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Liban - Interview

Mikati à « L’OLJ » : Je ne vais pas à Paris pour faire pression sur la Syrie

Avant le stress de la visite à Paris, dont le programme s’annonce chargé, le Premier ministre Nagib Mikati s’accorde un moment de détente... et reçoit « L’Orient-Le Jour », histoire de pratiquer son français (qu’il possède pourtant bien et qu’il compte utiliser avec ses interlocuteurs) et de faire le point sur une visite qui promet d’être très importante.


Le Grand Sérail ressemble à une ruche, et entre deux rendez-vous, le Premier ministre Nagib Mikati accorde une interview à L’Orient-Le Jour au cours de laquelle il lève toutes les ambiguïtés publiées dans la presse autour de la visite qu’il entame aujourd’hui à Paris. Il annonce aussi que le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, fait partie du voyage pour examiner avec les responsables français la relance de Paris III, tout comme il précise qu’il a l’intention de contacter son prédécesseur Saad Hariri en convalescence en France.

L’OLJ. Quel est le symbolisme de la visite que vous entamez aujourd’hui à Paris, d’autant que, selon certains, elle est devenue possible après le paiement de la part du Liban dans le financement du Tribunal spécial pour le Liban ?
Nagib Mikati. Cette visite est très importante à mes yeux car elle confirme les relations historiques entre le Liban et la France. Quand je dis historiques, j’entends qu’elles remontent à des décennies et qu’elles ont vu la succession de nombreux présidents et Premiers ministres en France et au Liban. Ce n’est donc pas une relation entre les personnes. Elle est d’État à État et elle a toujours été excellente, en dépit de certaines divergences, du genre de celles qui existent parfois entre deux frères. Pour nous, la France a toujours été notre porte vers l’Occident et elle s’est toujours tenue aux côtés de notre pays. Je pense ainsi au président Charles de Gaulle, puis aux conférences Paris I, II et III, et maintenant au mandat du président Sarkozy, qui a toujours défendu la souveraineté et l’indépendance du Liban, et qui a maintenu l’engagement de la France au sein de la Finul. La France est donc un pays ami du Liban et la visite que j’y effectue est l’expression de cette amitié.

 Aurait-elle été possible si vous n’aviez pas payé la part du Liban dans le financement du TSL ?
 Je le répète, il s’agit d’une relation entre deux États et elle remonte à de nombreuses années. Je ne veux pas qu’on l’explique en faisant le lien avec le financement du TSL. De plus, je considère que cette décision est dans l’intérêt du pays. Elle ne vise donc pas à obtenir une récompense. C’est pourquoi ma visite en France n’est pas un cadeau suite à la décision de financement tout comme elle n’est pas non plus l’occasion d’utiliser le Liban en guise de tremplin contre la Syrie. Je compte expliquer la position du Liban à ce sujet.

 Justement, le fait qu’il n’y ait pas de ministres dans la délégation officielle qui vous accompagne suscite des interrogations. Certains pensent que vous souhaiteriez vous entretenir en tête à tête, ou sans « témoins gênants », avec les responsables français...
 Je n’ai rien à dire en tête à tête que je ne puisse dire en public. J’ai toutefois appris via notre ambassade à Paris que les ministres sont actuellement occupés par la campagne électorale. Ce n’était donc pas normal que des ministres libanais viennent avec la délégation officielle et ne soient pas reçus par leurs homologues français. J’ai été ensuite informé que le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé allait interrompre sa visite à Bordeaux pour me recevoir à dîner au Quai d’Orsay. J’en ai aussitôt informé le ministre Adnane Mansour en lui disant que comme son homologue français a prévu de nous recevoir, il peut désormais faire partie de la délégation, mais il a répondu qu’il était déjà engagé avec la réunion du CCG puis celle des ministres arabes des AE.

 Le ministre Juppé est le fer de lance de la campagne contre le régime syrien. Cela ne risque-t-il pas de vous poser un problème ?
 Chacun est libre de ses positions. Ce n’est pas moi qui vais dicter son opinion à qui que ce soit. Le ministre français développera son point de vue et j’expliquerai le mien : je refuse que le Liban soit un point de passage contre un pays arabe, quel qu’il soit. De plus, notre société est divisée sur la question syrienne et nous avons des intérêts dont nous devons tenir compte, dont notamment le fait que 80 % de nos frontières sont avec la Syrie. Toutes ces données doivent être prises en considération.

Quand aura lieu le prochain Conseil des ministres?
 Lorsque l’on redonnera pleinement son rôle au gouvernement. Pour l’instant, il semble que certains ministres mettent en doute la crédibilité du Conseil des ministres. Certains l’accusent d’entraver leur action, d’autres refusent d’exécuter ses décisions. Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi je devrais convoquer de nouvelles réunions. On prétend ensuite vouloir appliquer la Constitution. Comment dans ce cas un ministre peut-il refuser de signer une décision votée par 19 ministres (c’est-à-dire plus de la majorité des membres du gouvernement) ? Pour moi, c’est clair, soit les décisions du Conseil des ministres sont prises au sérieux, soit il n’y a pas de réunion. On me dit c’est la Constitution, mais moi je demande à tout le monde de lire attentivement les dispositions de celle-ci.

 Certains estiment que votre décision de suspendre les réunions du Conseil des ministres est liée au désir d’éviter que le sujet du renouvellement du protocole du TSL fasse l’objet d’un débat avant votre voyage en France...
 Je ne vois pas très bien quelle est la relation entre les deux sujets. Le renouvellement du protocole ne relève pas de la responsabilité du Liban. C’est une décision qui est prise par le secrétaire général des Nations unies. Celui-ci nous consulte uniquement pour la durée du renouvellement. Nous avons d’ailleurs reçu une lettre de lui dans laquelle il propose un renouvellement pour une période de trois ans.

 Prendrez-vous cette décision seul ou en Conseil des ministres ?
 Nous verrons. Pour l’instant, il s’agit de réhabiliter la crédibilité du Conseil des ministres.

 D’autres estiment encore que la décision de suspendre les réunions du Conseil des ministres est due à votre désir de ne pas avoir à couvrir l’opération de l’armée libanaise à la frontière nord du pays.
 Je ne comprends pas cette logique. La moindre des choses pour une armée nationale est de défendre les frontières du pays. Le Conseil supérieur de la défense a réitéré cela et l’armée libanaise ne fait que son devoir à la frontière nord.

 On a aussi dit que vous auriez demandé au procureur Bellemare de reporter la publication de la suite de l’acte d’accusation jusqu’après votre retour de France...
 Là aussi, je ne vois pas le lien entre les deux faits. Le procureur Bellemare m’a annoncé qu’il y a une suite à l’acte d’accusation et qu’elle doit être publiée avant la fin de son mandat de procureur du TSL à la fin de février. J’en ai pris note et j’attends cette publication comme tout le monde. Pour moi, le plus important est de préserver la stabilité et de sauver le pays.

 Selon des informations en provenance du Nord, votre popularité serait en baisse dans votre ville et dans votre région. Ce serait ainsi l’une des raisons de vos dernières prises de position au sujet du gouvernement ?
 D’abord, je n’ai pas connaissance de ces informations. Ensuite, pour quelle raison une éventuelle baisse de popularité m’inquiéterait-elle aujourd’hui ?

 À cause des élections législatives.
 Nous en sommes loin. Je ne crains pas pour mon poste de Premier ministre, je vais donc penser aux élections ? C’est ridicule. Si les autres le font, c’est leur problème. Pour l’instant, j’ai d’autres soucis.
 De plus, concernant ma ville, Tripoli, je sais que les habitants sont des gens loyaux et fidèles, et ils savent ce que j’ai fait pour cette ville depuis dix ans. La politique n’interfère pas dans une relation aussi solide.

 Comptez-vous évoquer le cas de Georges Ibrahim Abdallah avec les responsables français ?
 Georges Ibrahim Abdallah est un citoyen libanais et mon devoir de Premier ministre est d’aider tous les citoyens libanais à l’étranger. Je vais donc évoquer ce dossier.

 Comptez-vous contacter cheikh Saad Hariri une fois en France ?
 Bien sûr. Nous sommes des Orientaux et dans nos coutumes et traditions, il est normal de s’enquérir de la santé de quelqu’un qui vient d’avoir un accident et de subir une intervention chirurgicale. Si nos emplois du temps respectifs le permettent, je pourrai même lui rendre visite. Mais cela n’a rien à voir avec la politique.

 Considérez-vous que votre visite en France après la campagne qui a visé votre gouvernement de la part de parties libanaises et internationales est une sorte de victoire ?
 Je ne vois pas les choses sous cet angle. À mes yeux, c’est une victoire pour le Liban.

 La présence du gouverneur de la Banque centrale au sein de la délégation est-elle due à une crainte de pressions sur le secteur bancaire dans le cadre des sanctions contre la Syrie ?
 Pas du tout. La présence du gouverneur Riad Salamé est due au fait qu’il connaît bien le dossier de la conférence Paris III que je compte soulever avec mes interlocuteurs français. Par ailleurs, le Liban respecte strictement la décision de sanctions contre la Syrie et nous sommes soucieux de ne pas prêter le flanc à la moindre critique dans ce domaine.

 L’affirmation du secrétaire général du Hezbollah sur le fait que le temps n’est pas à faire chuter des gouvernements vous fait-elle plaisir ?
 Je ne peux que respecter l’opinion de sayyed Nasrallah. Si, en plus, il appuie le gouvernement, c’est tant mieux, surtout venant d’un parti puissant comme le Hezbollah.

 Mais certains vont dire que c’est la preuve que ce gouvernement est celui du Hezbollah puisque c’est sayyed Nasrallah qui décide quand le faire chuter ou non...
 Si quelqu’un appuie le gouvernement, je ne peux pas lui dire de ne pas le faire. Que les autres en fassent de même.

 Votre politique de « mise à l’abri du Liban face aux développements en Syrie » fait aujourd’hui l’objet de critiques de la part des deux camps. Pourrez-vous continuer à l’appliquer dans ces conditions ?
 Cette politique signifie en fait que les Libanais renoncent à se faire la guerre entre eux. Quelle est donc l’alternative ? Les Libanais ont déjà fait cette expérience entre 1975 et 1990. Sont-ils prêts à la rééditer ? Toute ma politique vise à éviter une réédition de la guerre interne. Je multiplie les contacts avec toutes les parties pour empêcher l’explosion.

 Pourtant, les armes affluent, dans le Nord en particulier...
 Je crois que les informations à ce sujet sont amplifiées.

 Quelle sera votre position si les responsables français vous demandent de participer à la conférence des Amis de la Syrie qu’ils préparent ?
 Le Liban ne peut pas participer à une telle conférence. Ceux qui aiment le Liban doivent comprendre sa position. Nous ne pouvons que rester à l’écart. Rappelez-vous lorsqu’il y a eu des problèmes à Bahreïn et que le secrétaire général du Hezbollah a pris position en faveur des opposants, Saad Hariri, alors Premier ministre, avait déclaré qu’il n’est pas dans l’intérêt du Liban de prendre position dans un tel conflit.

 Mais aujourd’hui, il prend position contre le régime syrien.
 Il ne le fait pas en tant que Premier ministre. En tant que partie politique, il est libre d’adopter la position de son choix. Mais le Liban officiel ne peut pas se le permettre. Ce fut aussi le cas de la Tunisie dans le dossier libyen et tout le monde a compris sa position.
Le Grand Sérail ressemble à une ruche, et entre deux rendez-vous, le Premier ministre Nagib Mikati accorde une interview à L’Orient-Le Jour au cours de laquelle il lève toutes les ambiguïtés publiées dans la presse autour de la visite qu’il entame aujourd’hui à Paris. Il annonce aussi que le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, fait partie du voyage pour examiner avec les...

commentaires (6)

Mikati est le seul pion gagnant sur l'échiquier de ce foutu gouvernement.

SAKR LEBNAN

12 h 18, le 09 février 2012

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Commentaires (6)

  • Mikati est le seul pion gagnant sur l'échiquier de ce foutu gouvernement.

    SAKR LEBNAN

    12 h 18, le 09 février 2012

  • Je trouve tout le monde très dur avec M. Mikati...quel que soit l'option politique des uns et des autres...je n'aimerais vraiment pas être à sa place en ce moment...franchement,je lui souhaite bonne chance,car il "joue" gros,très gros...mais l'homme est intelligent...nous espérons donc une bonne surprise...malgré ce qu'il faut bien appeler la déféction de M. Mansour,qui aurait dû à mon sens se joindre à ce voyage...et donner ainsi une vision d'un Liban,qui pour être coupé en deux par la politique, n'en reste pas moins uni en tant que nation...dommage.

    GEDEON Christian

    05 h 35, le 09 février 2012

  • Dans cet entretien avec le Premier ministre Nagib Mikati on sent un homme affaibli de ses mécanismes efficaces de communication interne. Et ne pouvant point combler les failles il suit l 'art de la fuite au nom des diverses conspirations. Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    05 h 01, le 09 février 2012

  • Il prend vraiment les Sains pour des Niais, ce "Mîkâté" ! Les derniers vestiges de la Cédraie s'évanouissent comme une fantasmagorie devant des événements d’une telle gravité. Les sombres feux d’artifices de ce "Nagîb", de paille, qui ne va pas faire long feu, sont devenus les feux incendiaires du "Noiraud". La fraternité proclamée le 14 Mars, son expression prosaïque, sera la guerre civile larvée actuelle sous sa forme la plus pitoyable, la guerre entre le "8 Malsain" et le 14 Sain, entre la Syrie et le Liban, entre le Hezb d’allah et la Révolution du Cèdre, entre "ce lionceau Baassdiot" et la population syrienne, entre le Despotisme et la Démocratie ! Cette pseudo-fraternité flamboyait en 05, alors que les Sains Cédraies allaient saigner comme les Sains Syriens à présent. Elle dura juste le temps où l'intérêt de certains "Nordistes" était frère de celui de ces Sains-là. Pédants de la vieille tradition "Snobe Sunnite", méthodistes de l’Arabisme et "Mendiants" auprès de Sœur Syrie auxquels on permit de faire de longues homélies et de se compromettre aussi longtemps qu'il fut nécessaire d'endormir l’honorable Révolution Cédraie ! "Snobs Sunnites Nordistes et exégètes" en sus, qui réclamaient tout l'Ancien Ordre Syrien Sécuritaire, moins "le lahhoûd" ; c’est tout. Tels étaient ces "Pathétiques" avec lesquels le Sain dût faire sa Cédraie !

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    02 h 57, le 09 février 2012

  • De cette entrevue, je relèverais seulement deux points : 1-Le chef du gouvernement se plaint de ce qui suit : "Certains ministres mettent en doute la crédibilité du Conseil des ministres. D'autres refusent d'exécuter ses décisions votées par 19 ministres. Dans ces conditions je ne vois pas pourquoi je devrais convoquer de nouvelles réunions". Voilà donc un président du Conseil des ministres qui dénonce la rébellion d'un de ses ministres contre les décisions de son cabinet et est incapable de démettre ce ministre ou de faire quoi que ce soit, à part s'abstenir de convoquer de nouvelles réunions de ce cabinet. Dans quel pays du monde au régime politique "démocratique", y a-t-il une telle incroyable anomalie ? Et après ce qu'il dit, comment le Premeir ministre peut-il affirmer : "Oui, c'est mon gouvernement et non le gouvernement du Hezbollah". 2-Tout Libanais de bon sens et connaissant la réalité géographique de son pays ne peut qu'être avec la politique de "mise du Liban à l'écart et à l'abri" des évènements en Syrie. Mais cela ne veut point dire qu'on puisse commettre l'infamie d'emprisonner des réfugiés syriens et de les livrer aux SR de la Syrie, c'est à dire à la torture et à la mort. Un tel comportement est une violation flagrante des droits de l'homme.

    Halim Abou Chacra

    01 h 30, le 09 février 2012

  • - - C'est un PM qui boude , sans gouvernement , faible et affaibli " politiquement " , qui se rend seul sans aucun ministre en visite officielle en France , du jamais vu ! C'est le résultat de son entêtement à vouloir tenir tête à l'homme fort et chef de la majorité , qui prône le changement et les réformes et continuer à lui mettre des bâtons dans les roues pour des raisons de popularité électorale . C'est malheureusement tout le Liban qui trinque . Bon voyage monsieur Mikati .

    JABBOUR André

    00 h 02, le 09 février 2012

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