Lundi 26 juillet, le Liban devrait avoir un nouveau Premier ministre désigné. En attendant, le débat sur les raisons de la récusation de Saad Hariri se poursuit. Certes, la plupart des parties internes et externes attendaient ce développement, mais elles évaluent différemment son impact et cette évaluation est importante pour comprendre la prochaine phase, notamment le processus de formation du gouvernement qui commencera lundi.
Pour certains, Saad Hariri n’a plus vraiment de poids dans le dossier de la formation du gouvernement et il se consacre désormais aux élections législatives prévues au printemps prochain. En revanche, pour d’autres, il garde l’initiative à travers la rue sunnite et la couverture politico-confessionnelle dont a besoin tout candidat à sa succession dans les circonstances actuelles.
Mais il existe une troisième approche selon laquelle Saad Hariri constituait le cheval de bataille du président de la Chambre, Nabih Berry, ce dernier tirant les ficelles dès le départ.
Selon cette approche, depuis l’annonce de la récusation de Saad Hariri, les choses ont au moins le mérite d’être claires. Pendant des années, et peut-être même depuis le début du mandat de Michel Aoun (pour lequel Berry et son camp avaient refusé de voter, le 31 octobre 2016), le président de la Chambre n’a cessé de combattre le chef de l’État et son camp de façon indirecte, à travers d’autres personnalités, comme par exemple, à un moment donné, le leader druze Walid Joumblatt. Certains disent même par le biais du gouverneur de la Banque centrale (que Aoun avait essayé de limoger en 2017 et en 2018, après les législatives), puis par le biais de Saad Hariri, qu’il avait ouvertement appuyé. Cet affrontement sourd n’a donc jamais cessé, mais il était camouflé. Désormais, et depuis le renoncement de M. Hariri, il devrait apparaître au grand jour et le bras de fer entre les deux camps devrait donc se jouer en face à face.
Les partisans de cette approche sont ainsi convaincus que la récusation de Saad Hariri n’est donc qu’un nouvel épisode de l’affrontement indirect entre Aoun et Berry. Le camp présidentiel estimerait ainsi que l’une après l’autre, « les lignes de défense » de Aïn el-Tiné sont en train de tomber, ou en tout cas d’être affaiblies, et que M. Berry devra désormais se battre de front. En effet, pour ce camp, depuis la désignation du président du Conseil sortant, Hassane Diab, Aïn el-Tiné n’a cessé d’entraver sa mission pour finir par le pousser vers la démission en le menaçant d’organiser une séance parlementaire pour évaluer l’action du gouvernement. M. Berry a ensuite ouvertement déclaré son appui à Saad Hariri, multipliant au cours des neuf derniers mois les médiations et les déclarations dans lesquelles la responsabilité du blocage était attribuée au chef de l’État et à son camp. Même après la récusation de M. Hariri, le camp de Aïn el-Tiné n’a pas pris la peine de rappeler que la mouture qu’il avait remise à Aoun n’était pas conforme à la médiation effectuée par M. Berry puisque Saad Hariri s’attribuait les portefeuilles de l’Intérieur et de la Justice et nommait tout seul les deux ministres chrétiens litigieux.De leur côté, les proches de Aïn el-Tiné ont aussi une liste interminable de reproches à faire au chef de l’État et à son camp, notamment au sujet d’un style de gouvernance qui exclut les autres. S’il est vrai que ces détails font désormais partie du passé et n’intéressent plus les Libanais, ils restent toutefois importants pour essayer de comprendre l’étape à venir. Toujours selon les partisans de la thèse du « duel » Aoun-Berry, la récusation de Saad Hariri serait donc un coup porté à Nabih Berry qui se retrouve désormais en première ligne. Mais ce dernier n’a pas encore dit son dernier mot. Le président de la Chambre aurait encore plus d’un tour dans son sac, notamment la question de la couverture sunnite qui doit être donnée au futur Premier ministre désigné, ainsi que le réseau d’alliances qu’il a tissées au cours des années.
Cet affrontement sourd entre MM. Aoun et Berry pèse aujourd’hui sur le dossier de la formation du gouvernement, mais aussi sur les relations de leurs camps respectifs avec le Hezbollah, vers lequel tous les yeux se tournent, mais qui a du mal à prendre position, se contentant de pousser vers une reprise des contacts entre Baabda et Aïn el-Tiné.
Que l’on adopte cette approche ou non, il est certain que le volet interne dans la formation du gouvernement revêt une grande importance. Mais il n’est pas le seul. La communauté internationale suit de près les moindres développements politiques au sujet du dossier gouvernemental. Selon des sources diplomatiques, la France en particulier ferait un forcing pour que le Liban se dote d’un nouveau gouvernement formé de spécialistes avant le 4 août, date de la tenue de la troisième conférence d’aide à la population. Si, à cette date, le Liban a un nouveau gouvernement, même si celui-ci n’a pas encore obtenu la confiance du Parlement faute de temps, la conférence n’en sera que plus efficace et les donateurs plus généreux. À défaut, les conditions de vie des Libanais devraient empirer et il serait encore plus difficile de mettre le pays sur la voie d’une sortie de crise.
Toujours cette merveilleuse Scarlett qui est la seule à mettre les points sur les i de façon magistrale . Merci Scarlett pour cet éclairage édifiant comne toujours !
16 h 18, le 22 juillet 2021