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Le temps des engourdis


Le monde entier est un chaudron. La cause palestinienne creuse profondément les sociétés. Il y a les propalestiniens radicaux qui considèrent que l’attaque barbare du Hamas, le 7 octobre 2023, contre un kibboutz tranquille et des fêtards en fin de nuit, n’était qu’une juste réaction au cumul de persécutions israéliennes et de privation de liberté contre les civils palestiniens depuis 1948. Il y a les propalestiniens modérés qui considèrent que cette attaque, pour monstrueuse, ne justifie en aucune façon le carnage transformé en génocide que mènent les Israéliens contre la population de Gaza, désormais acculée dans le réduit de Rafah, attendant le coup de grâce, comme on dit de la mort quand la vie ne promet plus rien. Il y a les pro-israéliens convaincus que les Palestiniens sont des usurpateurs devant le Dieu d’Abraham qui aurait légué aux juifs des terres peuplées, à condition d’en opprimer et massacrer les habitants pour en profiter. Il y a les pro-israéliens modérés qui disent n’avoir rien contre les Palestiniens, mais qu’il faut bien se débarrasser du Hamas et récupérer les otages si cette guerre doit être gagnée. Et pour ce faire, bah ! il faut que des innocents meurent – 35 000 quand même, et le compteur tourne toujours – pour qu’après, tout le monde puisse vivre en paix, gambadant dans les verts pâturages et sur les blondes plages dont les propriétaires auront été expulsés au désert.

Des gouvernements sont ébranlés, des campus exemplaires, lieux de sagesse, d’ouverture et de civilisation, chamboulés, saccagés, privés de dons par leurs mécènes, renonçant à leurs cérémonies de remise de diplômes. On s’envoie des insultes sur tous les plateaux de télévision et toutes les tribunes. Les médias sociaux sont agités de débats venimeux, accusations, dénonciations, appels au meurtre. Les mots « Palestiniens », « juifs », « Israéliens », « sionistes », « musulmans » sont à eux-seuls des guerres civiles, des tranchées, des grenades dégoupillées. Des manifestations sont interdites, d’autres autorisées, les deux injustement. À qui rendre justice ? Comment se mesure la justice ? Au nombre de morts ? Aux moyens gigantesques déployés pour brûler les terres et raser les villes ? Au sourire pudique d’une toute petite fille en haillons, pieds nus, qui grelotte dehors parce que, de toute façon, il pleut aussi sous la tente ? Aux larmes de honte d’une autre qui s’empare d’un billet tendu, mais la faim est une intenable souffrance ? Au gamin devenu à 10 ans père et mère de ses frères et qui, désemparé, s’abrite avec eux au cimetière ? Aux familles des otages du Hamas qui vivent une épouvantable agonie, sachant que chaque bombe envoyée par l’armée israélienne peut à tout moment déchiqueter ceux d’entre eux qui sont encore en vie, s’ils le sont à cet instant-même, et que le froid, les privations, le manque de médicaments et de soins sont aussi leur lot ? Ou aux artisans et commandants de cette guerre qui, des deux côtés, ne cherchent qu’à garder le pouvoir pour le temps qu’il leur reste à vivre, fut-ce au prix de dizaines de milliers de morts, de destruction quasi irrémédiables et de ce poids moral que porteront les générations à venir ?

Il y a cette guerre immonde, à une encablure de chez nous. Il y a ce débat féroce qui anime le monde. Il y a cet enjeu, l’un des plus grands de ce siècle, sur lequel se joue notre humanité présente et future. Et il y a nous. Quoi, nous ? Rien. Une timide manifestation à l’AUB, le 30 avril, pour qu’il ne soit pas dit que les étudiants libanais n’ont rien fait. Une enseignante propalestinienne vaguement mise à pied. Quelques activistes qui tentent, sur la Toile, de garder les consciences éveillées en relayant des images et des éléments de discours, petite flamme qui n’anime pas grand-chose mais leur permet de ne pas avoir peur dans l’obscurité et de dormir parfois, peut-être.

Étrange, alors qu’en 2019 nous semblions si avides de liberté, si gonflés d’opinions sur tout, si prêts à mourir ou au moins à recevoir des coups pour des idées que nous trouvions belles ; alors que nous voulions changer une gouvernance malfaisante, corrompue, et triompher sur la décadence du Liban et la nôtre ; alors que nous avions poussé l’audace jusqu’à réclamer la chute du Hezbollah… Nous voilà à peine spectateurs d’un incendie qui nous gagne déjà et risque de nous emporter à tout moment. Nous voilà devenus ces tièdes que, selon les Écritures, Dieu lui-même vomit. Quand avons-nous renoncé à nous indigner ? À quel moment avons-nous cessé de vivre ?

Le monde entier est un chaudron. La cause palestinienne creuse profondément les sociétés. Il y a les propalestiniens radicaux qui considèrent que l’attaque barbare du Hamas, le 7 octobre 2023, contre un kibboutz tranquille et des fêtards en fin de nuit, n’était qu’une juste réaction au cumul de persécutions israéliennes et de privation de liberté contre les civils palestiniens...
commentaires (8)

Je vais vous repondre... Nous avons renoncé quand nous avons réalisé que ce peuple n'est pas digne d'être sauvé. Que ce peuple préfère s'asseoir devant Netflix et ne pas broncher alors qu'on le vole, qu'on détruit sa capitale, qu'on lui impose une guerre et une immigration.. Nous avons renoncé quand nous nous sommes rendu compte que ce peuple n'en est pas un mais plutôt un rassemblement de communautés religieuses qui se détestent et qui ne formeront jamais un Pays... Nous avons renoncé quand nous avons réalisé que se prendre du gaz et des coups pour ce genre de gens est stupide

Emile G

03 h 31, le 10 mai 2024

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Commentaires (8)

  • Je vais vous repondre... Nous avons renoncé quand nous avons réalisé que ce peuple n'est pas digne d'être sauvé. Que ce peuple préfère s'asseoir devant Netflix et ne pas broncher alors qu'on le vole, qu'on détruit sa capitale, qu'on lui impose une guerre et une immigration.. Nous avons renoncé quand nous nous sommes rendu compte que ce peuple n'en est pas un mais plutôt un rassemblement de communautés religieuses qui se détestent et qui ne formeront jamais un Pays... Nous avons renoncé quand nous avons réalisé que se prendre du gaz et des coups pour ce genre de gens est stupide

    Emile G

    03 h 31, le 10 mai 2024

  • Chére Fifi, imagine un seul instant que ce dieu incongru n'ait jamais promis aux juifs leur Palestine ... Rien de tout ce que tu as joliment décrit dans cet article n'aurait existé ! Israel est un cancer qui se développe en métastase autour de la planète !

    Chucri Abboud

    23 h 41, le 09 mai 2024

  • Netanyahu savait tout du 7 octobre mais comme il voulait se débarrasser des palestiniens il a sacrifié son peuple , c’est un criminel

    Eleni Caridopoulou

    17 h 37, le 09 mai 2024

  • Signe d’oubli des "causes", les réponses à des questions concernant la cause de "l’internationale palestinienne" : Etiez-vous surpris par le déclenchement de la guerre en octobre ? Vous vous attendez à une attaque, à une razzia ce jour d’octobre ? Même les analystes les plus chevronnés s’avouent surpris par la ghazoua d’octobre, et selon les analyses, des points-morts nous échappent encore… Je savais, de lecture que quelque chose se prépare, des amis me l’ont chuchoté, mais je n’y croyais pas… Gaza, mais c’est où Gaza, alors que l’Ukraine et sa guerre semblait parfois être plus proche...

    NABIL

    16 h 10, le 09 mai 2024

  • La double déflagration, c’était en plein été, mais je ne me souviens plus en quelle année … le Covid, la dévaluation de la livre, tout est confus. L’émotion, comme lors des rencontres sportives, que provoque les images relayées par la télévision, encore la télévision, font qu’on s’attend à un autre show télévisuel pour mieux s’indigner. ""Le monde entier est un chaudron"", quelques centaines de guerres meurtrières, et selon l’épicentre du conflit, on choisit… les victimes pour les défendre, et les bourreaux pour les dénoncer. Comme lors de la guerre du Vietnam, il y a plus d'un demi siècle...

    NABIL

    15 h 53, le 09 mai 2024

  • ""… Et il y a nous. Quoi, nous ? Rien"". Car en en matière de violence meurtière, on n’est pas rien, il faut l’avouer. Une double déflagration au port de Beyrouth a fait en quelques fractions de seconde quelques milliers de victimes dont 235 morts. Elle s’est faite sentir jusqu’à Chypre. Les télévisions du monde entier se sont emparées de ce jour de guerre. Selon le gouverneur de Beyrouth, la moitié de la capitale est détruite.Et puis rien.On préfère le déni pour mieux oublier. ""Nous""on sait de quoi on parle dès qu’il s’agit de guerre. Notre mémoire saturée nous dit : nous étions abandonnés.

    NABIL

    15 h 38, le 09 mai 2024

  • Comme d’habitude, formidable plume de Fifi Abou Dib. En ces temps si glauques, c’est toujours un plaisir de vous lire. Gloria Chami

    Claude Ghazal

    10 h 22, le 09 mai 2024

  • Fifi, on n'a pas cessé de vivre, on est juste épuisés. Jusqu'à la moelle.

    MYRIAM NASR SHUMAN / AGENDA CULTUREL

    09 h 32, le 09 mai 2024

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