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Culture - PHOTO

Le Liban « Sans répit » de Tamara Saadé au festival « Visa pour l’image »

Parmi les expositions coups de cœur de cette 34e édition du festival international de photojournalisme de Perpignan, celle de la jeune photographe libanaise dont les images illustrent l’épuisement du Liban et de sa population, terrassés par une succession infernale de crises et de tragédies.

Le Liban « Sans répit » de Tamara Saadé au festival « Visa pour l’image »

Une photo saisissante d’un paysage urbain devenu carcasse. Photo Tamara Saadé

Depuis sa création en 1989 le festival international de photojournalisme, « Visa pour l’image », qui se tient chaque fin d’été à Perpignan, sélectionne le meilleur des reportages internationaux. L’événement qui « s’attache à montrer l’actualité du monde sous ses différentes facettes » (dixit Jean-Francois Leroy son directeur) est certes largement dominé dans cette 34e édition par les sujets de la guerre en Ukraine et de la crise climatique, mais le pays du Cèdre y est quand même présent à travers les photos de Tamara Saadé, une jeune journaliste et photographe libanaise dont le travail figure parmi les « découvertes coups de cœur » des organisateurs.

Intitulée Sans répit/Tiers of Trauma (qui joue sur la convergence sonore en anglais entre les mots « larmes » et « niveaux » du traumatisme), sa série rassemble un corpus d’une trentaine de clichés pris dans les rues de Beyrouth, dans l’objectif de « témoigner de la dramatique situation dans laquelle a sombré le Liban ces dernières années », indique leur auteure.

Exposées du 27 août au 11 septembre sur les cimaises du couvent des Minimes à Perpignan, les images de cette reporter free-lance de tout juste 25 ans illustrent, en effet, avec sensibilité et un réalisme nimbé d’une certaine poésie malgré tout, « l’épuisement d’un pays et d’une population à bout de souffle ».

Pour mémoire

La Libanaise Tamara Saadé, coup de cœur à Perpignan

« Le pays comme ses habitants sont minés par les successions de traumatismes qu’ils ont subis et continuent à subir sans répit, franchissant à chaque fois un nouveau palier dans la souffrance et le désarroi », déplore la jeune femme, dont l’exposition au festival « Visa pour l’image » couvre aussi bien les manifestations organisées à travers le pays en 2019 que les conséquences de l’explosion au port en août 2020. Entre ces moments de révolte portés par l’espoir (des jeunes déployant le drapeau national au-dessus de la statue des Martyrs) et les sombres jours, semaines et mois qui ont suivi la terrible double explosion au port, les photos (saisissantes, d’un paysage urbain devenu carcasse au sein duquel évolue une population fracassée) de Tamara Saadé déroulent le récit d’une douloureuse descente aux enfers. Celle de tout un pays.

Tamara Saadé coup de cœur du festival « Visa pour l’image » 2022. Photo DR

Des preuves de l’injustice

« Aucune âme au Liban n’a été épargnée par les événements de ces deux dernières années. Financièrement, ceux qui avaient des économies les ont perdues. Physiquement, l’explosion a laissé plus de 300 personnes handicapées, la population vit dans un stress quotidien, la pandémie de Covid-19 est toujours là, et beaucoup n’arrivent plus à faire face. Il y a de plus en plus d’enfants à la rue, de vieux démunis. Le moral a lui aussi été durement touché. Le pays semble être en dépression, en état d’anxiété permanente, de « schizophrénie avec des habitants qui tentent de mener une vie normale dans un contexte aussi absurde », signale la photographe dans la note d’intention qui accompagne les photos présentées à Perpignan. Des images qu’elle a voulues « comme la preuve de l’injustice qui règne dans le pays », martèle-t-elle avec l’ardeur de ses vingt-cinq ans. « Mais de là à imaginer les voir exposées dans le cadre de ce festival qui rassemble les grands noms du photojournalisme… J’ai encore de la peine à y croire », rajoute, d’une voix soudainement voilée, celle qui avoue une timidité et une hypersensibilité qui se transforment en adrénaline sur le terrain.

Une extension de sa main

Du plus loin qu’elle s’en souvienne, Tamara Saadé s’est « toujours sentie plus à l’aise derrière le viseur ». Une passion pour la photographie qui va pousser ses amis à lui offrir pour ses 16 ans une caméra semi-professionnelle. « Depuis, je ne suis plus sortie un seul jour sans mon appareil-photo. Il est presque devenu une extension de ma main », dit dans un sourire la jeune femme, qui avoue également une passion pour l’objet lui-même. « Je possède aujourd’hui une petite collection d’une quinzaine de caméras, entre argentiques et numériques. Le choix de leur utilisation s’impose en fonction du projet. Si c’est un travail de commande à réaliser rapidement ou pas. Personnellement, j’aime le grain que donne la photographie analogue et le temps long de son processus. »

« Plus que le photojournalisme, j’aime me laisser surprendre par ce que l’environnement peut me proposer comme sujet. Prendre une caméra, me balader et capter des scènes de rue est quasiment une thérapie pour l’anxieuse que je suis », confie la jeune artiste. « Ça a le même effet sur moi que la musique », ajoute celle qui a d’ailleurs fait ses premières armes de photographe professionnelle à l’occasion de concerts de ses amis de la scène musicale alternative. Et sous le parrainage de sa grande copine et « inspiratrice » Myriam Boulos.

C’est aussi à la suite d’un stage d’été à L’Orient-Le Jour, que cette passionnée d’images qui aime les mots également, décide de se diriger vers le journalisme. Un premier diplôme en média et communication décroché en 2017 à l’AUB, quelques collaborations en pigiste dans des magazines et sites d’information au Liban et à l’étranger, et la voilà qui s’envole pour New York boucler son master en journalisme à Columbia University. Après deux ans dans la Grosse Pomme, au cours desquels cette journaliste pluridisciplinaire – qui mêle souvent dans sa pratique écriture, photo et vidéo – travaillera aussi dans le montage vidéo à l’ONU, elle retourne au Liban, « deux semaines tout juste avant l’explosion au port de Beyrouth ».

Octobre 2019, au temps de la révolte... Photo Tamara Saadé

Le lendemain, le surlendemain et les jours suivants...

« Le 4 août 2020 est une date gravée dans ma mémoire comme dans celle de tous les Libanais qui ont vécu ce traumatisme. J’étais à la maison, et à part des vitres brisées, j’ai eu la chance d’en être sortie indemne avec ma famille. À peine rassurée sur le sort de mes parents et amis, j’ai enfourché mon vélo et traversé la ville, mue par la nécessité de voir, de comprendre, de témoigner… Je me souviendrais toujours du crissement des pneus sur les débris de verre, des mines hagardes des rescapés que j’ai croisés en chemin, du sang et de la destruction. Au bout d’un moment, j’ai continué à pied. Je ne sais pas comment j’ai eu la force de le faire. Mais j’étais déterminée à me rendre sur le lieu du drame. Le lendemain, le surlendemain et tous les jours qui ont suivi j’ai refait le même trajet… », raconte, d’une voix à nouveau brisée par l’émotion, Tamara Saadé. Dont le souhait le plus cher est d’avoir la possibilité d’aborder à l’avenir le sujet du Liban sous un autre angle que celui de la misère, des souffrances et des larmes.

C’est d’ailleurs ce à quoi elle s’attelle déjà en mettant en lumière dans ses reportages écrits et photographiques les belles histoires et initiatives socio-culturelles qui s’y déploient malgré tout.

(*) « Sans répit / Tiers of Trauma » de Tamara Saadé, au festival « Visa pour l’image  », couvent des Minimes à Perpignan, jusqu’au 11 septembre.

Depuis sa création en 1989 le festival international de photojournalisme, « Visa pour l’image », qui se tient chaque fin d’été à Perpignan, sélectionne le meilleur des reportages internationaux. L’événement qui « s’attache à montrer l’actualité du monde sous ses différentes facettes » (dixit Jean-Francois Leroy son directeur) est certes largement...
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