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Culture - Initiative

À l’Institut français, une réflexion artistique sur le rôle de l’archivage au Liban

Neuf créatifs français et libanais sont invités par l’Institut culturel français du Liban et UMAM (documentation et recherches) à prendre part à 5 jours de hackathon (un workshop collectif) où, en se basant sur des archives libanaises, ils produisent un objet audiovisuel hybride qu’ils présentent ce soir à 17h30 dans la galerie de l’Institut.

À l’Institut français, une réflexion artistique sur le rôle de l’archivage au Liban

Les neufs artistes du projet « Nazrati » en présence de leurs mentors et de Guillaume Duchemin. Photo Ricardo Labaki

Comment un pays qui ne s’approprie pas son passé et sa mémoire peut-il envisager l’avenir ? Afin d’engager une réflexion autour de cette interrogation très pertinente, l’Institut français du Liban (IFL) a confié cette question à neuf créatifs qui ont la capacité d’un regard différent sur le monde et une aptitude à prendre du recul et à analyser les documents d’archives de Studio Baalbeck (une maison de production de films fondée au Liban en 1962). Des documents mis à leur disposition par UMAM Documentation & Research, association culturelle à but non lucratif dirigée par Monika Borgmann, chargée de gérer les archives constituées par Lokman Mohsen Slim qui avait récupéré toutes les archives abandonnées du Studio Baalbeck entre autres. « Il a d’abord fallu octroyer à ce projet une double nationalité franco-libanaise, confie Guillaume Duchemin, directeur adjoint de l’Institut français du Liban et conseiller adjoint de coopération et d’action culturelle, et confronter les Libanais, qui sont plus ou moins informés sur l’histoire du Liban, aux Français, qui en connaissent moins les différents voets, d’où la nécessité d’un regard extérieur. Il a fallu ensuite mêler différentes disciplines artistiques. »

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Le projet est né ainsi du partenariat de l’IFL avec UMAM. Le corpus des archives aujourd’hui mis à la disposition des artistes est composé d’images, de sons, d’objets et de documents. Pour Guillaume Duchemin, la question qui se posait essentiellement était la suivante : de quelle manière pourrait-on proposer à des artistes, des cinéastes, des narrateurs, des illustrateurs, des développeurs, des ingénieurs du son, des créatifs de s’emparer de l’image du passé pour pouvoir nous donner leur propre vision de l’avenir ? « C’est un saut créatif, une sorte d’allégorie d’images du passé, d’archives libanaises inédites comme matière, pour pouvoir ensuite les utiliser et s’en servir pour une vision d’avenir, une “nazra” », précise le directeur adjoint de l’IFL. D’où le titre du projet, « Nazrati » (Ma vision), qui prend la forme d’un hackathon. Mais qu’est-ce qu’un hackathon et quelles en sont les contraintes ?

Opération décryptage des données par les artistes concentrés sur leurs œuvres en devenir. Photo Ricardo Labaki

Remonter le temps pour mieux appréhender l’avenir

Le dictionnaire définit le mot hackathon ainsi : « La contraction des termes hacker et marathon. C’est une compétition d’innovation où les participants se réunissent pour générer des idées et concevoir des solutions sur une période très courte. » Les hackeurs sont ceux qui sont capables d’investir un site internet et de libérer des bases de données pour les mettre à portée du public. « Dans cette initiative, précise Guillaume Duchemin, il n’y a pas d’opération de “hacking” puisque UMAM met à la disposition des artistes les données en question. » Dans un espace qui jouxte la galerie principale, des écouteurs aux oreilles ou fixés sur leurs écrans, les artistes, dans une ambiance studieuse, décryptent ces données. Dans une des salles mises à leur disposition, un tableau noir encombré de graphiques, de flèches, de croquis et de phrases qui se mélangent dans le but de donner naissance à un projet. « Certains artistes absents, explique Valérie Cordy, se sont rendus chez UMAM, à Haret Hreik, en quête de pépites qui donneront sens à leur narratif. » Et la conceptrice, performeuse et metteuse en scène française de comparer le processus à une résidence créative très courte et très intense, un genre d’atelier où les artistes sont encadrés par des maîtres du temps. « Ghada Waked, Clémence Cottard Hachem (chercheuse et curatrice, NDLR) et moi-même sommes là pour accompagner les équipes dans leur projet, et non pour les diriger, et ainsi les placer dans le tempo de ce dispositif qui dure cinq jours. Et nous assurer que l’objectif sera bien atteint. »

Les créatifs qui ont été choisis ne sont pas des étudiants, mais des artistes bien établis dans leur domaine. Leur pratique artistique et professionnelle est déjà aguerrie et prouvée. « La difficulté et la contrainte les plus importantes sont de pouvoir composer avec l’autre, eux qui sont habitués à travailler seuls », remarquent les participants d’une même voix. « Certaines équipes ont opté pour travailler individuellement sur un projet commun, explique Ghada Waked, et d’autres, au contraire, réalisent un travail complètement entremêlé. » Faisant remarquer qu’il s’agit de deux processus créatifs différents, elle ajoute qu’il y a plusieurs strates dans ce projet. « On trouve dans ces archives quelques films sur la poste, des papiers d’administration, des photos aériennes de Beyrouth, des bouts de films dont on ignore la provenance, des enregistrements, des chutes de films, de la publication et de la comptabilité », énumère la professeure d’université. Mais un hackathon, c’est aussi une série de contraintes.

Opération décryptage des données par les artistes concentrés sur leurs œuvres en devenir. Photo Ricardo Labaki

L’art commence avec la difficulté

« Il est mis à la disposition des artistes un corpus d’archives et de données qu’ils se doivent absolument d’utiliser, explique Guillaume Duchemin. Le travail se fait en groupe de trois artistes : ils ne se connaissent pas et ne font pas forcément la même chose. » Pourtant, des profils complémentaires ont été sélectionnés : ici un cinéaste, une personne responsable du son et une autre pour la musique sont réunis. Un autre groupe, composé d’un développeur hackeur, d’un artiste qui réalise du collage audiovisuel et d’un illustrateur, est complété par une documentariste audio. « Cela permet d’avoir plusieurs facettes autour d’une même équipe », indique le responsable culturel. « La troisième contrainte, c’est qu’ils travaillent sur cinq jours uniquement pour produire un prototype qui sera le fruit de leur réflexion et de leur travail. Dans la galerie, trois boîtes mises à leur disposition constituent les trois espaces clos d’expérimentation. Le prototype final sera audiovisuel mais sonore aussi, il peut tout aussi bien être une performance ou une installation. On n’impose rien quant à la forme. Ils ont carte blanche et ont la liberté d’écrire, de projeter, de dessiner sur les murs afin de provoquer l’effet expérience. »

Opération décryptage des données par les artistes concentrés sur leurs œuvres en devenir. Photo Ricardo Labaki

Et Guillaume Duchemin de conclure : « La raison pour laquelle l’Institut français se penche sur la problématique des archives, c’est que c’est un sujet très important pour la mémoire, la traçabilité du passé, la recherche d’identité et la transmission. L’Institut a par ailleurs un fonds de soutien avec l’INA pour l’audiovisuel public libanais (Radio Liban, Télé Liban, etc.), qui finance depuis un an et demi la venue d’experts au Liban afin d’aider le secteur audiovisuel et de lancer un processus pour classer les archives méthodiquement dans un premier temps et puis de les mettre à la disposition du public. » Belle initiative une fois de plus des Français qui soutiennent et encouragent la culture libanaise et son héritage... Reste la surprise de découvrir le produit de ce hackathon, à l’IFL, rue de Damas, jusqu’au 2 février.

Opération décryptage des données par les artistes concentrés sur leurs œuvres en devenir. Photo Ricardo Labaki

« Nazrati » à l’Institut français

Vernissage le 20 janvier à 17h30. L’exposition se poursuit jusqu’au 2 février.

Les participants : Pierre Grangé-Praderas, Julien Stiegler, Nasri Sayegh, Ahmad Naboulsi, Patrick Abi Abdallah, Mahmoud Merjan, Alaa Mansour, Delphine Saltel, Kamal Hakim.

Les mentors : Valérie Cordy, Ghada Waked et Clémence Cottard Hachem.

Comment un pays qui ne s’approprie pas son passé et sa mémoire peut-il envisager l’avenir ? Afin d’engager une réflexion autour de cette interrogation très pertinente, l’Institut français du Liban (IFL) a confié cette question à neuf créatifs qui ont la capacité d’un regard différent sur le monde et une aptitude à prendre du recul et à analyser les documents d’archives de...
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