Oui, ils retournent à la maison. À la maison du cinéma, de la scène, de l’art et de la créativité. La cinéaste Rouba Noureddine (Moukhayyam 0.12), entourée de plus d’une vingtaine d’étudiants, va réanimer le cœur de Gemmayzé atteint d’arythmie depuis le 4 août. Pendant trois jours, ce sera la fête du cinéma libanais, de ce cinéma que les Libanais qui aiment leur pays ont fait de leurs propres mains et avec leur propre cœur sans aucune aide de l’État.
En avant les jeunes
« Tout a commencé, raconte Rouba Noureddine, quand Riad el-Assaad, qui a pris en charge la reconstruction de certaines maisons à Gemmayzé, a posé une grande bâche blanche pour restaurer une maison très ancienne et très endommagée du quartier. » Lourds dégâts, puisque la façade de la bâtisse s’était effondrée suite à la double explosion du port de Beyrouth. « En voyant cette bâche blanche, Riad al-Assaad a eu l’idée d’un grand écran blanc de projection », poursuit-elle. Par l’intermédiaire du photographe Eddy Choueiry, l’entrepreneur contacte alors Rouba Noureddine pour lui proposer de remplacer cette bâche par un grand écran et de transformer les lieux en une sorte de cinéma en plein air. L’idée n’est pas pour déplaire à cette jeune cinéaste diplômée de l’Université libanaise en audiovisuel qui poursuit un second master et qui travaillait sur le terrain depuis le 4 août à aider les familles touchées par l’explosion.
Avec une équipe de jeunes étudiants en audiovisuel dont l’âge ne dépasse pas les 28 ans, elle se met immédiatement au travail. Il n’est pas nécessaire d’avoir une salle pour voir un film. Tout comme le Cinema Paradiso, de Tornatore, ou encore Et maintenant on va où ?, de Nadine Labaki, les plus belles réunions de village ont lieu au cinéma en plein air. « La première étape était de recréer un semblant de maison avec salon, fauteuils et tout le reste afin de se sentir à la fois chez soi et au cinéma, confie Noureddine. Il fallait par conséquent faire l’état des lieux des dégâts et imaginer le décor. » La seconde étape était de recenser des films libanais, faits par des Libanais, professionnels ou étudiants, et de les assembler pour la projection. « Il était important que le film soit fait par un Libanais qui aime son pays. Nous avons par ailleurs essayé d’éviter les films qui évoquent la guerre », souligne la jeune femme.
Le résultat, c’est un festival de cinéma de quartier, baptisé « Raj3in 3al-beit », qui se déroulera du 11 au 13 décembre.
Redonner l’espoir
« Nous tous, Libanaises et Libanais, avons besoin de “silver lining”, une lueur d’espoir en somme, de voir l’aspect positif des choses. Notre blessure est tellement grande et fraîche qu’on ne veut pas encore remuer le couteau dans la plaie. C’est dans un esprit de renouveau et d’espoir que nous serons réunis ces trois jours dans le cadre de projections, de conversations avec les cinéastes et de rencontres », poursuit-elle.
Ce projet, monté en un temps record, est le résultat d’un formidable travail collectif. Le programme n’est pas encore totalement arrêté, mais l’on sait déjà que le festival, qu’on peut qualifier de « festival de retour », sera lancé par le film Caramel de Nadine Labaki. Il comprendra, outre les courts métrages d’étudiants, certains mini-documentaires de la série Zyara. Outre son aspect culturel et social, il se déroule sous le slogan de la reconstruction puisque les bénéfices de la billetterie seront versés aux habitants de la maison pour soutenir la reconstruction de la demeure. « Reconstruire sur l’ancien, le cassé, le détruit, et montrer que le Liban peut aller de l’avant avec ses jeunes, prêts à tout, voilà le message qu’on essaye de transmettre, signale la jeune femme. Et de conclure : « On n’a jamais compté sur notre État pour aider le cinéma. D’ailleurs, le 7e art n’a jamais été une de ses priorités. Si certains cinéastes brillent à l’extérieur, c’est grâce à leur talent, leur solidarité, leurs contacts. Ce n’est certainement pas grâce au soutien de l’État. Aujourd’hui plus que jamais, nous voulons montrer que Gemmayzé retourne chez elle. Pour y rester ! »
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