Après la double explosion qui a secoué Beyrouth mardi soir, les démissions pleuvent aussi bien au Parlement qu’au gouvernement. L’heure du départ a-t-elle ainsi sonné pour le cabinet de Hassane Diab ? La question se pose dans les milieux politiques au vu de la volonté de plusieurs de ses membres de jeter l’éponge, à la suite de la tragédie.
C’est la ministre de l’Information, Manal Abdel Samad, qui a ouvert le bal hier en annonçant son départ. Dans une déclaration à la presse, elle a présenté ses « excuses » aux Libanais, « dont nous n’avons pas réalisé les aspirations ». « Le changement est resté loin », a-t-elle ajouté.
Quelques heures plus tard, c’était au tour du ministre de l’Environnement et du Développement administratif, Damien Kattar, proche du chef du gouvernement Hassane Diab, de présenter sa démission écrite au Premier ministre. Motivant sa décision, il a fait savoir que des amis de ses enfants ont péri suite à la double explosion du port, et qu’il ne pouvait plus continuer à assumer ses responsabilités de ministre. Son collègue de l’Économie Raoul Nehmé, perçu comme gravitant dans l’orbite du Courant patriotique libre, a manifesté lui aussi sa volonté de rendre son tablier. Il s’est entretenu à cette fin au Sérail avec Hassane Diab hier, mais ne l’a pas présentée en attendant le Conseil des ministres aujourd’hui à Baabda.
Entre-temps, M. Diab a tenu une réunion avec plusieurs ministres, pour discuter de la possibilité d’une démission collective du gouvernement à l’issue de la séance ministérielle. Une façon pour le Premier ministre d’éviter une chute de son équipe lors des séances parlementaires prévues jeudi au palais de l’Unesco, et consacrées à l’attentat du port de Beyrouth.
À l’issue de la réunion, le ministre de l’Industrie Imad Hoballah (Hezbollah) et sa collègue du Travail Lamia Yammine (Marada) ont assuré que le gouvernement ne démissionnera pas. M. Hoballah traduisait ainsi la position du Hezbollah, principal parrain du cabinet Diab. Dans certains milieux proches du parti chiite, on estime que toute démission en ces temps difficiles n’est qu’une fuite en avant et un acte faisant preuve de « manque du sens des responsabilités ». À son tour, la ministre de la Justice Marie-Claude Najm a refusé de démissionner, l’alternative au gouvernement actuel étant selon elle absente.
Ce veto du Hezbollah rendrait difficile une démission de Hassane Diab et son équipe, comme le veut mouvement de contestation, mais aussi les autorités religieuses. Dans son homélie dominicale à Dimane, hier, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a ouvertement plaidé pour le départ de la Chambre et du gouvernement. « Les démissions des députés et ministres ne suffisent pas. Il faut arriver au départ du gouvernement dans son ensemble, dans la mesure où il est incapable de redresser le pays, et d’organiser des élections législatives anticipées au lieu d’une Chambre qui ne fonctionne plus », a-t-il déclaré.
De son côté, le métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Mgr Élias Audi, ne s’est pas clairement prononcé en faveur d’une démission du gouvernement ou de la Chambre. Mais, dans son homélie, il n’a pas manqué de décocher ses flèches en direction des « responsables politiques ». « Dans un pays qui se respecte, un responsable qui n’accomplit pas ses devoirs, ou manque à ses responsabilités démissionne », a-t-il tonné.
Les FL, le PSP et le Futur
Sauf que Hassane Diab ne semble pas l’entendre de cette oreille. S’il exclut la démission, il s’efforce de multiplier les signaux positifs tant en direction de la communauté internationale qu’à l’adresse du mouvement de contestation. Dans la foulée des affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre, samedi au centre-ville, M. Diab a adressé un message à la nation dans lequel il a estimé que « le seul moyen de sortir le pays de sa crise structurelle réside dans la tenue de législatives anticipées pour générer une nouvelle classe politique et un nouveau Parlement ». Et d’accorder un délai de deux mois aux protagonistes pour s’entendre sur la prochaine phase.
Au-delà de l’insistance du Premier ministre à conserver son poste, les cercles de l’opposition estiment que la décision politique de tourner la page Diab est prise, et que le tandem chiite, ou pour le moins le mouvement Amal du président de la Chambre Nabih Berry, ne seraient plus attachés au maintien du cabinet. Entre-temps, M. Diab se serait accordé ce délai de deux mois en attendant les résultats de la présidentielle américaine, prévue en novembre prochain.
Quoi qu’il en soit, plusieurs députés ont manifesté durant le week-end écoulé leur volonté de jeter l’éponge. Après Marwan Hamadé, le chef des Kataëb Samy Gemayel a annoncé samedi sa démission et celle de ses deux collègues Nadim Gemayel (Beyrouth) et Élias Hankache (Metn).
Paula Yacoubian (Beyrouth), représentant la société civile, a déclaré samedi qu’elle compte présenter sa démission aujourd’hui, exhortant dans un tweet ses collègues à agir de même. La veille, Michel Daher (Zahlé) avait claqué la porte du groupe parlementaire aouniste, tendant la main aux députés indépendants pour « tenter de réaliser un changement », à défaut duquel, a-t-il dit, il abandonnerait son siège parlementaire, comme il l’a annoncé sur son compte Twitter. Michel Moawad (Zghorta), qui avait lui aussi claqué la porte du groupe aouniste, a annoncé hier dans une conférence de presse sa démission du Parlement, après avoir entendu « les cris des gens », comme il l’a souligné.
Plus tôt dans la journée, Neemat Frem, député du Kesrouan, avait pris la même décision, déclarant à Dimane qu’il ne se rendra au Parlement que pour voter la dissolution. Son collègue Chamel Roukoz, gendre de Michel Aoun, devrait se décider à l’issue d’une réunion regroupant plusieurs députés aujourd’hui. Il convient de signaler qu’au niveau administratif, Gaby Ferneiné, membre du conseil municipal de Beyrouth, a renoncé à son siège.
Les regards sont maintenant braqués sur les ténors de l’opposition, à savoir le courant du Futur, les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste, qui multiplient leurs contacts en vue de presser dans le sens de législatives anticipées. Le chef druze Walid Joumblatt a cependant exclu une fois de plus, dans une interview à la chaîne al-Hurra, une démission de son groupe parlementaire, appelant en revanche au départ du cabinet. Une rencontre à cet effet s’est déroulée hier à la Maison du Centre entre le leader du Futur Saad Hariri et Melhem Riachi, en sa qualité d’émissaire du chef des FL Samir Geagea. Sans attendre les résultats de cette dynamique, Dima Jamali (Futur, Tripoli) et Henri Hélou, député joumblattiste de Baabda, présenteront leurs démissions aujourd’hui à la Chambre.
Samy Gemayel : « Nous ne voulons plus servir de feuille de vigne au Parlement »
Les trois députés du parti Kataëb, Samy Gemayel, Nadim Gemayel et Élias Hankache, ont présenté samedi leur démission, estimant qu’ils ne peuvent plus tolérer une action parlementaire qu’ils jugent inefficace et qu’ils critiquent depuis longtemps.
Le chef des Kataëb Samy Gemayel a choisi d’annoncer sa démission et celle des deux autres députés membres de son parti, Nadim Gemayel et Élias Hankache, lors des funérailles du secrétaire général Nazar Najarian, tenues après une réunion du bureau politique des Kataëb. « Nous ne voulons plus servir de feuille de vigne au Parlement. Nous choisissons la confrontation », a martelé M. Gemayel, refusant de « jouer le rôle de faux témoins ». « Nous avons fait de multiples tentatives, notamment la collecte de dix signatures de députés pour réclamer une séance consacrée aux questions au gouvernement, l’organisation d’une démission collective, ou encore la réduction du mandat de la Chambre, mais nous n’y sommes pas parvenus », a-t-il déploré. Et de lâcher: « Ce Parlement ne produit rien et ne bâtit pas un avenir. » Quelques minutes après la cérémonie funéraire, Nadim Gemayel a publié sur son compte Twitter sa lettre de démission adressée au président du Parlement Nabih Berry, assortie d’un commentair: « Les institutions publiques, improductives et dominées par les armes, ne représentent plus mes ambitions et celles des électeurs qui m’avaient donné leur confiance pour les représenter. » Interrogé par L’Orient-Le Jour pour savoir si la démission ne constitue pas une sorte d’abdication, il répond qu’il poursuivra son « action politique et nationale aux côtés du peuple qui souffre », sa présence dans l’hémicycle étant devenue inutile. Dans une conférence de presse tenue un peu plus tard, il a tiré à boulets rouges sur le pouvoir, dénigrant la création par le gouvernement d’une commission d’enquête sur la catastrophe du 4 août. « Comment l’armée va enquêter, alors qu’elle était en charge du port et savait ce qui s’y trouvait ? » a-t-il fulminé, avant de lancer : « L’État et les institutions publiques sont vides, et le système politique dans lequel nous avions confiance a failli. » Dans des propos très véhéments, il a prié Dieu de « prendre les dirigeants et (d’) éloigner leurs faces maléfiques pour que le peuple libanais puisse se relever ». « Ils s’en iront dans l’humiliation », s’est-il dit convaincu.
commentaires (14)
On sentait bien que ces dames ruaient dans le brancard... Un petit merci à Mme Abdel Samad d'avoir ouvert le bal.
Desperados
17 h 47, le 10 août 2020