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Culture - Disparition

Salah Stétié, mage au verbe sonore et aux semelles de vent....

Le grand poète libanais d’expression française s’est éteint dans la nuit de mardi à mercredi à Paris à l’âge de 90 ans.


Le grand poète, essayiste, critique d'art et ancien diplomate libanais Salah Stétié. Photo d'archives Michel Sayegh

Au moment où la Covid-19 balaye toutes les préoccupations et réduit au silence les villes et l’humanité, la poésie, incarnée par Salah Stétié, loin de tous les bruits et les chaos, s’est réfugiée dans les Yvelines, en Île-de-France. À 90 ans, résidant depuis un certain temps dans une maison médicalisée, l’écrivain libanais d’expression française aux multiples facettes n’a jamais failli à sa passion des lettres. Et aussi à son insatiable curiosité pour la culture. Il s’en est allé hier dans la nuit emportant la retentissante beauté de son verbe. Mais il a laissé derrière lui une empreinte littéraire indélébile, aux multiples embranchements et phosphorescences...Ses livres, nombreux et denses, l’attestent, ainsi que son indéfectible attachement à la richesse de l’art de taquiner les muses qu’il qualifiait de langage premier. Salah Stétié, une vie entière vouée aux belles lettres, aux lyres du Parnasse, aux secrets de la spiritualité, au mystère du mysticisme, aux désirs des corps à travers la peinture dans tous ses états, au refus de la violence, à la honte devant les actes des djihadistes… Qu’aurait-il pensé aujourd’hui de ce « dérèglement systématique », terme si cher à Rimbaud ? On aurait aimé recueillir ses propos devant l’indicible de cette anarchie, cette perdition et ce naufrage collectif, aussi bien social, sanitaire que politique, lui qui parlait si bien des choses essentielles, du retour aux racines et surtout de la Fluidité de la mort, cet opus au parfum troublant resté d’une brûlante actualité…Une vie dont la naissance a pour foyer des parents nourris de poésie arabe des grands siècles. Une enfance heureuse placée sous le signe du mandat français après le démantèlement de l’Empire ottoman. Une éducation scolaire au Collège protestant français de Beyrouth pour cet élève studieux qui buvait les mots de Racine, Corneille, Lamartine, Rimbaud, Baudelaire, tandis que les premiers souvenirs au Barouk ont la frémissante transparence des jardins lumineux de son ami Georges Schéhadé...

Le témoignage de Vénus Khoury-Ghata

« Tous les matins, il me lisait les textes qu’il avait écrits la veille »

Des moments inoubliables qui seront les sources d’inspiration et les points de départ pour fréquenter, bien plus tard, en toute assiduité, le Parnasse et ériger une passerelle reliant les êtres et le temps à travers une trentaine de recueils de poésie. Entre cadences originales, rimes libres et libérées, images dont les mots ont la célérité de la lumière et les musicalités de l’Orient, naissent ces textes-poèmes enserrés dans des œuvres qui ont pour noms L’eau froide gardée ou Inversion de l’arbre et du silence, pour ne citer que ceux-là…

Cet esthète a disséqué la culture, aussi bien occidentale qu’orientale, au scalpel tranchant d’une pensée pétrie d’érudition. Et son écriture en langue française, compacte comme les mailles serrées d’une armure, brille à travers plus de soixante-cinq essais. Pour lui qui n’a écrit qu’un seul roman, la poésie aura été la grande affaire de sa vie. Il disait : « Le poème, langage premier et majeur, contient la clef du mystère de l’homme. »

Regard malicieux teinté d’un nuage d’humour, mais aussi regard d’aigle en quête non de proie mais d’espace, de liberté et d’élévation, Salah Stétié n’avait ni heure ni lieu pour saisir un stylo et du papier pour transcrire ce qui lui traversait l’esprit. Issu de la bourgeoisie sunnite libanaise, il a servi aussi la diplomatie en acceptant la fonction de délégué permanent du Liban à l’Unesco, puis les charges d’ambassadeur du Liban aux Pays-Bas et au Maroc. Il fut l’ambassadeur d’un incendie, d’un pays qui l’a déçu, dira-t-il, dans la douleur de voir sa terre natale sombrer dans des luttes fratricides.

Et dire que cet incendie, sous une forme nouvelle de déconfiture sociale, politique et surtout financière et économique, perdure actuellement au pays... Si les armes se sont tues, les séismes ont changé de visage, mais le mal, plus insidieux que jamais, est toujours là…

Ses rencontres, après ses études supérieures de lettres à Beyrouth, outre son séjour de sorbonnard à Paris et son rôle de conseiller culturel, lui ont ouvert les portes d’une société prestigieuse, entre Occident et Orient. Il y a croisé, non en impénitent mondain ou voyageur mais en ami des lettres et soucieux des grands événements qui régissent le monde, un chapelet de personnages qui font rêver. De Gabriel Bounoure, Gabriel Naffah, Fouad Chéhab et Adonis à Sartre, Malraux, De Gaulle, René Char, Édouard Glissant, Pierre Jean Jouve, Cioran et Yves Bonnefoy, la ronde de ses rencontres avait certainement quelque chose d’enrichissant mais aussi d’éblouissant.

Une œuvre aux multiples facettes
Son œuvre monumentale (plus de 250 opus qui seront exposés en permanence au Musée de Sète, Musée Paul Valéry) s’étale sur plus d’un demi-siècle. Avec l’absence du théâtre. Une absence qu’il n’a jamais regrettée. Un silence inexplicable. Mais il aimait Ionesco, Obaldia tout autant que Shakespeare, Lorca, Eschyle. Et la voix de Georges Schéhadé sous les feux de la rampe lui était familière et précieuse.

Le témoignage d'Adonis

Salah Stétié : ami, témoin et symbole

Les récits, plus de sept, ont eu droit de cité sous sa plume. Quant à la vision romanesque, elle se résume à une seule fiction avec Lecture de femme. Une tragédie d’amour dans la guerre : c’est ainsi qu’il résumait cette narration.

Les voyages l’appelaient comme le chant des sirènes. Salah Stétié y répondait avec délectation. Il aimait surtout les écrivains qui avouent leur secret afin qu’ils s’accomplissent. Des écrivains qui écrivent comme ils sentent, disait-il, même si c’est compliqué…

Salah Stétié n’a jamais eu le goût du héros militaire. Son admiration allait à la figure féminine. Sur le plan spirituel, il vénérait la Vierge Marie et son image sacrée. Viennent ensuite, pour les passions terrestres, Phèdre, Bérénice, Paulina (de Pierre Jean Jouve bien entendu !), Louise Labé, les sœurs Brontë et les héroïnes de Stendhal. Il a toujours fait une grande part et une révérence à l’amour. Et selon ses propres aveux, ainsi qu’à toutes les caresses, physiques et verbales de l’amour. En illustration à ses dires, il revenait au poème Le Balcon de Baudelaire qu’il citait en tout émotion…

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Salah Stétié, son âme, ses souvenirs, Fouad Chéhab, Malraux, et le chocolat Mecco...

Salah Stétié n’a jamais cessé de parcourir les ouvrages de Montaigne, Dostoïevski ou Le Silence de la mer de Vercors. Il n’a jamais arrêté de fréquenter les musées, les salles de cinéma et d’écouter de la musique (il était lié à Pierre Boulez et Luigi Nono), en vouant une préférence marquée à Bach. Mais selon sa devise, il a toujours voulu « passer outre » ! Autrement dit, ne jamais s’attarder…

Dans sa dernière entrevue accordée à L’Orient Le Jour, Salah Stétié parlait de son grand départ qu’il préparait déjà soigneusement comme un mot de la fin. Il avait confié : « Sur ma tombe, voisine de celle de Blaise Cendars, et nous aurons là l’occasion d’avoir de longues conversations, j’ai demandé au sculpteur Jean Anguera d’inscrire : “Un chemin qui ne mène nulle part”... » Mais ce chemin va assurément mener à tous ses livres, à son verbe et ses vocables, qui reposent en legs aujourd’hui au Musée Paul Valéry, la Bibliothèque de France, la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet… Lui qui abhorrait ouvrir ses livres une fois publiés découvrira qu’on va relire Les porteurs de feu de ce pays dont il fut l’ambassadeur et qui aujourd’hui même n’en finit pas d’être un point d’interrogation et « une errance sous l’impensable », selon la formule de Friedrich Hölderlin dont il emprunte l’ombrelle…

Une âme sensible et un émotif incurable
(Re)lire Salah Stétié, c’est parcourir un grand livre ouvert sur les horizons de la terre. Car avec lui, il n’existe pas de cloison étanche entre les différents genres littéraires. La traduction a beaucoup compté pour lui, lui qui avait une solide connaissance de la littérature arabe dont il était un fervent amoureux. Outre un splendide Prophète de Gibran au verbe cristallin, on note la passerelle de deux cultures et de deux rives qu’il a patiemment établie à travers les textes des auteurs les plus anciens à savoir Ibn Arabi, Rumi, Hallaj. Sans oublier la biographie de Mahomet qui fit tant de bruits et remous en l’an 2000.

Pour mémoire

Salah Stétié : « Un écrivain qui n’extériorise pas ses secrets est un écrivain inaccompli... »

Il commentait tout ce qu’il lisait, aussi bien les classiques que les modernes de l’Hexagone, et dans le sillage des sources de son inspiration on nomme, entre autres, Hugo, Rimbaud, Mallarmé, Mandiargues. Même les lointaines rives du Japon ne l’ont pas laissé indifférent. Sa plume a effleuré Kyoto et Inamari. Des écrits qui regardent l’Occident sans jamais cesser d’être illuminés par l’Orient. D’ailleurs, les pages de ses Mémoires, le volumineux et très riche L’extravagance, couronné du prix Saint-Simon en 2015, illustrent et confirment cet état d’esprit constamment en éveil.

Ses derniers jours de bonheur, après un second mariage, il les doit à Tremblay-sur-Mauldre, dans une bâtisse du XVIIe siècle où a vécu autrefois Honoré d’Urfé. Il regardait tous les jours, à cinq heures du matin (pas une minute de plus, car la pollution aura saisi le monde, ajoutait-il avec un brin d’humour !), le jour qui pointe en son jardin.

Écrivain, diplomate, épris jusqu’à la folie des mots, ancien collaborateur à L’Orient, père tardif de Maxime à 82 ans, Salah Stétié, de son propre aveu, n’était pas seulement une âme sensible, mais un émotif incurable… Une dernière pensée éthérée et impalpable sur la vanité de l’être et de la vie de l’auteur d’En un lieu de brûlure : « Le sens n’est nulle part. Nous le traçons avec de la fumée et le vent n’est jamais loin.


Au moment où la Covid-19 balaye toutes les préoccupations et réduit au silence les villes et l’humanité, la poésie, incarnée par Salah Stétié, loin de tous les bruits et les chaos, s’est réfugiée dans les Yvelines, en Île-de-France. À 90 ans, résidant depuis un certain temps dans une maison médicalisée, l’écrivain libanais d’expression française aux multiples...
commentaires (4)

Un grand poète, un grand écrivain libanais de langue française, dont Edgard Davidian a résumé ici la vie et l'oeuvre avec brio. Qu'il repose en paix! Il est devenu mon ami virtuel sur Facebook, et nous avons échangé plusieurs mails, qui m'ont valu un exemplaire dédicacé de "L'Eau froide gardée" comme cadeau...A propos: "Il regardait tous les jours, à cinq heures du matin (pas une minute de plus, car la pollution aura saisi le monde, ajoutait-il avec un brin d’humour !), le jour qui pointe en son jardin." C'est une jolie figure poétique, tirée de L'extravagance, mais elle est dénuée de sens: à moins d'être sous les tropiques, le jour pointe à une heure qui change beaucoup avec les saisons...

Georges MELKI

12 h 05, le 21 mai 2020

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Commentaires (4)

  • Un grand poète, un grand écrivain libanais de langue française, dont Edgard Davidian a résumé ici la vie et l'oeuvre avec brio. Qu'il repose en paix! Il est devenu mon ami virtuel sur Facebook, et nous avons échangé plusieurs mails, qui m'ont valu un exemplaire dédicacé de "L'Eau froide gardée" comme cadeau...A propos: "Il regardait tous les jours, à cinq heures du matin (pas une minute de plus, car la pollution aura saisi le monde, ajoutait-il avec un brin d’humour !), le jour qui pointe en son jardin." C'est une jolie figure poétique, tirée de L'extravagance, mais elle est dénuée de sens: à moins d'être sous les tropiques, le jour pointe à une heure qui change beaucoup avec les saisons...

    Georges MELKI

    12 h 05, le 21 mai 2020

  • Que Dieu ait son âme!! On se trouve peu à peu démunis de nos grands! ...que reste t-il...

    Wlek Sanferlou

    17 h 47, le 20 mai 2020

  • Une très grande perte. Paix à son âme.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    13 h 29, le 20 mai 2020

  • Un grand Monsieur s'en va...Son érudition et son humanisme vont nous manquer dans ce monde où l'ignorance est érigée en vertu et le mensonge en mode de gouvernement. Saluez les muses de notre part Monsieur Stétié...

    otayek rene

    13 h 09, le 20 mai 2020

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