en 2014, et j’ai souhaité raconter ce que j’avais vu. J’y ai été encouragé par une réalisatrice palestinienne, Mai Masri, que j’ai accompagnée en Auvergne-Rhône-Alpes pendant la promotion de son film remarquable, 3 000 nuits (2015). En 2017, je suis retourné sur place, et j'ai réalisé mon premier film, Le char et l’olivier, une autre histoire de la Palestine, qui a fait 30 000 entrées », explique ce cinéaste autodidacte originaire de la ville de Tarare, en région lyonnaise. Le projet de Yallah Gaza est né dans la foulée. « J’ai eu envie de raconter l’histoire de ce territoire où des millions de personnes sont bouclées, pour leur rendre leur humanité. N’ayant pas obtenu l’autorisation de m’y rendre, j’ai travaillé avec Iyad Alasttal, un cinéaste gazaoui qui a fait ses études en France, à qui j’ai transmis mes rendez-vous et la teneur des entretiens prévus avec les différentes personnes concernées. Pendant ce temps, j’ai avancé mes tournages en Europe, les séquences ont majoritairement été tournées en 2022 », précise Roland Nurier, qui a favorisé une approche plurielle de la réalité sociétale de Gaza. « Nous laissons la parole à des historiens, des spécialistes de la région, des juristes, des journalistes, mais aussi des paysans, des pêcheurs et même Ken Loach, dont je connaissais l’engagement pour la Palestine », poursuit celui qui a su tresser une approche à la fois diachronique et synchronique. La remise en contexte historique résonne avec les analyses plus récentes d’une situation structurellement inextricable.

Le réalisateur et scénariste français Roland Nurier. Photo DR

« Je suis un simple citoyen, attaché à des valeurs, or elles sont bafouées, notamment par les positions que prend mon gouvernement, que je désapprouve. Ce sujet m’intéresse depuis au moins 40 ans, je suis un lecteur du Monde diplomatique, et ces lectures m’ont ouvert les yeux. En outre, on ne revient pas indemne d’un voyage en Palestine, lorsque l’on mesure l’injustice que vit ce peuple sur le terrain et, depuis 75 ans, le monde entier leur tourne le dos ! » constate Roland Nurier, qui ne se dit pas complètement surpris des événements tragiques du 7 octobre. «On ne peut pas enfermer 2,3 millions de personnes dans 365 km2, en niant tous leurs droits, et en pensant qu’ils ne vont jamais se révolter», déplore le documentariste avec émotion . «Ce qui est arrivé est dramatique pour les victimes israéliennes, mais la population gazaouie est en train d’en payer le prix fort. La responsabilité principale revient à l’occupation et la politique israélienne de colonisation », martèle-t-il.

Yallah Gaza fait entendre les voix dissidentes, antisionistes, de la société israélienne, comme celle de la fondatrice de l’association De-Colonizer, qui considère que Gaza« nous rappelle notre colonialité ». Le responsable de l’Union juive française pour la paix considère que le sionisme repose sur l’idée de « l’impossibilité du vivre-ensemble et sur une idéologie de la séparation ».


« L’association De-Colonizer a pour but d’identifier les 630 villages qui ont été rasés pendant la Nakba. On a suffisamment l’occasion d’entendre des juifs sionistes sur les plateaux télé en France, je voulais faire entendre un autre point de vue, comme celui d’un pilote de l’armée israélienne qui a refusé de bombarder Gaza au début des années 2000, et qui compare la bande de Gaza au ghetto de Varsovie, où a été enfermée sa grand-mère », ajoute le cinéaste, qui a apprécié la fluidité avec laquelle ont été tournées les différentes séquences du film. « On a demandé au Hamas l’autorisation de tourner une séquence dansée par les jeunes, à travers la ville, qui est le fil conducteur du documentaire, et cela n’a pas posé de problème. Il s’agissait de montrer des gens normaux, dans un environnement anormal, et de saisir le dynamisme et la cohésion de cette société, malgré la pression du Hamas, qui crée des tensions internes, je ne suis pas naïf à ce sujet. Les gens manquent de tout mais le tissu associatif est incroyable. Les jeunes sont très diplômés mais ne trouvent pas de travail, avec 60 % de taux de chômage. Mais ils s’engagent dans le bénévolat et ne baissent pas les bras. Les travailleurs sociaux, l’entraîneuse de foot pour filles, le professeur de dabké en sont les témoins », enchaîne Roland Nurier, qui a particulièrement soigné l’esthétique de son film, dont les images et la construction se fondent avec délicatesse et harmonie, malgré la tristesse de nombreux passages.

« Je n’ai plus de nouvelles d’un grand nombre de protagonistes du film »

Le réalisateur souligne que les différentes séances où il rencontre le public sont particulièrement émouvantes, l'auditoire étant très touché par les mots désespérés de ceux qui vivent une oppression constante, en refusant le statut de victime. « Je suis fondamentalement non violent, et ce qui s’est passé le 7 octobre est un crime contre l’humanité, mais je suis atterré par la violence de l’arme israélienne, on est à plus de 11 000 morts, dont les deux tiers sont des femmes et des enfants. Les Gazaouis ont subi 5 guerres depuis l’enfermement de 2006. Dans le film, on parle des marches du retour qu’organisent les jeunes depuis 2018, pour réclamer leurs droits, à la frontière avec Israël. Cette résistance est pacifique, mais sa répression militaire est très violente, donc que doivent-ils faire ? Accepter d’être enfermés dans des réserves comme les Amérindiens ? Je les connais bien, et je pense qu’ils ne sont pas prêts à baisser la tête et accepter leur sort ! Tant qu’il n’y aura pas de décolonisation dans la région, il n’y aura pas de paix. La communauté internationale doit se réveiller et cesser d’appuyer l’État d’Israël de manière inconditionnelle ! » affirme ce cinéaste engagé, dont le film a été diffusé la semaine passée à l’Assemblée nationale.

Le réalisateur palestinien Iyad Alasttal a filmé les séquences dans la bande de Gaza. Photo DR

Ce qui transparaît dans les propos du cinéaste, c’est une immense inquiétude pour la situation sur place. « Une partie des scènes a été tournée dans des lieux qui sont maintenant des champs de ruines. Je n’ai plus de nouvelles d’un grand nombre de protagonistes du film. Iyad est encore en vie, sa maison a été bombardée à Khan Younes (qui n’était pas censée être une cible) et il est réfugié avec sa famille chez des voisins. Je reçois des appels au secours, je ne sais pas répondre. Je n’ai aucun signe de vie du vieil homme palestinien avec sa clé, qui témoigne auprès des enfants par souci de transmission, ni du pêcheur qui risque sa vie tous les matins en allant travailler, ni des psychologues pour enfants ou de la coach de football féminin », confie-t-il la gorge nouée.

La multitude des témoignages dans Yallah Gaza fait résonner des paroles d’oppression, celle des agriculteurs dont les champs sont régulièrement recouverts de pesticides par les avions militaires, celle des mutilés de guerre qui tentent de vivre avec dignité, celle des mères dont les enfants sont traumatisés. Les paroles de ceux qui refusent d’être des assistés et se battent pour maintenir un niveau d’éducation de qualité. Il y a aussi le récit d’amitiés entre chrétiens et musulmans, qui attestent d’une cohésion sociétale réelle. Le docteur Oberlin, chirurgien français, qui s’est fréquemment rendu à Gaza pour des missions humanitaires, raconte s’y être trouvé à Noël, qui est un jour férié, avec 3 % de chrétiens, et tout le monde trouve ça normal. En revanche, la messe du dimanche a lieu le vendredi, c’est plus pratique… Parmi les témoignages recueillis, les plus émouvants émanent de la jeunesse, celle qui n’abandonne pas son rêve d'une vie meilleure, comme le professeur de dabké qui encourage ses élèves à exprimer leur souffrance par la danse, ou cette jeune fille orpheline, grièvement blessée, qui a porté plainte auprès de la Cour pénale internationale parce qu’elle ne peut pas accepter l’injustice, ou encore cette institutrice qui continue ses cours dans des bâtiments détruits. « En France, l’empathie à l’égard de ce que vivent les Palestiniens est de plus en plus importante, il faudrait que ça se traduise politiquement », commente Roland Nurier, dont le film est diffusé dans 35 villes de l’Hexagone, mais aussi en Suisse. Les dates sont de plus en plus nombreuses, car les avis sur le film sont très positifs. Après la tournée parisienne, le documentariste rencontrera son public en régions, puis en Belgique, en Suisse, au Luxembourg, au Canada, en Algérie, en Palestine, au cours du festival Cinema Days, à Ramallah et Jérusalem... Ensuite, Yallah Gaza sera accessible en ligne, sur différentes plateformes, dont Arte, Universciné, ou Orange, comme c’est déjà le cas pour Le char et l’olivier. Les informations sur le film peuvent être suivies sur sa page Facebook et Instagram.

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Ce que souhaite le cinéaste, c’est réaliser une trilogie sur la Palestine. « Je voulais la terminer par un film sur les Palestiniens d’Israël, à travers l’histoire des Bakri, une famille d’acteurs, avec Mohammd Bakri, mais aussi Saleh (Alam, 2023). Mais je crains de ne pas pouvoir me rendre en Israël, mon regard n’étant pas vraiment une ode à sa politique… Sinon, je m’orienterai vers la diaspora palestinienne. Iyad m’envoie les vidéos actuelles de son cadreur, qui prend des risques incroyables, je ne les relaie même pas, tellement c’est insupportable à regarder. Il y aurait de la matière pour un film sur le Gaza d’après, je ne sais pas si nous le ferons. Pour l’instant, l’urgence, c’est que les Gazaouis sauvent leur peau et que l’on obtienne de la communauté internationale qu’elle exige un cessez-le-feu, c’est dérisoire de penser à un film », conclut tristement Roland Nurier.

Retraité de l’industrie, Roland Nurier est passionné de cinéma depuis de nombreuses années. C’est son premier voyage en Palestine, en territoire occupé, qui lui a donné envie de passer à la réalisation. « Je suis revenu bouleversé de mon premier voyage, en 2014, et j’ai souhaité raconter ce que j’avais vu. J’y ai été encouragé par une réalisatrice palestinienne, Mai...
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