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Culture - Entretien

Karina el-Hélou, une jeune femme déterminée à se battre, prend les rênes du musée Sursock

Sa nomination à la tête de la grande institution a été accueillie favorablement par le milieu artistique libanais. Mais qui est au juste cette jeune commissaire d’exposition et historienne de l’art, devenue depuis le 4 octobre la nouvelle directrice du musée beyrouthin ? Présentation. Et objectifs.

Karina el-Hélou, une jeune femme déterminée à se battre, prend les rênes du musée Sursock

Karina el-Hélou sur les marches du musée Sursock. Photo DR

Après trois ans de fermeture pour cause de crises cumulées, culminant avec l’explosion au port de Beyrouth qui l’a lourdement impacté, le musée Sursock s’apprête, enfin, à rouvrir ses portes aux visiteurs au cours du premier semestre de 2023. La dernière phase de sa réhabilitation est en cours. Les vitraux brisés de la façade ont été remplacés, les œuvres endommagées ont été restaurées, les salles d’exposition sont en train d’être réaménagées… Et, last but not least, une nouvelle directrice, Karina el-Hélou, vient d’être nommée – après deux ans de vacance à ce poste due au départ post-4 août de Zeina Arida – pour tenir les rênes de la prestigieuse institution. La jeune femme a pris officiellement ses fonctions le… 4 octobre. Comment ne pas y voir une symbolique de renaissance ?

Rencontre avec celle qui a été choisie par le comité exécutif du musée Sursock pour « son expertise et son expérience reconnues dans la gestion de projets en tant que commissaire indépendante ainsi que pour sa connaissance des artistes et du patrimoine artistique libanais ».

Karina el-Hélou, pouvez-vous nous retracer brièvement votre parcours et nous raconter ce qui vous a menée vers l’art ?

Je me suis intéressée à l’art très jeune. C’est quelque chose qui m’a toujours passionnée. Au départ, je ne me destinais pas au commissariat d’exposition mais à la création. À 17 ans, j’ai été en France pour faire une école d’art, Penninghen en l’occurrence, où à l’issue de deux ans de « prépa » je me suis rendu compte que c’était, en réalité, l’histoire qui m’intéressait. Je me suis alors inscrite à la Sorbonne, où j’ai décroché ma maîtrise en histoire de l’art. Cela a été une décision importante que n’ai jamais regrettée. Être dans les coulisses de la création, participer à l’organisation du travail des artistes et à la réflexion sur leur univers est devenu pour moi une véritable passion.

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Cependant, avant de m’engager dans le curatoriat pur et dur, j’ai travaillé, au cours de ma vingtaine, dans plusieurs domaines plutôt administratifs et institutionnels qui m’ont familiarisée avec l’administration, la gestion des institutions et le mécénat. Je me suis occupée, entre autres, de la collection d’art contemporain d’Alain-Dominique Perrin, le président de la Fondation Cartier. J’ai fait également un master en art business au Sotheby’s Institute of Art à Londres, où j’ai aussi donné des cours dans le cadre de séminaires sur les research methods (méthodes de recherches qualitatives et quantitatives) et travaillé en galerie. Une fois toutes ces expériences accumulées, j’ai fondé en 2015, à Paris, Studiocur/art, une plateforme curatoriale à but non lucratif pour me consacrer à mes deux domaines de prédilection que sont l’art contemporain et le patrimoine. J’ai commencé par de petits projets en Europe, dans de petites galeries, avec de jeunes artistes, jusqu’à l’exposition « The Silent Echo » au Musée de Baalbeck que j’ai organisée sous le patronage du ministère de la Culture qui a donné une autre envergure à mon travail. Ce qui m’a permis par la suite de produire, entre autres, en collaboration avec le BeMa, « Cycles of Collapsing Progress », la grande exposition d’art contemporain international (NDLR : qui proposait à travers des œuvres d’artistes libanais et mexicains une réflexion, qui peut apparaître aujourd’hui prémonitoire, autour des « cycles d’effondrements ») que nous avons présentée au sein de la Foire Rachid Karamé et de la citadelle à Tripoli.

Comment avez-vous reçu la nouvelle de votre nomination ? D’autant que vous prenez les rênes de ce musée dans une période particulièrement difficile…

Fin 2018, à la clôture de l’exposition à Tripoli, j’étais repartie à Paris, où j’avais d’autres projets. Depuis, je n’avais plus eu l’occasion de retourner au Liban. Surtout avec l’irruption de la pandémie du Covid. Lorsqu’on m’a appelée en mai dernier pour me demander si je pouvais envisager de retourner vivre au Liban, je me suis dit que c’était le moment pour moi de revenir. Car j’avais vécu ces trois dernières années avec un fort sentiment d’impuissance. Et de frustration même. Celle de voir le Liban se vider de ses talents artistiques, surtout après le 4 août, et de ne pas pouvoir aider, de là où j’étais, la scène artistique libanaise comme je l’aurais voulu. Il y a bien eu quelques initiatives et expositions consacrées aux artistes libanais à Paris et dans quelques villes européennes, j’ai moi-même organisé une petite exposition à Istanbul, mais leur impact s’est révélé minime. Et le nombre de projets non aboutis m’a fait réaliser que l’on ne pouvait pas réellement faire bouger les choses de loin, qu’il fallait être sur place. Parce que notre scène reste malgré tout ici, dans ce pays. Et que l’on devait y avoir un lieu qui recueille notre expression artistique. Un lieu pour réfléchir (dans tous les sens du terme) notre identité culturelle libanaise. Et, en ce sens, le musée Sursock est l’un des plus emblématiques.

C’est donc dans cette optique que j’ai entamé les interviews et les rencontres avec son comité exécutif, et en particulier son président le Dr Tarek Mitri, tout en ne me faisant pas d’illusions sur les difficultés que j’aurais à affronter. Il y a trois ans, j’aurais décliné cette proposition. Aujourd’hui, j’ai réalisé que j’avais besoin de me sentir utile à mon pays. D’où ce retour, pour me battre sur le terrain de l’art et la culture, après 22 ans passés à l’étranger.

Avez-vous fixé une date de réouverture officielle du musée ?

Nous sommes dans la phase finale des travaux de réhabilitation. Ils devraient en principe prendre fin en début d’année prochaine, vers la mi-février. À partir de là, la réouverture devrait avoir lieu au cours des six premiers mois de 2023. À cet effet, nous préparons une grande cérémonie qui devra lancer la reprise de la programmation culturelle du musée – sachant que le café et la boutique sont déjà en fonctionnement depuis près d’un an – et qui est avant tout destinée à lever des fonds. Car nous sommes vraiment aujourd’hui en très grande difficulté financière. Nous avons besoin d’une vraie stratégie d’aide libanaise et étrangère pour continuer à exister. Sinon, ce musée ne pourra fonctionner qu’à 20 % de ses capacités. Il deviendra juste un beau bâtiment avec une collection permanente qui ne pourra pas proposer aux Libanais des expositions temporaires, des ateliers éducatifs ou encore des publications… Ce n’est pas ce service minimum que j’envisage pour cet important musée libanais. Même si son équipe s’est réduite de trente personnes à seulement six actuellement.

Où comptez-vous trouver les moyens de financement requis ?

Il faut savoir qu’avant la crise, les activités du musée étaient financées par la municipalité de Beyrouth, et notamment par le prélèvement de 5 % des taxes perçues sur chaque permis de construire. Il avait donc des revenus assez importants et bénéficiait en plus de levées de fonds ponctuelles pour de grands projets comme l’exposition Picasso par exemple, ce qui lui permettait d’avoir une cadence soutenue de dix événements par an. Ainsi qu’une activité très riche au niveau des programmations parallèles.

Aujourd’hui, la situation est malheureusement très différente. L’argent s’est évaporé. L’aide financière que nous avons reçue post-4 août des donateurs institutionnels (le ministère de la Culture français qui a pris à sa charge, avec la fondation ALIPH, la première phase des travaux de réparation et la Coopération italienne sous la supervision de l’Unesco qui se charge de la seconde) couvre uniquement les frais de réparation des dégâts causés par l’explosion au port.

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Et dans ce contexte de crises, ma préoccupation première est donc de mettre en place de nouvelles stratégies de financement. À court et à long terme. Les premières afin de reprendre rapidement les expositions. Et les secondes dans l’optique de redonner une santé financière à ce musée dans ses coûts opérationnels. Nous allons donc avoir forcément beaucoup plus recours à des modes de financement privés, en parallèle à ce que nous pourrons percevoir de la municipalité de Beyrouth. Nous allons ainsi ouvrir certaines salles à la location pour des événements privés, et surtout dynamiser le mécénat. En élargissant notamment le réseau des Amis du musée Sursock aux petits donateurs comme aux grandes entreprises. Et en tablant sur l’implication vivement souhaitée des Libanais de la diaspora comme des grands établissements publics étrangers qui voudront bien nous aider.

Vous êtes plutôt tournée dans votre pratique de curatrice vers l’art contemporain, alors que le musée Sursock est avant tout un musée d’art moderne, même s’il accorde une place à la création contemporaine. Allez-vous rester dans cette logique ou pensez-vous ouvrir plus largement l’institution aux artistes actuels ?

C’est un musée qui a une mission de conservation, de préservation et d’exposition de l’art libanais. Mon rôle en tant que directrice est de poursuivre cette mission. Alors, évidemment, il y a une collection incroyable d’art moderne que nous allons exploiter, en sollicitant bien sûr les experts dans ce domaine. Mais l’une des missions très clairement statuées du musée Sursock est d’exposer des artistes vivants. Cela a toujours été le cas. Quand le musée a ouvert dans les années soixante, il exposait dans son Salon d’automne les artistes de son époque, qui aujourd’hui sont devenus des modernes. Nous sommes encore en train d’étudier la stratégie à mettre en place. Mais je pense que l’un de nos impératifs doit être de participer à faire connaître au grand public au Liban aussi bien les dix grands artistes modernes que les dix grands artistes contemporains, dont certains sont d’ailleurs déjà présentés au sein des grandes fondations et institutions muséales internationales.

Justement, allez-vous relancer le Salon d’automne ?

Le Salon d’automne existe depuis la genèse de ce musée. Il fait partie des traditions auxquelles le public est à mon avis attaché. Nous allons donc essayer de le perpétuer, même si pour l’instant le programme va forcément être restreint à cause des moyens réduits du musée.

Avez-vous déjà établi un plan de travail ? Avez-vous une idée-force qui va guider vos programmations ? Des collaborations envisageables avec d’autres institutions ou fondations artistiques ?

Ma priorité absolue est axée, dans l’immédiat, sur le lancement de la campagne de financement. Sinon, dans un premier temps, nous allons nous appuyer sur nos collections pour présenter des expositions temporaires. Nous avons la chance d’en avoir certaines qui étaient déjà prêtes et qui n’avaient pas pu être montrées à cause du confinement, à l’instar de celle préparée par la chercheuse Natasha Gasparian qui propose un réaccrochage de certaines œuvres issues de la collection permanente. Nous allons aussi construire une programmation parallèle qui puisse animer le musée et y ramener avec une certaine fréquence les visiteurs. Dans ce registre, nous pensons mettre en place des ateliers d’initiation aux différentes formes d’art destinés aux jeunes par exemple, ainsi que des cours d’histoire de l’art adressés au grand public qui seraient donnés par des commissaires et des spécialistes étrangers qui sont sur place dans le cadre des recherches qu’ils font sur l’art libanais et de la région…

Qu’en est-il de la gratuité de l’accès aux expositions. Demeurera-t-elle ?

La gratuité est dans le testament de Nicolas Sursock. L’idée étant que ce musée dont les frais de fonctionnement sont couverts (jusque-là) essentiellement par les taxes municipales, et donc de manière indirecte par la population libanaise, se doit d’accueillir en contrepartie gracieusement cette population. D’ailleurs, nous envisageons d’impliquer davantage le public en faisant appel à des médiateurs en provenance de différents quartiers de la capitale qui pourront offrir des visites avec des narrations à chaque fois adaptées aux habitants de leur quartier.

Dans l’exposition « Cycles of Collapsing Progress » dont vous avez parlé plus haut, vous aviez présenté au Liban des travaux d’artistes contemporains d’Amérique latine. Envisagez-vous d’apporter au musée Sursock une ouverture, des collaborations et des connexions nouvelles avec des artistes, des établissements ou encore des mécènes sud-américains dont certains pourraient être d’origine libanaise ?

Je vais bien sûr consacrer tous mes efforts à rechercher de nouveaux partenariats et à renforcer les relations avec les musées et les institutions culturelles. À commencer par ceux du pourtour de la Méditerranée, des pays proches au riche patrimoine comme la Grèce, la Turquie, l’Irak et la Syrie… Après, nous pourrons toujours effectivement réfléchir à d’éventuels collaborations et échanges avec des institutions plus lointaines, en lien avec notre culture, notre identité, comme celle de la fondation d’art de Soumaya Slim-Hélou qui possède une belle collection de dessins de Gebran Khalil Gebran, par exemple.

Au final, je suis convaincue que beaucoup de choses peuvent être réalisées malgré la situation extrêmement difficile que traverse le pays. Je continue à rêver grand, malgré tout ce qui s’y passe. D’ailleurs, je tiens particulièrement à saluer le travail entrepris par mes prédécesseurs à la tête de cette institution, et notamment Zeina Arida qui a été directrice du musée de 2015 à 2021 et Elsa Hokayem, la directrice adjointe, qui ont porté le musée, seules, notamment après la tragédie du port qui lui a été fatale. C’est grâce à elles, qui ont été à l’origine de la collecte de fonds pour sa restauration, et à leurs actions que nous héritons d’une belle institution.

Après trois ans de fermeture pour cause de crises cumulées, culminant avec l’explosion au port de Beyrouth qui l’a lourdement impacté, le musée Sursock s’apprête, enfin, à rouvrir ses portes aux visiteurs au cours du premier semestre de 2023. La dernière phase de sa réhabilitation est en cours. Les vitraux brisés de la façade ont été remplacés, les œuvres endommagées ont...
commentaires (2)

De tout cœur avec vous !

Zoulou

00 h 17, le 10 octobre 2022

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Commentaires (2)

  • De tout cœur avec vous !

    Zoulou

    00 h 17, le 10 octobre 2022

  • J'éspère que le musée ouvre de nouveau et ca fait un musée important pour Beyrouth.

    Stes David

    15 h 05, le 09 octobre 2022

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