Il aurait aimé pouvoir réparer par l’art la violence et les destructions. C’est cependant la couleur du sang qui s’est imposée de facto dans l’une des grandes œuvres murales que Abed al-Kadiri était en train de réaliser in situ dans le cadre de l’exposition Genealogy of a Repair que lui consacre la galerie Dumontier Contemporary à Paris, depuis le 17 octobre jusqu'au 18 novembre.
Représentant des forêts, lieu d’apaisement absolu pour l’artiste, ces murales – dont la vente est destinée à être entièrement reversée à un orphelinat français–, se sont teintées de douleur pour ce Libanais résidant en France depuis 2021. La résurgence brutale du conflit entre Israël et le Hamas l’ayant renvoyé, à quelques jours de son premier vernissage parisien, à ce Proche-Orient ravagé par la violence, les guerres et les massacres d'où il est issu. Une région qui hante son travail artistique, mais dont il avait voulu s’éloigner physiquement au lendemain de la tragédie du 4 août 2020 pour tenter de se reconstruire émotionnellement. Et réparer aussi ses toiles rescapées de la double explosion au port de Beyrouth qui avait impactée la galerie Tanit à Mar Mikhaël sur les cimaises de laquelle elles étaient alors accrochées.
Pour les enfants de France et de Gaza
Ces toiles, l’artiste libanais était heureux de les montrer « restaurées, rapiécées au fil et à l’aiguille même par endroit, ayant échappées au pire » au public français comme le témoignage du triomphe de l’art contre la violence…
Sauf que cette dernière est terriblement traîtresse. En refaisant une énième irruption brutale à Gaza, elle a ramené Abed al-Kadiri vers l’horreur du spectacle du sang des innocents. « Une violence qui me bouleverse émotionnellement, que je ne supporte pas de voir exercée contre qui que se soit dans le monde, encore moins contre une population qui crie sa souffrance dans la même langue que la mienne, et qui subit le traumatisme des bombardements auquel nous avons été nous aussi exposé maintes fois en tant que Libanais… Une violence qui a une résonance particulière pour moi dont le travail aborde aussi la situation du monde arabe et de sa population trop souvent victime d’injustices », confie à L’OLJ cet artiste activiste dans l’âme. Et dont le parcours de vie en temps de guerre l’a amené à s’interroger sur la forme et la manière d’apporter un support à l’humain à travers l’art.
Un questionnement né en particulier dans la foulée de la double explosion du 4 août et dont la réponse directe s’était exprimée dans le projet de fresque murale en 20 panneaux, intitulé Aujourd'hui, je voudrais être un arbre (2020), qu’il avait réalisé dans le but de collecter des fonds pour la reconstruction et la réhabilitation des maisons de Beyrouth.
C’est d’ailleurs dans cet esprit d’un « art pour une cause » qu’il a abordé l’élaboration au sein de la galerie parisienne de deux grandes murales au fusain. Deux grandes fresques dédiées à récolter un soutien financier à une association qui s’occupe d’orphelins français. Et qui, à travers la métaphore de l’arbre, symbole par excellence « de la terre, des racines, de la force d’endurance et de guérison», font contrepoids chez cet artiste d’une grande sensibilité aux chocs et aux ravages du monde. Sauf entre-temps, le choc s’étant à nouveau reproduit, Kadiri ne pouvait plus se borner à représenter des forêts à l’inébranlable sérénité. Et c’est de manière totalement spontanée, « presque dans un geste inconscient », qu’il s’est saisi d’un pastel de couleur rouge pour réaliser, à la suite de ce 17 octobre de triste mémoire, une troisième murale représentant un olivier… Dont les recettes de vente serviront à financer des actes de soins apportés par des ONG (comme Médecins sans frontière ou Medical Aid for Palestine) aux enfants de Gaza.